« Dieu, des abeilles et des hommes »

D’après l’article paru dans le numéro n°1999 de la revue Famille Chrétienne (semaine du 7 au 13 mai 2016)

Écologie chrétienne :

À l’abbaye d’Ourscamp, passionnés et néophytes se réunissent pour s’occuper des ruches sous le regard de Dieu.

Reportage de Bénédicte de Saint Germain, pour la revue Famille Chrétienne.


Dans un nuage odorant, le tracteur rempli de matériel s’ébranle, escorté de curieuses silhouettes blanches, bottées, gantées et voilées. Sous ce harnachement, impossible de distinguer le moine du retraitant.
La procession se dirige en silence vers un pré où cinq des dix ruches de l’abbaye sont installées. L’instant est grave : l’heure de la récolte a sonné. Il va falloir arracher le miel aux abeilles, sans les offenser… Après un nouvel enfumage destiné à prévenir toute réaction agressive, les apiculteurs ouvrent chaque ruche, prennent la partie supérieure appelée « hausse », la déposent dans le tracteur et la couvrent vite d’un drap.
Malgré ces précautions, Frère Christophe laisse échapper un petit cri. Philosophe - ce frère SJM se fait piquer à chaque séance - il applique une pièce de monnaie sur sa peau pour empêcher l’inflammation. Sans tarder, il remet les gaz et se dirige vers un local dont toutes les ouvertures ont été obstruées pour procéder à l’extraction du précieux chargement.

La riche, modèle monastique !

Chemin faisant, il s’émerveille. Depuis vingt ans que les abeilles font leur miel à l’ombre des ruines de l’abbaye cistercienne, leur organisation ne cesse de l’édifier :

Contrairement à une fourmi programmée pour une même tâche, l’abeille occupe successivement tous les postes : réchauffer, construire, nourrir le couvain, garder la ruche, butiner et, à la fin de sa vie, repérer les lieux de butinage et d’essaimage. Les anciennes expliquent aux plus jeunes comment faire. C’est un principe tout à fait monastique ! »

Des parallèles entre la vie chrétienne et celle de la ruche, il en voit d’autres, tel le fait que les abeilles sont aussi toutes focalisées sur la même tâche : protéger la reine, coûte que coûte.
Sélectionnée par les autres et nourrie à la gelée royale, elle pond jusqu’à deux mille œufs par jour.
Sans elle, le ruche meurt : son rôle est crucial. Au point que si elle n’est plus féconde, les abeilles la tuent et en sélectionnent une autre. Il pousse la comparaison :

Pour nous, dans notre vie de chrétien, l’élément central, c’est le Christ. »

De là à organiser des retraites liant le spi et l’api, il n’y a eu qu’un pas, franchi en janvier 2008 avec l’aide de Christophe Prouvost, apiculteur amateur.
Elles on lieu quatre fois par an (en savoir plus sur les dates de cette année) :

  • en mars, pour la remise en route du rucher ;
  • en mai, pour la récolte du miel de printemps
  • en septembre, pour la récolte d’été
  • en octobre, pour la préparation à l’hiver.

Sur deux jours, ces retraites alternent temps de travail, temps de prière avec la communauté, et enseignement sur la Création.
Ce week-end, Frère Christophe parlera du tohu-bohu de la Genèse - ou comment Dieu est venu ordonner une matière informe mais ouverte à tous les possibles.

Mettre de l’ordre est un acte divin. Dieu est dans les choses ordonnées.
On veut toujours Le trouver dans l’extraordinaire, alors qu’Il est dans l’ordinaire… »

Et pourquoi pas justement dans l’ordinaire immuable de la ruche ?

Retour au local. Une fois enlevées les grandes coiffes grillagées, les visages des apiculteurs se dévoilent, tout sourire. Du retraité à l’adolescent, en passant par le militaire, l’étudiante, la mère de famille et le moine, ils n’en sont pas à leur premier week-end. À croire que l’émerveillement est contagieux. Pierre nous raconte :

J’ai découvert l’abbaye par des sessions de chant liturgique. Petit à petit, je suis allé plus loin dans ma foi. Comme j’aime beaucoup la nature et que j’avais été très marqué par Le Maître des abeilles d’Henri Vincenot, je me suis inscrit.
Depuis, je viens dès que je peux. »

« Laudato si » en pratique

Les uns après les autres, les apiculteurs amateurs se faufilent à l’intérieur, entrouvrant la porte rapidement pour ne pas laisser entrer d’abeilles : celles-ci n’ont pas tardé à retrouver la trace de leur production et à prévenir le reste de la colonie…

Dans le local surchauffé, c’est la pénombre, et l’on s’active. L’un gratte les opercules de cire, l’autre glisse les rayons dans la centrifugeuse. Une fois le miel récupéré dans un seau, on opère un premier filtrage puis un second, avant de reposer les rayons vides à l’extérieur, tandis que Frère Christophe essaie pour la première fois de filtrer de la propolis, une sorte de mastic, et remède naturel contre les affections bactériennes. Admiratif, il confie :

Tout est bon dans l’abeille, même le venin, dont on se sert pour soigner l’arthrose.
Ce petit insecte est la clé de voûte entre le monde végétal et le monde animal. Il n’a pas de prédateur.
Quand il pique, il meurt. C’est la guerre sainte : donner sa vie pour protéger la ruche… »

Pendant que le miel s’écoule lentement, se débarrassant de toute impureté, le rythme monastique reprend ses droits, car, comme le dit le Psaume 19 :

Le miel qui coule des rayons est moins savoureux que la parole de Dieu ! »

À la chapelle, l’apiculteur n’est plus qu’une voix qui chante les vêpres. Le travail reprendra demain, après la messe et le déjeuner avec la mise en pots et le nettoyage du local.

Par rapport à d’autres, ces retraites si particulières permette de percevoir concrètement la beauté de la Création. Nul besoin de discours pour prendre la mesure de l’ordre et de l’organisation communautaire de la ruche : il suffit, à chaque saison, d’observer et de s’en occuper. Nul besoin d’explication pour réaliser que le miel est un trésor dont la couleur, le parfum et la texture changent au gré des plates butinées : il suffit de le sentie, le toucher et le goûter.
Christophe Prouvost nous explique :

L’abeille existe depuis cent millions d’années. Elle est essentielle à la pollinisation. Sans elle, plus de fruits ni de légumes.
En chine, elles ont disparu et le travail de pollinisation se fait à la main. »

En France aussi, les abeilles souffrent des polluants et de la multiplication des champs électriques qui les désorientent et empêchent ces reines de l’orientation de retrouver le chemin du bercail. En participant au travail de la ruche, l’homme reprend conscience de sa responsabilité dans la nature. Une application concrète de l’encyclique du pape François, Laudato si !

Propos recueillis par Bénédicte de Saint-Germain
pour l’hebdomadaire Famille Chrétienne