Homélie du 6e dimanche du Temps Ordinaire

18 février 2014

« Quand vous dites ’oui’, que ce soit un ’oui’, quand vous dites ’non’, que ce soit un ’non’. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. »

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Texte de l’homélie :

Dans la majorité des professions, il est demandé une obligation de résultat. Vous faites venir un plombier pour régler une fuite d’eau : après son intervention, on suppose que la fuite sera colmatée, et que l’on pourra dormir sur ses deux oreilles. Il en est ainsi de nombreuses professions, à l’exception – il y en a aussi peut-être d’autres – de la médecine.
Dans ce domaine, il n’est pas demandé une obligation de résultats, mais de moyens.

La vie spirituelle soumise à une obligation de résultat ?

Quand il s’agit de choses matérielles, on peut se demander si nous avons mis tous les moyens en œuvre pour que le patient guérisse. Quand il s’agit du corps, ce sont des moyens visibles, des moyens limités, des moyens que l’on peut évaluer.
Mais, la difficulté que souligne Jésus, c’est que l’on a transformé l’obligation de moyens en obligation de résultats. Dans l’obligation de résultats, on serait « quittes » dans notre relation avec Dieu : « si je fais ceci, si je fais cela… » … je codifie la relation avec Dieu ; et je la chosifie en même temps : « une fois que j’ai accompli tous ces commandements, je suis quitte ! »

Et bien, Jésus nous dit « non : vous avez appris que.. mais moi, je vous dis… ». D’une manière ou d’une autre, Il nous déstabilise. Et Il a commencé à le faire dans le chapitre 5e de Matthieu, avec les Béatitudes qui nous font rentrer dans une autre logique que celle de l’Ancien Testament, où celui qui était pauvre, c’était à cause de son péché ou de celui de ses parents.

Jésus nous invite à rentrer dans l’obligation de moyens

Il nous dit : « Est-ce que tu as mis tous les moyens en œuvre pour accomplir les commandements ? ».
Et on le voit bien : si en matière de médecine, il est difficile de mettre tous les moyens, qui peut se dire quitte avec le Seigneur dans sa vie spirituelle ? pour aimer, par exemple, dans la vie matrimoniale, dans la vie communautaire, dans la vie de baptisé : nous sommes invités à l’amour. Est-ce que je peux dire : « C’est bon ! je sais aimer ! ».

Et ce contre quoi se bat Jésus, c’est cela : les Pharisiens qui, d’une manière ou d’une autre, ont tellement codifié leur relation avec Dieu, qu’ils l’ont vidée de son propre sens, et n’invitent pas à la conversion. Ils se gonflent d’orgueil. Il y a comme une « auto-célébration ».

Et Jésus dit : « Je suis venu pour accomplir. »

Et les exemples qu’Il cite ne sont pas sans intérêt, au contraire : Il parle du meurtre (un des grands commandements), il parle de l’adultère… Il nous emmène plus loin, Il nous déstabilise, Il nous invite à rentrer dans notre cœur.

Vers une conscience plus profonde de notre cœur

En tant que prêtre, il n’est pas rare d’entendre des personnes qui disent ne pas savoir quoi confesser comme péché : « je n’ai tué personne, je n’ai pas volé, je n’ai pas trompé ma femme, je n’ai pas parjuré, non, je ne vois vraiment pas ! ». Il est fréquent de rencontrer ainsi des personnes qui ne voient que la superficie.
Mais, Jésus nous emmène plus vers l’intérieur, plus vers le cœur :

« Si tu t’es mis en colère contre ton frère, si tu insultes ton frère, tu en répondras au grand conseil. »

Le commandement va jusqu’à l’intime du cœur. Toute parole de Dieu est comme une épée à double tranchants qui va jusqu’aux jointures et aux moelles, qui va jusqu’à l’intime : as-tu dans ton cœur des désirs qui s’opposent à l’amour, et qui font que, d’une manière ou d’une autre, tu as tué ton frère. Tu ne te sens pas responsable de ton frère. C’est l’histoire de Caïn : « serai-je responsable de mon frère ? »…
Et parce que je ne m’en sens pas responsable, tôt ou tard, je le tue dans mon cœur. Je le tue par l’indifférence, par le manque d’attention…

Un long chemin de conversion

On voit bien que Jésus nous invite à la conversion. Celui qui ne voit pas l’Évangile comme une obligation de moyens qui l’emmène plus loin que ses propres codes ne voit pas non plus l’appel à la conversion. Ainsi, lorsqu’il va se confesser, il ne voit pas ce qu’il a fait de mal. Et quand on commence à rentrer dans le détail, sans être trop pointilleux, regardons comment nous sommes quand nous sommes énervés : nous est-il arrivé de souhaiter que certaines personnes n’existent plus, ou autour de nous, des personnes à qui il arriverait du mal et je n’en serais pas si mécontent, car ils m’en ont tant fait eux-même…

Est-ce que je me réjouis du mal de mon ennemi ? A ce propos, juste après ce passage, Jésus nous dit :

« Aimez vos ennemis,
Priez pour ceux qui vous persécutent… »

La logique de l’Évangile, c’est la logique du cœur !

Voyez qu’alors, on rentre dans une autre logique. La logique de l’Évangile, c’est la logique du cœur. Et Jésus est venu réconcilier notre cœur qui est dur, et nous faire toucher du doigt que nous ne pouvons pas rester à la surface de nous-mêmes simplement par l’accomplissement de commandements extérieurs à nous-mêmes.
Celui-ci, s’il est intérieur à nous-mêmes – cette parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur – il nous transforme, il nous invite à aller plus loin.

