Homélie du 25e dimanche du Temps Ordinaire

24 septembre 2013

« Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés, avez-vous déjà médité sur la question des poids et mesures ?
À l’occasion de la lecture de cet évangile, je me suis intéressé à cette question-là qui peut paraître un peu rébarbative à première vue, mais qui est très intéressante.

Bien plus qu’une unité de comptage, un choix politique et moral

En effet, le poids et la mesure sont bien souvent une unité culturelle comme en Égypte, par exemple, on mesurait en coudée de kippour, alors qu’en Chine, on mesurait par des multiples de 16. Avec nos amis Anglo-saxons qui mesurent en pieds, en gallons et en yards, bien plus qu’un unité arithmétique, cela dit une culture, une manière d’envisager la vie.

Cela dit aussi une décision politique. Vous savez bien que les puissances coloniales, là où elles avaient pris possession des terres, imposaient non seulement leur langue mais aussi leur manière de compter, de mesurer, parce que c’était une manière de dire que le système politique envisagé allaient jusque dans ce détail de la vie quotidienne. Prend-on conscience de l’espace que prend cette notion de poids et de mesure, nous qui sommes incarnés ?

Cela indique également quelque chose de moral. On le voit bien dans le livre d’Amos avec l’histoire des balances faussées : faussons les prix : « On pourra acheter le malheureux pour un peu d’argent, le pauvre pour une paire de scandales ». Et de fait, de quoi le gérant malhonnête est-il accusé si ce n’est d’avoir été démesuré, d’avoir gaspillé ses biens.

On voit donc bien qu’il s’agit d’un attitude morale et d’une attitude économique. Car, qui dit poids et mesure dit aussi une manière d’envisager les prix. Et vous avez un bureau international des poids et mesures qui se trouve sur Internet. Et en fonction des nouvelles technologies, il s’agit de mesure d’autres choses.

Une autre question : comment mesurer la mesure elle-même ? comment mesurer le mètre ? on utilise la longueur d’onde, la vitesse de la lumière, car on essaye de trouver la mesure juste.

La question des poids et mesures est avant tout une question de justice. C’est donc une question spirituelle, car cela dit la manière dont nous envisageons les choses et les personnes.

La question du poids et de la mesure nous parle de la communion

Que se passe t-il dans l’évangile ? Il s’agit bien d’une question de mesure : il a été démesuré dans l’exercice de sa fonction de gérant – il gaspillait les biens, il a manqué de tempérance – et voilà qu’il remesure la dette. Il barre la dette : « Tu me dois 150, tu inscrits 100 ; tu me dois 100 litre d’huile, tu inscrits 50… », et ainsi de suite. Il redonne ainsi une mesure qui a à voir avec la communion. Il se fait des amis dans la mesure où, précisément, il donne à la dette un autre poids.

Les poids et mesures sont ainsi une attitude profondément spirituelle. Culturelle et économique, certes, morale également, mais aussi spirituelle. À tel point que Jésus dit :

« De la mesure avec laquelle vous mesurerez les autres servira aussi pour vous. »

Et pour en revenir à ce gérant malhonnête, pourquoi le Seigneur le loue t-il ? c’est parce qu’il a remis dans sa finalité quelque chose qu’il avait détourné de son objectif pour son propre intérêt, qui était économique dans ce cas-là.

Et si l’on reporte cela au lien entre les personnes, on peut dire qu’il a redonné une bonté à quelque chose qui servait au contraire à détourner et à asservir l’autre. Il l’a remis dans le bien. Et c’est pour cela que Jésus fait l’éloge de ce serviteur, de ce gérant malhonnête, parce que, de quelque chose qu’il utilisait pour le mal - pour son propre intérêt, pour la démesure, pour asservir les autres, comme ceux qui trompent et faussent les balances pour acheter un pauvre et faire sentir leur pouvoir – il l’a remis dans le bien, c’est à dire au service de la communion. Il s’est fait des amis avec l’argent trompeur.

Deux poids - deux mesures dans notre vie

Dans notre vie, cette question est très vivante. On pourrait dire que les poids et mesures sont extérieures à nous, que c’est du domaine expérimental et mathématique. Mais bien souvent, il y a des choses que l’on peut utiliser soit pour être au service de la communion, soit pour notre ego, au service de notre volonté de dominer.

Des exemples concrets

La question de la politique : le mandat obtenu peut aussi bien être mis au service du bien commun, dans un certain désintéressement, ou alors au service de votre propre gloire, au service de votre propre bien, en ramenant les choses à vous. Mais, il en va aussi de même pour tout.

