C’est par grâce que vous avez été choisis

17 octobre 2014

« Il y a une grâce qui vous a été faite : la grâce de la rencontre. »

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Texte de l’homélie de mariage :}}}

Frères et sœurs bien-aimés,
Cher Pierre-Yves, chère Marie-Apolline,

Lorsque nous avons préparé cette célébration et que nous avons réfléchi au choix des textes liturgiques, j’ai donné un critère aux fiancés : que ces textes puissent être une lumière pour vous accompagner dans votre vie matrimoniale et familiale.

Si j’ose m’exprimer ainsi à propos de années de mariage, il est bon que ceux qui ont un certain nombre « d‘heures de vol » puissent faire mémoire des textes qu’ils ont choisis lors de leur célébration, parce que la Parole de Dieu est une parole vivante. Ce ne sont pas simplement des textes qui valent pour telle ou telle époque, c’est une parole qui accomplit ce qu’elle dit, une parole qui nous accompagne.

Ainsi, dans les très beaux textes que vous avez choisis, à commencer par la première lecture, il est rappelé quelque chose d’essentiel pour la vie matrimoniale, comme pour toute vie :

« Puisque vous avez été choisis par Dieu. »

Dans la longue et sérieuse préparation que les fiancés ont faite de leur célébration, parmi les premières questions que je leur ai posées était la suivante : « Est-ce que vous vous voyez comme un don de Dieu l’un pour l’autre, une grâce qui vous est faite pour votre vie ? »
Si cela vaut pour Pierre-Yves et Marie-Apolline, cela vaut aussi pour toutes celles et ceux qui sont déjà mariés, dans cette assemblée. Oui, il faut renouveler ce regard de Foi ; nous n’avons pas simplement un regard humain et psychologique sur l’un ou sur l’autre. Non, nous avons un regard de Foi.

Toute vie est vocation. Toute vocation est pour une mission. Il est bon de nous en souvenir, et il est bon pour vous, chers fiancés, de vous souvenir tout au long de votre vie de ce choix que le Seigneur a fait de chacun. Avoir ce regard de Foi, cette attitude spirituelle, l’un face à l’autre. Je découvre dans l’autre celui qui est pour moi le compagnon de route, celui qui est à l’image et à la ressemblance de Dieu, je découvre dans l’autre celui qui m’aide à grandir dans la vie spirituelle.

Pourquoi s’en rappeler ? Parce qu’avec les années, il y a une forme d’usure, légitime et habituelle, comme ce que les moines appellent l’« acédie » : une perte du goût ; on ne voit plus bien le pourquoi de la vie commune, que ce soit dans la vie monastique, dans l’état clérical, la vie matrimoniale ou professionnelle. On peut en arriver à se poser la question du « pourquoi » si l’on a pas assez travaillé cette dimension du regard sur l’autre. La Foi est le chemin du regard. Comme dit saint Jean dans son évangile au sujet du tombeau vide, c’est une certaine manière de regarder :

« Il vit et il crut. »

Puissions-nous les uns et les autres nous tourner vers le Seigneur pour qu’Il transforme notre regard, particulièrement de celles et ceux qui sont unis dans le mariage.
Pour vous aussi, Pierre-Yves et Marie-Apolline, que vous puissiez demander chaque jour au Seigneur d’avoir un regard neuf.

Il y a comme un défaut - pourrait-on le qualifier de franco-français ? – de voir tout de suite le point noir dans la page blanche, de distinguer là ou le bât blesse ; c’est sans doutes ce perfectionnisme qui nous tend des pièges et qui ne laisse pas place à l’émerveillement et au regard de Foi.