Attention à ne pas laisser notre vie spirituelle ronronner, satisfaite, se reposant sur nos lauriers. En général, il est bien vrai que nous ne sommes pas de mauvaises personnes ; je pense que nous sommes certainement pas des bandits de grand chemin, ni impliqués dans le crime organisé, je suppose ! je vois vos « bonnes têtes », il n’y a sans doutes personne recherché par toutes les polices du monde dans cette assemblée !
Non. Mais, puis-je dire que j’ai tout mis en œuvre pour accomplir le commandement de l’amour ?

Le premier commandement : celui de l’amour

Car, au fond, Jésus remplacera et résumera tous les commandements par le commandement de l’amour. Et on le sait bien, un commandement négatif comme « Tu ne tueras point » est beaucoup plus facile à observer qu’un commandement positif : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, de toute tes forces, et ton prochain comme toi-même ». Personne ne peut dire qu’il arrive jusqu’au bout de cela.

Et c’est pour cela que le Seigneur nous entraîne d’accomplissement en accomplissement. Il y a quelque chose encore qui a besoin d’être accompli en nous, parce qu’il y a quelque chose qui a besoin d’être tourné vers le Seigneur, d’être converti. C’est bien ce que l’on appelle le combat spirituel.
Celui qui n’est pas concerné par le combat spirituel voir sa conscience s’accommoder petit à petit de sa médiocrité.

« Qui ne vit pas comme il pense finit par penser comme il vit… »

C’est ce que l’on appelle aussi la rationalisation : progressivement, je me donne des raisons pour agir comme j’agis, et ma conscience se met progressivement en berne…
Là, au contraire, Jésus vient aiguiser la conscience de ses contemporains, et notre propre conscience : « où en es-tu de l’application des commandements, jusque dans le détail d’amour » – parce que justement, dans l’amour, il n’y a pas de détails.

Alors, frères et sœurs, nous sommes face à un choix – c’est ce que disait la première lecture : « Si tu le veux, tu peux observer les commandements ; il dépend de ton choix de rester fidèle ».
Et cette fidélité de Dieu, tout comme la fidélité humaine, n’est pas une fidélité statique. De même que dans le mariage, la fidélité n’est pas seulement ne pas « aller voir ailleurs » – comme minium syndical – la fidélité de Dieu est une fidélité dynamique, qui avance, qui se donne dans la Création, qui se donne dans les Prophètes, qui se donne ensuite en Jésus, en ces temps qui sont les derniers, dans l’Église, dans le Saint-Esprit, c’est une fidélité qui avance dans le don désintéressé.

On imagine bien cette dureté : je peux très bien être impeccable extérieurement – il n’y a « rien qui dépasse » - mais le cœur est loin de moi, comme le dit le Seigneur. Nous sommes alors invités à faire ce choix : « Si tu le veux ».

Est-ce que nous voulons nous laisser déséquilibrer ?

Dans notre vie, il y a parfois des événements, des rencontres qui nous déstabilisent, lors desquelles on se demande ce que veut le Seigneur.
Mais, on sait bien que la marche est un permanent déséquilibre en avant qui est compensé, comme le fait un enfant lorsqu’il apprend. Si l’on restait crispé, on n’arriverait jamais à marcher.

Aller de l’avant, c’est aussi nous laisser interpeller, nous laisser bousculer intérieurement, sortir de ce train-train, de ce « ronronnement spirituel » qui nous tend parfois des pièges, nous laissant dans l’idée que nous ne sommes « pas si mal que ça »…

N’ayons pas peur d’être bousculés

Il ne s’agit pas de rentrer dans une culpabilisation outrancière. On voit bien ce qu’il se passe dans la vie des saints. Par exemple, le curé d’Ars était lui-même persuadé d’être damné… et pourtant, c’était le curé d’Ars ! Il avait demandé la grâce de voir son péché, et il l’avait vu, et il en avait été tellement horrifié qu’il était sûr de ne pas aller dans le Royaume des Cieux !

On voit chez les saints cette perception plus aiguë de l’amour de Dieu - et donc, plus aiguë aussi – des manques d’amour. Mais quand je reste à la surface des choses, et que je ne rentre pas dans cet amour de Dieu plus exigeant, progressivement, je m’installe dans une forme de contentement de moi-même, et je ne vais pas plus loin.
Or, le Seigneur nous invite à aller plus loin : plus que de nous tirer vers le haut, Il nous tire vers l’intérieur.

Alors, demandons cette grâce à Jésus de savoir nous laisser bousculer, et de nous laisser interpeller par cet évangile . Et demandons aussi cette grâce de désirer être un cœur ardent, de rester fidèle à ce que Dieu veut accomplir en nous,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Ecclésiastique 15,15-20.
  • Psaume 119(118),1-2.4-5.17-18.33-34.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 2,6-10.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5,17-37 :

Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
« Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.
Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise.
Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.

Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux.
Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il en répondra au tribunal.
Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Si quelqu’un insulte son frère, il en répondra au grand conseil. Si quelqu’un maudit son frère, il sera passible de la géhenne de feu.
Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande.

Accorde-toi vite avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison.
Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou.

Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère.
Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur.

Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne.
Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne s’en aille pas dans la géhenne.

Il a été dit encore : Si quelqu’un renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation.
Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d’union illégitime, la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une femme renvoyée, il est adultère.

Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne feras pas de faux serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur.
Eh bien moi, je vous dis de ne faire aucun serment, ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Cité du grand Roi.
Et tu ne jureras pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir.

Quand vous dites ’oui’, que ce soit un ’oui’, quand vous dites ’non’, que ce soit un ’non’. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. »