Le Père Lamy et la miséricorde - Conférence audio

Par le Père Stéphane-Marie, SJM

A l’occasion de l’année consacrée à la contemplation et la pratique de la miséricorde, le Père Stéphane nous a livré une belle méditation sur le Père Lamy, notre fondateur, apôtre de la miséricorde.

Serviteurs de Jésus et de Marie

Quand on parle du Père Lamy et de la miséricorde, deux sentiments montent dans notre cœur.
Premier sentiment : c’est évident ! Le Père Lamy c’est l’homme de la miséricorde, c’est ce qui le définit le mieux. On le voit à travers des petites phrases : « Si Dieu dans sa colère faisait éclater le monde, la Sainte Vierge lui en ramènerait les morceaux ». Les termes sont XIXe mais cela signifie que si le monde sans Dieu va vers ses conséquences, la Vierge ira le rechercher jusqu’au bout, plus loin que le bout. Et c’est l’action du Père Lamy aussi, par exemple avec les enfants. On le pense facilement.
Mais si on y regarde d’un peu plus près, on est pris de vertige. Si on regarde l’histoire de la vie du Père Lamy, il apparaît, au départ comme un prêtre zélé, un prêtre généreux qui s’occupe des enfants, des patronages, qui devient un curé de paroisse efficace mais on ne retrouve pas souvent le terme de miséricorde dans ses écrits. Sa doctrine peut paraître volontariste, insister beaucoup sur la vertu de religion.


Il faut aller plus profond. Comment le Père Lamy est-il devenu l’homme de la miséricorde ? Comment est-il devenu sujet puis agent de la miséricorde ? Enfin comment est-il demeuré dans la miséricorde ?

Comment est-il devenu un homme de la miséricorde ?

Le Père Lamy apparaît d’abord, dans sa jeunesse, comme un éducateur zélé, avec des principes d’éducation. Puis, petit à petit, on voit qu’il est attiré par les gens sans grâce, les gens blessés, ceux qui ne sont pas « conformes » . Pour expliquer cela prenons la fin de l’histoire de la Mère Ripaton, une dame de la Courneuve qui avait l’habitude de passer au presbytère et qui rouspétait tout le temps. Il termine le récit avec cette petite phrase : « Elle n’était pas mauvaise, mais il fallait savoir la prendre. La Sainte Vierge l’a prise ». Le Père Lamy va apprendre à savoir prendre ceux qui « n’ont pas de poignées » pour être pris : les pauvres, ceux qui sont sans grâce, ceux qui sont des pécheurs. On peut faire le parallèle avec l’Evangile où on voit Jésus qui rejoint les pauvres, les pécheurs, ce qui fait scandale d’ailleurs : « Il perd son temps ».

Le Père Lamy va apprendre à savoir prendre ceux qui n’ont pas de poignées"

Quand le Père Lamy parle de Marie, il nous parle de ce qui pour lui est important. Tous les deux ont une prédilection pour les petits et les humbles. Parlant de la prière : "Elle aime la simplicité. Elle est droite, Elle a le jugement saint, il ne faut pas Lui expliquer : guérissez-moi tel nerf… tout cela Elle le sait[…] Elle ne se prend pas dans des prières compliquées. Quand Elle prie notre Seigneur, Elle dit « Jésus » ou « mon fils » et Lui, il dit « Mère » et ils se sont compris. Elle ne dit pas de mots inutiles, Elle ne cherche pas à vous en faire dire un de plus, tant s’en faut."
On voit que, petit à petit, le Père Lamy a appris à regarder avec le cœur, à aller rechercher ce qui est important, le désir de vie chez les personnes, même s’il est encore barré par les péchés, par les difficultés, le manque d’éducation, les blessures…
Saint Paul disait : « Nous ne savons pas ce que nous demandons ». Ce qui est important, dans la prière, ce ne sont pas toutes les histoires qu’on peut se raconter mais c’est de rentrer dans une relation. Le Père Lamy est devenu simple dans la prière comme il est devenu miséricordieux. A travers les enfants, ceux de Troyes d’abord puis ceux de Saint Ouen, le Père Lamy a découvert le cœur des gens, il a rejoint les adultes. Il les prend dans cette prière, il les met en contact avec Jésus, dans la confiance. Comme dans l’Évangile : « Fils du Dieu vivant, ait pitié de moi, pécheur. »