Et pourtant, oui, nous avons été choisis par Dieu. Vous, Pierre-Yves et Marie-Apolline, avez été choisis par Dieu. Il y a une grâce qui vous a été faite : la grâce de la rencontre. Cette grâce de la rencontre que nous célébrons, et que vous voulez célébrer devant le Seigneur pour pouvoir être signe - à votre tour – d’un Dieu qui est présent, qui est vivant et qui vous accompagne. C’est bien là que réside le sacrement de mariage.
Remarquez bien que c’est tout à fait différent des autres religions : même si chaque tradition religieuse est respectable, dans la foi catholique, tout comme dans la foi orthodoxe, le fait que le mariage soit un sacrement est tout à fait extraordinaire : le Seigneur l’a institué pour que les époux puissent être, comme le dit Saint Paul dans la deuxième lecture, le signe de cet amour de Jésus pour Son peuple, l’amour du Christ pour Son Église. Marie-Apolline et Pierre-Yves, vous devenez « signe », signe de quelque chose qui est plus grand, qui est de toujours et pour toujours. Et c’est pour cela que le mariage est indissoluble, car, en choisissant de vous unir devant le Seigneur, vous choisissez aussi de devenir signe de quelque chose qui est plus grand que vous.
Mais, au fond n’est-ce pas la définition du Chrétien : celui qui porte en lui-même plus que lui-même. Oui, le Seigneur vous fait une grande confiance, comme Il fait une grande confiance à tous ceux qui s’unissent devant Lui dans le mariage, parce qu’Il vous demande de manifester au monde, de rendre visible au monde cet amour qu’Il a pour son Peuple, pour son Église.

Il est vrai que l’on se sent tout petit face à cette disproportion. D’un côté on voit nos psychologies blessées, nos difficultés au quotidien… On le sait bien, la vie commune réserve parfois des désenchantements, des frictions dans les caractères causées par nos manières d’agir.
Et pourtant, au delà de nos psychologies, le Seigneur dit : « Je vous ai choisis pour être un signe visible ». C’est cela que vous demandez au Seigneur. Ce n’est pas simplement une bénédiction, comme on peut le faire dans d’autres religions. Personne n’est contre la bénédiction, bien au contraire ! Mais un sacrement, c’est tout autre chose. Non seulement le Seigneur bénit, mais Il dit :
« Vous, Marie-Apolline et Pierre-Yves, vous êtes ceux qui sont chargés d’annoncer cette bonne nouvelle de l’union du Christ à son Église. Vous êtes ceux qui rendent visible cet amour de toujours à toujours ».

Et si nous nous demandons :
« Qui sommes-nous pour rendre visible cet amour du Christ pour son Église ? »
« Qui sommes-nous pour rendre visible cet amour du Christ - Bon Pasteur - pour son Peuple ? ».
Ainsi, le Chrétien habite la disproportion comme sa deuxième patrie, dans le sens où il n’y a pas de commune mesure entre ce à quoi Dieu nous appelle et ce que nous sommes. Il n’y a pas de commune mesure entre nos vases d’argile, nos psychologies blessées, nos tempéraments plus ou moins ajustés, nos défauts de caractère, et la grandeur à laquelle Dieu nous a appelés, nous a choisis pour témoigner.

Pourquoi est-ce si important de se rappeler de ça ? C’est pour ne pas désespérer ! parce que si l’on est simplement livré à nos psychologies blessées, à nos caractères, à nos propres forces, on va donner avec nos « petits poings », nos petites forces, ce que l’on peut. Mais si vous venez là, devant le Seigneur, Pierre-Yves et Marie-Apolline, c’est pour demander une grâce, et pour que cette grâce du sacrement de mariage puisse se diffuser dans toute votre vie. Demandez, suppliez, invoquez-la tout au long de votre vie matrimoniale, de même que celles et ceux qui sont ici qui se sont unis devant le Seigneur…
Tout comme nous, prêtre, nous demandons dans des moments particuliers : « Au nom du sacerdoce que Tu nous as donné, non pas par nos mérites, ni parce que nous serions des hommes surnaturels – nous sommes de pauvres pécheurs – au nom de cette grâce-là, nous Te faisons telle ou telle demande pour nous même ou pour les autres. »

Il est important de se rappeler des sacrements. Et dans ce sens-là, le sacrement nous renvoie toujours à une simplicité, à une certaine pauvreté. En tant que prêtre, c’est ce qui me marque le plus : cette simplicité des sacrements : vous le voyez : du pain, du vin sur l’autel, quelques paroles et le Christ est là présent tout autant qu’Il l’est dans la gloire de Son Père.
Quelques paroles échangées entre deux fiancés d’où naît ce signe de l’amour de Jésus pour son peuple qui nous est donné.
Un peu d’eau versée sur le front d’un enfant, et c’est l’habitation de la Trinité dans ce cœur humain.
La vie chrétienne est comme cela : une disproportion. Voilà bien ce qui nous enthousiasme, qui nous tire vers les haut, qui nous fait croire et avancer. C’est ça qui nous fait lutter contre les doutes et l’usure du quotidien.

