Homélie du 3e dimanche de Carême

5 mars 2013

« Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas. »

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Texte de l’homélie :

C’est quand il y a des catastrophes – et notre monde n’en manque pas – que, en qui que ce soit, vient se mettre en branle le sentiment religieux : que veut dire cet événement, quelles sont les forces qui interviennent, et s’il y a Dieu, qu’en pense t-il, que fait-il ? Cela se produit que l’on soit religieux ; ici, c’est une histoire de culpabilité, comme avec les Pharisiens : « coupables ou pas de ne pas s’être convertis ? ». Ou alors, si c’est trop fort, le sentiment religieux peut alors se retourner : « Si c’est un Dieu comme celui-là, alors, cela ne vaut pas la peine, et donc, il n’y a pas de Dieu ».
Mais, c’est toujours un sentiment religieux.

Les réponses de Jésus nous amènent à réfléchir

Et ici l’on pose la question à Jésus, à partir des catastrophes. Et il est étonnant de voir que Jésus, suivant son habitude, ne répond pas directement à la question. Jésus nous a déjà habitué à cela par exemple :

  • Avec la Samaritaine, quand elle parle d’eau, elle veut l’eau courante. Mais, Jésus parle d’autre chose.
  • Quand, avec les apôtres, Il parle du levain des Pharisiens, eux parlent de la baguette qu’ils ont oublié d’acheter, mais Jésus parle d’autre chose.
  • Et ici, encore une fois, Jésus ne répond pas directement mais Il poursuit son idée.

Ici, les lectures, d’une manière très intelligente, viennent faire résonner cet évangile. Car en effet, Jésus est venu. Il est l’effigie de la substance du Père. Il est le Verbe, Il est la Parole plénière, et il vient dire qui est Dieu. Et les hommes l’ont souvent repris comme le grand juge, celui qui vient remettre les choses en place, et ils sont dans un rapport de culpabilité : essayer de capter la bienveillance avec Dieu.

Pour Jésus, il en est autrement. Il est fils d’Israël, Il est fils de Moïse, et nous avons ici Moïse qui découvre le vrai Dieu. Non pas celui invoqué par les Égyptiens, qui maintenait dans l’oppression - y compris les Hébreux - qui tenait l’ordre social tel qu’il était. Mais, Il est ce Dieu qui écoute, ce Dieu qui entend.
Et il est important pour nous, comme pour Moïse, de faire attention à cette parole, de tourner autour, de s’intéresser, de nous « déchausser », de nous prosterner pour l’entendre profondément.

Dans un premier temps, c’est le Seigneur qui dit Son Nom. On peut y voir deux dimensions – suivant ce que disent les exégètes :

  • une fin de non recevoir : il lui demande Son Nom et Dieu répond : « Je suis Celui qui suis », et cela nous met bien avec ce sens du paradoxe constant que Jésus nous soumet, où on ne peut pas mettre la main sur Dieu et Le réduire à nos pensées
  • c’est aussi cette révélation de la profondeur du mystère Dieu véritable : Il est l’Être et Il nous amène toujours à entrer dans le réel, et à découvrir ce réel, et à se mettre à son école.

Vient aussi cette définition dans l’action même du Seigneur :

« J’ai entendu, de mes oreilles entendu. J’ai vu de mes yeux la souffrance de mon peuple.
Alors, j’ai dit ; ‘Je viens, je descends’ »

Et c’est ce Dieu sauveur que Jésus nous annonce, comme Son Nom l’indique si bien, qui est aussi toute la trame du livre de l’Exode, qui nous est révélé, qui nous est donné.

Le cheminement de Moïse se compare au nôtre

Vous voyez bien Moïse qui a du mal, il ne connaît pas bien son catéchisme, parce qu’il dit qu’il va aller rapporter ces paroles à ses compatriotes, sans pouvoir dire de qui elles viennent.
Mais, il apprend auprès du buisson ardent, comme nous qui voulons apprendre sans cesse qui est le Seigneur. Non pas ce Dieu, grand architecte, grand ordonnateur des choses, mais ce Dieu qui vient nous sauver.

Dans la deuxième lecture, il nous est donné cette pédagogie que Paul relit à travers les événements de l’Exode. Effectivement, Dieu est sauveur. Il est Celui qui nous accompagne sur notre chemin, qui nous libère, qui nous délivre, qui est présent, qui nous guide avec la colonne de nuée. Et cette grâce a été donnée à tous, tous nous sommes baptisés en Moïse, dans la nuée et dans la mer, dans l’eau et dans l’Esprit, on pourrait dire.