Ce que le Père Lamy va petit à petit capter chez les gens c’est ce qui crie en eux pour le faire monter vers le Seigneur. Il a conscience que notre prière, que nos attitudes profondes ne conviennent pas : toutes nos rêveries, toutes ces choses que l’on invente pour se débrouiller dans la vie. Il va nous amener à la prière avec Marie pour nous faire rentrer dans la miséricorde.
« On vous offre des fruits et on vous donne des feuilles » : c’est-à-dire qu’on voudrait faire de grandes choses, être quelqu’un de bien mais on se déçoit, on déçoit les autres mais « Elle [la Sainte Vierge] les accepte quand même. Je comprends que le diable la redoute car Elle sait attirer la miséricorde sur presque rien ».
Le regard du Père Lamy s’est aiguisé sur ce « presque rien » qui paraît insignifiant, méprisable, ne pas pouvoir rentrer dans nos projets pastoraux, nos projets de vie… Exactement comme Jésus nous dit dans l’Evangile : « Quand tu donnes un banquet, n’invite pas ceux qui peuvent te rendre » et c’est cela le banquet du Royaume.

Le Père Lamy insiste beaucoup sur Marie. Elle embellit les prières à travers son regard et « Elle dore la ferraille, c’est une habile chiffonnière qui sait retirer de là où on ne voit rien, que des chiffons, quelque chose ». Saint Thomas d’Aquin nous dit « la miséricorde c’est Dieu qui nous sauve. Il prend le pécheur pour le sauver et le remettre dans la grâce ».
A la racine de la création il y a la miséricorde qui, de rien, va faire quelque chose. La miséricorde parachève ce qui manque. Si on est dans la justice, on va souligner les défauts, qui nous embêtent, pour les corriger. Les défauts nous paraissent être la barrière qui nous empêche d’arriver au Seigneur. Mais non « Elle [la Vierge Marie] parachève ce qui manque ». Ou encore « Elle s’emploie à diminuer nos faiblesses devant la face de Dieu ». Elle minimise, ce qui choque les jeunes ardents qui veulent refaire le monde.

Le Père Lamy, sujet de la miséricorde

La miséricorde n’est pas l’exercice d’une vertu mais le fruit de l’expérience de la grâce : « moi qui suis pécheur, moi qui suis faible, moi qui suis souffrant, moi qui suis dans mes liens, je suis aimé ». Et Dieu est descendu vers nous. La racine de la miséricorde c’est l’expérience de la Pâque, de la sortie d’Égypte. On rencontre Dieu et le Père Lamy a une expression extraordinaire « L’heure de la désolation, c’est l’heure de la miséricorde ». Dans la Bible, Dieu entend le cri du petit, là où il est. Dieu dit « Je vais descendre » (Exode 3), « je vais mettre mon cœur au niveau de cette misère, pour lui communiquer mon cœur ».

L’heure de la désolation, c’est l’heure de la miséricorde." P. Lamy

Le Père Lamy nous amène ensuite à l’apparition de Gray. Il dit : "Un jour, le démon criait sur moi et la Vierge a répondu « c’est de la faiblesse humaine »".
Le Père Lamy va être sujet de miséricorde. Le pardon est impossible aux hommes. Ce n’est pas un exercice le pardon, ce n’est pas « il faut que je sois bien, que je pardonne ». Non, la miséricorde c’est autre chose. « Moi qui ai une dette immense, une pauvreté immense, une poutre dans mon œil, Dieu m’aime, il vient à ma rencontre, il me sauve. » Et après, la seule exigence de l’Évangile c’est : « Toi à qui il a été fait du bien, fait de même aux autres » si non, c’est le scandale (cf. la parabole du débiteur impitoyable). La miséricorde c’est vraiment cette expérience et pas une bonne action, une vertu.

Le Père Lamy est prêtre à la Courneuve depuis 9 ans lorsque survient l’apparition de Gray. Il a 56 ans et traverse un moment difficile de sa vie. Il sent toujours le démon qui l’accuse. Il vit une guerre intérieure difficile, depuis 4 ans : froidure, défiance, mépris pour le Bon Dieu, émotivité (des émotions de l’enfance lui barrent la route). Il y a du découragement et un dégoût de la vie, une force de mort. Il est confronté au drame de sa pauvreté. L’apparition de Gray ouvre un chemin de miséricorde. Lui qui est pauvre, lui qui est, dit-il « un arlequin de dernière catégorie », le Seigneur lui fait confiance pour porter sa grâce. C’est une expérience fondamentale, comme en Isaïe 43, alors que tout en Israël est détruit : « Je t’aime, tu as du prix à mes yeux ». Dieu va aimer son peuple et faire sourdre une source nouvelle de grâces en lui.
Le Père Lamy va découvrir la Vierge Marie qui le protège, qui lui montre ses blessures mais d’une autre manière : non pas avec un regard accusateur mais pour apprendre à vivre avec la réalité de ce qu’il est.


