Homélie du 33e dimanche du Temps Ordinaire

19 novembre 2011

« Car celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance. Mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. »

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Texte de l’homélie :

« Très bien : serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu je choses, je t’en confierai beaucoup. Entre dans la joie de ton maître. »

Chers frères et sœurs,

Cette parole, qui résonne un peu comme un refrain pour les deux premiers serviteurs, nous fait penser pour ainsi dire au Jugement Dernier. Un peu comme une sanction dans notre imaginaire, un couperet, voire même, la guillotine du jugement de Dieu, jugement impartial qui sépare les brebis des boucs, qui sépare de droite et de gauche, d’un côté la joie, et de l’autre côté les ténèbres, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents. Et pourtant, le grand commandement qui est de craindre le Seigneur, non pas une peur peureuse et servile, mais un amour confiant dans le dessein bienveillant de Dieu, se transforme alors pour nous en peur panique :

« Seigneur, je savais que tu es un homme dur. Tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain, alors, j’ai eu peur, je suis allé enfouir mon talent. »

Si notre maître est parti en voyage, son fils nous a annoncé qu’il allait revenir bientôt. Certes, nous n’en savons ni le jour, ni l’heure, mais, peut-être que peu importe. Finalement, ce n’est pas important… il nous suffit juste d’achever ce jour dans la paix, certains que le bien qu’il nous a confié a grandi, car nous le faisons fructifier avec confiance, avec audace, avec Sa confiance, et Son audace.
En effet, si nous l’avons laissé au frais, par crainte de le perdre, alors, notre journée est fade. Et la vie se délite petit à petit au long de la journée et l’escalier de la confiance que nous descendons marche après marche finira bien par nous conduire à la cave.

Le maître est confiant

Mais, revenons un instant sur la démarche du maître :

« Un homme qui partait en voyage appela ses serviteurs et leur confia ses biens. »

Permettez-moi de m’arrêter sur le geste du maître : Il part en voyage, et il confie la totalité de ses biens. Il ne donne pas, il confie. C’est différent. Confier la totalité de ses biens sous-entend qu’il va revenir, bien-sûr, pour les récupérer à son retour, sûr du bon entretien de celui à qui il en a confié la garde.
Par exemple, imaginez un petit peu des parents qui disent à leurs amis : « Eh bien, je vous confie mon fiston pour les vacances ». Cela implique qu’ils retrouveront bien sûr leur enfant à leur retour sachant qu’il sera nourri, lavé, blanchi, et que ses amis ne l’auront pas mis au piquet ou rangé dans un coin pour être sûr qu’il ne s’abîme pas, de peur de rendre un enfant maltraité. Et combien plus si des vignes, si des figuiers ne peuvent franchir une saison sans pousser et donner du fruit, on peut trouver évident que les biens du maître vont croître, comme obligatoirement, comme nécessairement.
Confier ses biens implique une confiance dans la bonté et l’attention prévenante de celui qui en a la garde. Alors, quelle bénédiction que de se voir attribuer une si grande confiance d’un si grand maître. Quel honneur de se voir confier de si grands bien d’un si grand maître. Rien que cela devrait nous donner des ailes pour aller encore plus loin, et nous apaiser sur la fameuse date du retour du maître. Confier ses biens les plus chers génère de la confiance et la confiance invite à confier davantage et encore davantage.

« Très bien : serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu je choses, je t’en confierai beaucoup. Entre dans la joie de ton maître. »

C’est là le cercle vertueux de la confiance, animée de la bonté et de la fidélité qui procure de la joie.

La confiance du maître brisée depuis la Genèse

Chers frères et sœurs, je ne peux m’empêcher de revenir au commencement des commencements : à la Genèse. De même que dans notre parabole, Dieu a tout donné dans cette genèse à l’homme, non selon sa capacité, parce qu’au début, l’homme et la femme, image et ressemblance de Dieu, ont la totalité des biens de Dieu, c’est à dire, rien de limité à une capacité, mais selon une totalité, une plénitude.

« Dieu les bénit et leur dit : "Soyez féconds, multipliez, emplissez la Terre et soumettez-là. Dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et les animaux qui rampent sur la Terre. Toutes ces herbes portant semence, je vous les donne pour votre nourriture." »

Que demander de plus ? évidence de la bienveillance de Dieu, confiance de Dieu pour l’homme, et accueil de l’homme face à la bonté de Dieu :

« Dieu vit que tout cela était bon, que tout cela était très bon. »

Le hic dans cette plénitude, dans cette totalité des dons de Dieu communiqués à l’homme, le hic, c’est l’œuvre du serpent : il va briser cette totalité, et cette plénitude en cassant la confiance. D’abord, il mettra le trouble : « pas du tout, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, alors, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux. Et la suite de l’histoire, nous la connaissons. Elle se répète de génération en génération, une confiance brisée, la peur du retour de Dieu, l’homme réduit à une capacité : c’est le péché originel.