Ils ont mangé la même nourriture, ils ont bu à la même source, parce que le Christ est avec nous. Il est le rocher. Vous le savez, on parle de ce rocher que Moïse a frappé, et la tradition juive raconte aussi que le rocher les accompagnait à chacun de leur étape. Parce que le Christ nous accompagne à chacun de nos étapes. Il est ressuscité, Il est vivant, et Il nous a dit :

« Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin. »

La pédagogie du Seigneur est la même avec le peuple hébreu et avec nous

Alors, par cette pédagogie du Seigneur adaptée à nous et reprise dans l’adresse que fait Paul, nous sommes invités à rentrer dans l’intelligence de cette présence, à l’école de cette présence du Seigneur au milieu de nous. Non pas à l’oublier, à le mettre de côté, à penser que le Seigneur est là pour quelques événements de nos vies, à certains moment dont on se rappelle, mais à se mettre à Son école, à se laisser guider, à se laisser sauver, à se laisser nourrir à chaque instant par Lui.

La lutte des Hébreux dans le désert où ils sont tombés - comme le rappelle ici Paul dans son épître aux Corinthiens – c’est parce qu’ils se sont mis à récriminer contre Dieu. Voyez, on revient bien à nos pensées sur les catastrophes : on récrimine sur Dieu, on récrimine sur les gens, on récrimine sans cesse le monde qui est mal fait, etc… mais Jésus vient, Il descend, Il nous touche, Il nous parle, Il nous prend la main.

On voit cette récrimination dans le texte de l’Exode, avec jeux de pouvoir de Datan et d’Abiran qui déclarent Moïse incompétent, qui l’accusent de prendre tout le pouvoir pour lui. Ces luttes ne sont-elles pas causées par l’insatisfaction, car il n’y a pas assez à manger et il n’y a pas à boire ? On retrouve ici toutes les tentations de Jésus reprises à l’entrée de ce Carême.
Encore une fois, on veut attirer les dons de Dieu à soi, au lieu de se laisser vivifier par eux.

Cette pédagogie est confirmée par la venue du Messie en la personne de Jésus

Jésus nous a bien montré comment Il était le Messie : non pas en multipliant le pain pour être fait roi, car Il s’échappe, non pas par la gloire, non pas par le pouvoir, mais par ce chemin qui nous rejoint au cœur, qui nous vivifie, qui nous fait rentrer dans ce baptême, dans la mer, et dans la nuée, dans l’eau et dans l’Esprit, qui nous arrachent à nos manières trop humaines – comme avec nos raisonnements sur les catastrophes – mais pour nous faire vivre de l’Esprit Saint.

Aussi, nous sommes avertis et l’Évangile y revient encore, après l’énoncé des deux catastrophes, par la parabole du figuier qui ne porte pas de fruit, mais pour lequel le jardinier va encore bêcher une année.

Vous vous souvenez qu’au début de l’Évangile de Saint Luc que nous relisons cette année, Jésus proclame cette année de grâce dans la synagogue de Nazareth. Et bien, nous sommes dans cette année, dans ce temps de la patience de Dieu. Non pas pour en profiter et faire autre chose, mais pour constamment revenir au Seigneur, pour chaque jour réapprendre à nous convertir, à tourner les yeux vers Lui, à Le découvrir, Lui le vrai Dieu, et non pas le Dieu tel qu’on l’imagine, que l’ont imaginé les savants et les philosophes, mais tel que Jésus nous Le livre, et à rentrer à Son école.

Tournons les yeux vers Lui, abandonnons nos manières de faire suivant le Monde comme dirait l’écriture, pour prendre les commandements de Jésus, pour les prendre à cœur et pour apprendre à les faire chair dans notre vie,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 3,1-8a.10.13-15.
  • Psaume 103(102),1-2.3-4.6-7.8.11.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 10,1-6.10-12.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 13,1-9 :

Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient.
Jésus leur répondit :
— « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ?
Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.
Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ?
Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. »

Jésus disait encore cette parabole :
« Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas. Il dit alors à son vigneron :
— “Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?”
Mais le vigneron lui répondit :
— “Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier.
Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.” »