Oui, cela nous fait du bien de vous voir aujourd’hui en cette église, Pierre-Yves et Marie-Apolline, parce que cela nous aide aussi. Dans la fraîcheur de votre amour, dans la fraîcheur de votre jeunesse, dans la confiance que vous vous témoignez à travers l’échange des consentements, vous nous redites, à chacun d’entre nous, de ne pas baisser les bras. Vous nous redites cette présence du Seigneur :

« Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

« Sans moi, vous ne pouvez rien faire… »

Le mariage est l’union de deux pauvres qui supplient la grâce de l’amour. Car, aimer n’est pas spontané. Certainement pas, sinon, cela se saurait !
Aimer, c’est une grâce que l’on demande. Aimer, c’est le fruit d’une volonté qui s’exerce, d’un choix délibéré, d’où l’importance de se préparer pour ce sacrement, et de confier son cœur dans la prière pour qu’il puisse l’élargir et l’adoucir. La dureté de cœur est toujours un piège qui nous est tendu.
Oui, cela nous fait du bien de vous voir aujourd’hui en ce lieu, car cela nous rappelle notre propre vocation. Chacun d’entre nous, nous avons été choisis, choisis pour une fécondité.

C’est bien là la vraie question de notre vie : « quels sont les fruits que nous allons porter ? »
C’est ce qui est important : la fécondité. Pour un couple, ce qui est visible en premier, ce sont les enfants. Mais, bien au-delà, c’est la fécondité spirituelle, celle qui émane de l’amour et qui rayonne dans la vie professionnelle, la vie sociale et amicale.

« Si nous avons été choisis, c’est pour porter du fruit, et du fruit en abondance. »

Cela se fait non pas par nos forces, mais par grâce. On peut avoir du mal à comprendre cela. Et la célébration de chaque sacrement nous remet dans la logique de la grâce. C’est gratuit, c’est donné. Voilà la signification de ce mot.

« C’est par grâce que vous êtes sauvés. »

Alors, nous voulons nous tourner vers le Seigneur, et vers la Vierge Marie d’une façon particulière, Elle qui a une grande importance dans votre vie, Pierre-Yves et Marie-Apolline, comme dans la vie de beaucoup qui sont ici. Parce que la Vierge-Marie, « pleine de grâce », nous rappelle la primauté du choix de Dieu sur toute force humaine, la primauté de l’amour sur tout exercice de nos propres volontés et de nos propres forces.
Ainsi, faites mémoire de cela. Que chacun, selon la grâce qui lui a été donnée, que vous soyez mariés, que vous désiriez fonder un foyer – et pour certains d’entre-vous, c’est peut-être une souffrance de ne pas trouver une personne pour fonder un destin commun-, que nous soyons consacrés dans le sacerdoce ou dans la vie religieuse, refaisons mémoire de cela : « C’est par grâce que vous êtes choisis ». C’est cela qui nous tire vers le haut.
Demandons cela au Seigneur pour chacun d’entre-nous.

Pierre-Yves et Marie-Apolline, nous vous portons dans la prière, parce que votre projet est beau, parce que vous avez dans le cœur un grand désir d’être saints, par grâce. _ Vous savez aussi que, peut-être, des difficultés vous attendent, comme elles attendent aussi tous les couples qui se sont formés et qui ont traversé l’eau et le feu et sont sortis dans l’abondance.
C’est pour cela que nous sommes là et que tous ceux ici présents vous accompagnent dans la prière, car la prière, c’est reprendre conscience de ma pauvreté et reprendre conscience de l’amour de Dieu, d’un amour qui est de toujours à toujours,

Amen !