Alors, Dieu, de retour dans le paradis se met à chercher l’homme, et là, Adam est en train de grattouiller la terre, à faire l’autruche de derrière les buissons, de se cacher, bien que le Créateur lui a confié finalement le bien le plus cher, son propre corps, ce sera la première chose qu’il va cacher.
Dieu, devant cette situation cocasse, et tout de même un peu affligeante, se risquera à poser cette question naïve : « Où es-tu Adam ? » et Adam de répondre : « J’ai eu peur. J’ai eu peur et je suis allé enfouir mon talent, mon corps, j’ai eu peur parce que je suis nu. Et alors, je me suis caché. »
Cette peur soudaine de la nudité, cette peur de la mort, prouve à Adam qu’il est devenu limité, qu’il ne correspond plus à la totalité des biens de Dieu, dans la création. C’est à dire qu’il est passé de la dignité royale d’image et de ressemblance du Tout-Puissant au rang d’un simple serviteur, réduit à une capacité de faire ou de ne pas faire, de supporter ou de ne pas supporter, de s’inquiéter ou de se rassurer.
Tout cela, c’est bien fatiguant pour un seul homme. Car il ne s’agit plus là d’une totalité, mais d’une partie seulement, correspondante à sa capacité. Dieu est condamné, Il en est réduit à diminuer les dons faits à l’homme car il ne le supporte plus, il ne contient plus autant qu’auparavant. Et l’homme est toujours habité par cette tension intérieure de devenir d’avantage, de désirer plus, de désirer l’infini, d’être attiré par l’immensité, de quêter le bonheur.

Ce sera là l’œuvre du Christ, que de récapituler tous les biens du Père donnés à la Création, mais de façon exponentielle, en sa propre personne. Dans son dessein bienveillant par le Christ, le Père venu communiquer, redonner la totalité de sa divinité. Là où la confiance avait été brisée, la bonté et la fidélité du Christ à sa mission de salut sera notre seule joie.

« Père, entre tes mains je remets mon esprit »

« Très bien : serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu je choses, je t’en confierai beaucoup. Entre dans la joie de ton maître. »

C’est la résurrection.

Renouer avec la Confiance grâce au Seigneur Jésus-Christ

Mais, comme la confiance est dynamique, le bien retrouvé en appelle un autre :

« Tu as été fidèle pour peu de choses, alors, je t’en confierai beaucoup d’autres. »

Il y a là comme une synergie. Se laisser habiter par le Christ implique de lui laisser prendre de plus en plus de place, jusqu’à ce que tout notre espace intérieur soit occupé. Là, il ne s’agit plus de ce petit être malade, le troisième serviteur limité à sa pauvre capacité, et n’ayant pas eu la confiance, encore moins l’audace de faire multiplier son unique talent, mais il devient finalement celui qui profite de tous les fruits de la Résurrection, là où il n’y a plus de limites.
Là, c’est le Royaume de Dieu qui est au milieu de nous.

Alors, si nous revenons sur notre angoisse du Jugement Dernier, si nous avons peur du retour du maître qui revient comme avec sa balance dans les mains pour voir les résultats de notre travail, il faut que nous soyons petits. Il faut que nous soyons humbles devant le retour du maître. Humbles et dans la paix. Il nous faut juste réclamer et profiter de notre pain de chaque jour.
Si le maître nous a confié de grands bien, il sait qu’il nous a donné les moyens de l’accomplir. La grâce nous sera accordée juste pour aujourd’hui, comme dit la Petite Thérèse. Ce qui peut nous préoccuper en ce jour, c’est ce mystère d’habitation, d’habitation de Dieu en l’homme, et rien d’autre.
Là, nous obtiendrons largement plus que la totalité des biens de la Création, nous ne serons plus des serviteurs mais des amis. Nous ne serons plus des amis, mais nous serons des fils, des fils de la Lumière. Ces amis, ces fils de la Lumière, qui sont appelés à collaborer avec le maître, pas seulement pour multiplier son bien, mais pour bâtir son royaume, et apporter la joie au monde.

Saint Paul nous dit : « Aussi, ne manquez-vous d’aucun don de la grâce. Dans l’attente que vous êtes de la révélation de notre Seigneur Jésus-Christ, c’est lui qui vous affermira jusqu’au bout, pour que vous soyez irréprochables au jour de notre Seigneur Jésus-Christ. Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son fils Jésus le Christ, notre Seigneur.
Alors, faisons confiance, offrons-lui jour après jour les dons qu’il nous a lui-même confiés.

Demandons à la Vierge Marie, Demeure du Très-Haut, la docilité et la confiance nécessaires pour que se réalisent les dessins de Dieu en nous. Laissons le maître distribuer ses biens, selon la capacité qu’il décèle en nous. Et comme il veut nous combler infiniment plus, que nous ne pouvons l’obtenir, alors, laissons-le agir, Il veut notre bien,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Proverbes 31,10-13.19-20.30-31.
  • Psaume 128(127),1-2.3.4-5.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 4,13-18.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25,14-30 :

Jésus parlait à ses disciples de sa venue ; il disait cette parabole :
« Un homme, qui partait en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
À l’un il donna une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul, à chacun selon ses capacités. Puis il partit.
Aussitôt, celui qui avait reçu cinq talents s’occupa de les faire valoir et en gagna cinq autres.
De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres.
Mais celui qui n’en avait reçu qu’un creusa la terre et enfouit l’argent de son maître.

Longtemps après, leur maître revient et il leur demande des comptes.
Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança en apportant cinq autres talents et dit : ’Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.
Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. ’

Celui qui avait reçu deux talents s’avança ensuite et dit : ’Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres. -
Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. ’

Celui qui avait reçu un seul talent s’avança ensuite et dit : ’Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé enfouir ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient. ’
Son maître lui répliqua : ’Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu.
Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts.
Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix.

Car celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance. Mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a.
Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents ! ’ »