Marie vient réanimer les grâces anciennes que le Père Lamy a pu vivre, elle les explique. De ce fait il reçoit une nouvelle force. Marie, après lui avoir montré que, dans sa détresse, il est aimé, lui fait une petite direction spirituelle, elle le reprend.
La miséricorde fait tout le contraire de l’amour humain qui dit « convertis-toi et je pourrai être ton ami ». L’amour de miséricorde, lui, dit le contraire : « je t’aime et avec mon amour, peut-être, tu pourras grandir. »
Avant l’apparition, le Père Lamy ne racontait rien de son intériorité ; après, il devient une source, notamment dans les activités pour lesquelles Marie le mobilise : le pèlerinage à Notre-Dame des Bois, la congrégation, qui sont des signes de vie dans un monde bouleversé et malade.
La Sainte Vierge est mère de miséricorde : elle voit les défauts mais elle ne fait pas de reproches. Juste le contraire de la mère du Père Lamy qui rouspétait sans arrêt et qui n’a trouvé à lui dire, lorsqu’il est entré en religion, que : « c’était bien la peine que je te fasse des pantalons toi qui va porter une soutane ! » Marie ne se plaint pas. Nous, nous barrons souvent le chemin de la miséricorde, parce que nous nous plaignons. Le premier pas, c’est d’accueillir l’autre dans sa pauvreté, ce qui va faire un espace aussi pour la mienne. Chez Marie, c’est la joie qui domine. Chez Jésus c’est la même chose, la joie d’être avec les pécheurs car il voit le cœur, la source que le pécheur lui-même ne voit pas. Par exemple avec la Samaritaine, qui arrive avec toutes ses fermetures et que Jésus va amener à être une source pour les autres.
Marie ne flatte pas, c’est le démon qui flatte, mais Elle nous montre nos défauts, dans son regard.

Le Père Lamy devient agent de la miséricorde

Il exerce cette miséricorde dans l’accueil de tous. Il invite à sa table, tout le monde, le jeudi et le dimanche.
Il note que « l’accueil implique de s’oublier soi-même, pour les autres et de supporter avec suavité, les défauts ». A la Courneuve, le Père Lamy loge des familles pauvres dans sa maison. A Guéret, où sa mission est un échec complet, il note « Je faisais bonne figure, je m’attachais surtout aux plus déshérités. C’est le cœur d’un prêtre, quoi ! » Cet exercice de la miséricorde, le Père Lamy le fait aussi dans la prière : « En accomplissant bien l’Office, on obtient aux pécheurs, la miséricorde divine et les bénédictions du Seigneur sur les biens de la terre. »
Comme prêtre, le Père Lamy, exerce surtout la miséricorde au confessionnal. Il confessait beaucoup, surtout pendant la guerre puisqu’il y avait un camp de transit à la Courneuve et donc beaucoup de monde. Il recommande aux prêtres, Serviteurs de Jésus et de Marie, de s’abandonner à Dieu et à sa miséricorde avant de rentrer dans le confessionnal. Revenir à cette grâce fondamentale : « moi qui suis pauvre, je suis aimé ». Deuxièmement, « appliquer les règles du sacrement de pénitence les plus favorables à ces pauvres âmes » dans le sens de tirer du trésor de l’Eglise tout ce que je peux pour qu’ils soient le plus comblés possible, pour qu’ils comprennent le mieux cet amour du Seigneur.
Le Père Lamy va désormais avoir sa « spécialité » en quelque sorte : ce qu’il porte, quand il accueille les gens, qu’il les aide, c’est surtout le souci de l’essentiel des personnes, leur lien au ciel.

Il peut être l’instrument de la miséricorde par sa prière"


Dans les apparitions de la Courneuve ou de Notre-Dame des Bois, il va voir Marie avec les saints mais pas les saints du calendrier. Les gens qu’il a connu dans leur misère, pour lesquels il a prié comme le cantonnier ivrogne qu’il est tout étonné de voir là. Il voit l’efficacité de la prière et comment il peut être l’instrument de la miséricorde par sa prière.