Pour ce qui est de la religion, quelle qu’elle soit, avec sa vocation à tirer l’homme vers le haut : on peut l’utiliser dans le but d’un asservissement, d’une certaine domination, voire une certaine violence, ou alors pour rendre le monde plus humain, tirer les personnes vers ce qu’elles ont de meilleur.

La question des poids et mesures, et de manière générale, ce que le Seigneur nous donne, demande toujours une attitude morale qui a à voir avec la justice. Et nous sommes amenés à nous poser la question : est-ce que je suis juste ? ou est-ce que dans la manière d’utiliser ce qui est à ma disposition, je suis dans une forme d’injustice en voulant me servir d’abord, et en voulant comprimer le faible ?

Remettre les choses dans leur finalité

Il est vrai qu’à travers cette parabole, Jésus nous dit : « Remettez les choses dans leur finalité » ; il nous invite à revisiter les différents pans de notre vie, que ce soit les relations amicales, par exemple : en tant que telles, elles sont positives, mais je peux m’en servir comme une levier pour un chantage affectif pour obtenir quelque chose. En tant que tel, il n’y a pas tant de mal et de bien que dans ce que j’en fais, qui va donner quelque chose de mauvais ou de bon. L’amitié, la religion, la politique en tant que telles ne sont ni bien ni mal, c’est comment la personne humaine s’en emparera qui rendra bien ou mal car ça traduira à l’extérieur ce que porte chacun à l’intérieur. Et on le sait bien, les grand changements se font de l’intérieur pour changer l’extérieur.

Et il est intéressant de voir Jésus dire : « Il a été habile et s’est fait des amis avec l’argent trompeur » ; qu’y a-t-il d’important si ce n’est d’entrer dans cette communion avec les autres. Il a remis dans la communion ce qui servait à la division. Et nous pouvons nous-mêmes revisiter tout cela dans notre vie.

Analyser les lieux de division

En quoi les lieux de division sont-ils l’inverse des lieux de communion ? Prenons l’exemple des tensions dans les copropriétés – là où il est justement question de mesures – ou encore dans les familles, on le voit bien, il y a des divisions. En quoi puis-je construire la communion ? C’est d’abord un choix intérieur, car cela nous amène à rentrer dans un certain combat spirituel. Car, il n’est pas impossible que nous trouvions notre compte dans cette esprit de division : on dit bien diviser pour régner…

Alors, nous pouvons essayer de voir comment le Seigneur nous appelle justement en remettant les différentes relations, en remettant les différentes réalités matérielles dans leur finalité. Il nous appelle à nous améliorer nous-même et à nous convertir.

Nous laisser convertir par le Seigneur

Demandons donc à Jésus d’avoir cette attitude. Même ce gérant trompeur qui a non seulement trompé son maître en gaspillant son bien mais en changeant le montant des dettes, même celui-là est loué ! Alors, nous-mêmes qui voulons utiliser des bonnes choses pour rendre la communion entre les personnes humaines possibles, à plus forte raison le Seigneur fera notre éloge !

Mais faut-il encore qu’on le désire… car il arrive que nous fassions preuve de dureté de cœur : je ne veux pas changer de cœur, je ne veux pas changer d’unité de mesure par rapport à l’autre, justement, parce que je me suis endurci. La conversion c’est précisément changer de manière de mesurer les personnes et les événements. C’est un regard intérieur.

Demandons au Seigneur de nous améliorer nous-mêmes, de nous modifier en nous rappelant que là où est notre trésor, là aussi est notre cœur,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Amos 8,4-7.
  • Psaume 113(112),1-2.4-6.7-8.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 2,1-8.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 16,1-13 :

Jésus disait encore à ses disciples :
« Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé parce qu’il gaspillait ses biens. Il le convoqua et lui dit :
’Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires. ’
Le gérant pensa : ’Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Travailler la terre ? Je n’ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, je trouve des gens pour m’accueillir. ’
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ’Combien dois-tu à mon maître ? - Cent barils d’huile. ’ Le gérant lui dit : ’Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante. ’
Puis il demanda à un autre : ’Et toi, combien dois-tu ? - Cent sacs de blé. ’ Le gérant lui dit : ’Voici ton reçu, écris quatre-vingts. ’
Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s’était montré habile, car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière.
Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.

Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est trompeur dans une petite affaire est trompeur aussi dans une grande.
Si vous n’avez pas été dignes de confiance avec l’Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ?
Et si vous n’avez pas été dignes de confiance pour des biens étrangers, le vôtre, qui vous le donnera ?

Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera le premier, et aimera le second ; ou bien il s’attachera au premier, et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. »