Dans son encyclique« Dives in misericordiae », le pape Jean-Paul II, nous dit que « Jésus est le signe sensible, visible de la miséricorde du Père ». Le Père Lamy, de même, est témoin du ciel, non pas parce qu’il parle d’apparitions mais parce qu’il a appris qu’il est aimé, parce qu’il a été touché par la miséricorde.

Comment le Père Lamy perdure-t-il dans la miséricorde ?

Dans les Écrits Spirituels au n°16, le Père Lamy reprend un sermon de saint Bernard.
Il dit que tous les matins, au moment de la prière, il faut demander la compassion pour les âmes, le zèle pour la règle et l’esprit de discernement (pour n’être ni rigide, ni mollasson) : cela concerne le fond de la personne.
Dans les relations avec les autres, il faut demander aussi la modération dans la correction (pas de critiques sans fin), l’abondance dans l’exhortation et la grâce dans la persuasion.
Concernant les activités, il faut demander la mortification (prendre sa vie en main) pour soi, la miséricorde pour le prochain et la patience pour Dieu.
Au creux de sa première prière du matin, le Père Lamy travaille pour revenir à la miséricorde. Dans l’aridité, une seule solution, se réfugier auprès de la croix. C’est dans le mystère de la croix que Jésus nous sauve. Le Père Lamy voit Jésus vulnérable, qui souffre la même peine que nous alors qu’il est innocent. La miséricorde ne fait pas du Père Lamy un homme fort. Nous avons souvent l’illusion de dire « je suis avec le Seigneur, je n’aurai plus de difficultés ». Or, grand scandale pour les apôtres, plus Jésus avance dans sa vie, plus il devient vulnérable. Il nous faut comprendre que, comme Jésus, nous demeurons vulnérables, pour demeurer dans la miséricorde : « l’heure de la désolation, devient l’heure de la miséricorde. »
Le seul moment où Jésus accepte le titre de roi c’est dans sa passion. C’est dans la faiblesse que va se manifester la force de la miséricorde de Dieu. Le Père Lamy dit « je ne suis rien ». Ce n’est pas un complexe de sa part mais l’invitation à adorer, à louer car ce « rien » est aimé. Prière du pauvre prêtre après la messe : "[…] Si en votre sainte présence mon cœur défaille alors je vous présenterai les plaies de vos mains et de vos pieds et je vous demanderai pourquoi vous avez été si grièvement blessé, j’entends déjà votre réponse « c’est parce que je vous aime, mes prêtres ». Moi aussi, Seigneur, je vous aime de toute l’énergie de mon pauvre cœur."
Le refuge du Père Lamy est la Passion, donc l’amour. On se rapproche de la petite Thérèse qui dit que, si nous sommes pécheurs, nous avons un droit à appeler la miséricorde. La dernière phrase évoque Pierre, qui au bord du lac de Galilée, se voit demander s’il aime Jésus, malgré sa faiblesse.

Pour perdurer dans la miséricorde, le Père Lamy rentre dans la simplicité de la prière : « Seigneur Jésus, ait pitié de moi », « Marie, fille de David, ait pitié de moi », par laquelle il rejoint le dialogue, très simple, entre Marie et Jésus. Jésus donne sa prière : dans le Notre Père, Jésus nous donne son intimité avec le Père pour que nous soyons fils en lui. Voici l’oeuvre de la miséricorde.


CONFÉRENCE AUDIO

Voici l’enregistrement de la conférence donnée par le père Stéphane lors du pèlerinage des frères et de la famille spirituelle des Serviteurs de Jésus et de Marie sur la tombe du Père Lamy, le 1er décembre, date de sa naissance au ciel.
Cette conférence illustre le thème de l’année 2008, la Miséricorde, en s’appuyant sur les Écrits Spirituels du Père Lamy et sur ce que nous savons de sa vie grâce au livre du Comte Biver.
On connaît ainsi l’intimité très grande du Père Lamy avec la Sainte Vierge, qui intercède pour nous et attire sur nous la Miséricorde précisément, et qui en fait un apôtre miséricordieux de premier plan.
Le Père Lamy est l’homme de la Miséricorde, c’est ce qui le définit le mieux.
Le Père Stéphane-Marie développe trois points essentiels :

  • Le Père Lamy objet de la Miséricorde
  • Le Père Lamy sujet de la Miséricorde
  • Demeurer dans la Miséricorde