Homélie du 5e dimanche de Pâques

1er mai 2013

« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

« Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »

Chers frères et sœurs,

« Quand le message vient à étouffer ou écraser la personne qu’il désigne, c’est autant la mort du message que la mort de la personne qu’il veut désigner. »

Peut-être avez-vous déjà entendu cet adage propre aux techniciens de communication. Le message veut désigner quelqu’un, et laisser la personne apparaître comme unique et première, et le message tend presque à s’effacer.

Car, pour ce qui est du commandement nouveau de Jésus : "Aimez vous les uns les autres", j’ai envie de dire, d’une certaine manière, qu’on l’entend et on l’entend encore et toujours, comme un leitmotiv. Il est devenu presque universel sur la Terre entière, à tel point que l’on a perdu tout contact avec la personne même qu’il désignait et qu’il portait, cette personne même qui en est la cheville ouvrière.

« Aimez vous les uns les autres, comme je vous aimés. »

Il parait donc indispensable pour aimer, de passer par Celui qui nous a aimés. On ne peut aimer durablement et efficacement sans la foi dans la personne du Christ.

Amour ou bienfaisance ?

Alors, peut-être me rétorquerez-vous que les Catholiques n’ont pas le privilège de l’amour, et que des personnes non croyantes sont bien plus aimantes que nous. Et c’est vrai, vous auriez bien raison !
Il y a une certaine notion de l’amour, que l’on pourrait appeler la bienfaisance, qui subsiste sans la foi. En effet, de nombreux saints se sont levés, dans notre pays et dans le Monde, pour organiser une civilisation de l’amour. Que ce soit un Damien de Molokaï auprès des lépreux, un Vincent de Paul pour les pauvres et des nécessiteux, une Mère Térésa auprès des mourants… Et aujourd’hui, qu’en est-il ?

Apparemment, sans eux, cela continue : la sécurité sociale, les coopératives, les allocations, les syndicats, les jardins ouvriers, les clubs de foot, même, les hospices, les aumôneries, les visiteurs de malades et de prisonnier, et j’en passe… Autant de fruits d’un amour né dans le cœur d’hommes et de femmes qui se sont clairement sentis appelés par le Christ, à l’aimer à travers les pauvres, les nécessiteux qu’ils rencontraient, leurs frères.

Mais il faut bien admettre que cette civilisation de la bienfaisance persiste aujourd’hui, alors que le porteur du message - et Celui même qui est désigné par le message - semble passer à la trappe comme une contingence, comme une option ou une opinion personnelle juste tolérée. En effet notre société vit - vous m’excuserez - dans une certaine opulence des aides : des aides sociales, des assistances publiques, du secours au SDF, des Téléthon, des Sidaction, même des sauvetages d’éléphants malades… Mais qu’en est-il de l’homme ? Qu’en est-il de sa recherche effrénée de Dieu et de son frère ?

La bienfaisance suffit-elle à combler le cœur de l’homme

Force est de constater que notre XXe et XXIe siècle naissant, est gavé de moyens d’assistance. Mais alors, pourquoi meurt-on aujourd’hui encore de solitude ? Pourquoi aujourd’hui, tant d’hommes et de femmes meurent de désespérance et de manque de confiance ? Pourquoi notre société, apparemment experte en sécurité et en assistance aux personnes, a obtenu le record de mort violente, dépassant sur un seul siècle 2000 ans de guerres et de rapine… ?

Il semble que l’amour ait perdu une certaine consistance, comme le sel perdrait de sa saveur, ou comme la lumière qui perdrait de son éclat, à force d’être cachée sous le boisseau des convictions personnelles. On ne peut garder le message de l’Évangile sans s’attacher à la personne du Christ. Il est illusoire de prétendre vivre les valeurs chrétiennes ou ce que l’on appelle la "morale chrétienne" sans passer par la personne du Christ. Pour cela, je ne peux m’empêcher de reprendre une nouvelle fois les propos de Benoit XVI dans sa lettre apostolique introductive à l’année de la Foi :

« Il arrive désormais fréquemment que les chrétiens s’intéressent surtout aux conséquences sociales, culturelles et politiques de leurs engagements, continuant à penser la Foi comme un présupposé évident du vivre en commun.
En effet, ce présupposé, non seulement n’est plus tel, mais souvent, il est même nié, alors que dans le passé il était possible de reconnaître un tissu culturel unitaire, largement admis dans son renvoi aux contenus de la Foi et aux valeurs inspirées par elle. Aujourd’hui, il ne semble plus en être ainsi dans de grands secteurs de la société, en raison d’une profonde crise de la foi qui a touché de nombreuses personnes.

Nous ne pouvons accepter que le sel devienne insipide et que la lumière soit tenue cachée. »

Basons-nous sur le Christ, Celui qui aime par excellence

Alors, quand on va qualifier le Chrétien comme étant la personne qui aime par excellence, en caricaturant un peu, on le réduirait à la bienfaisance, à la gentillesse et à un service paroissial "bien gentil". Non ! Car, ce qui qualifie le Chrétien, comme le dit Benoit XVI, c’est la foi qui se vit dans la joie et l’enthousiasme suscité par la rencontre du Christ. Benoît XVI nous invite ainsi à revenir à l’exigence de redécouvrir la nécessité de passer par la porte étroite qu’est le Christ. Alors ont pourra dire : « Et toi Chrétien ! Montres-moi ta foi, et je verrai ton Dieu ! »

Parce que Dieu doit passer par nous, Dieu a besoin des hommes. Dieu ne peut agir dans notre Monde sans passer par nous. Dieu a besoin de notre charité. Certes il nous faut utiliser notre intelligence, notre perspicacité, nos talents, notre formation, et une certaine curiosité pour savoir ce dont l’autre a besoin. Là, seulement, Dieu pourra enfin intervenir, car il nous veut libres de poser les paroles et les actes qui manifestent une charité effective. Là seulement, Il nous fera nous dépasser. À nous de prendre le temps de Le voir intervenir, de Le remercier et de Lui rendre grâce de nous avoir ainsi donné les forces de ce qu’Il nous demandait, pour participer à notre Salut et au Salut du Monde.

Alors là, notre amour ne viendra pas seulement dans nos capacités ou nos incapacités à résoudre les problèmes de notre société. Parce que l’amour n’a pas pour but de solutionner. Non. L’amour, c’est d’aimer… « comme je vous ai aimés », nous dit le Christ.

Appelés au dépassement pour manifester la gloire de Dieu

Qu’est-ce à dire ? C’est que ma charité doit manifester d’une manière ou d’une autre la gloire de Dieu. Elle doit manifester quelque chose de bien plus grand que moi-même, de bien plus grand que mes seules capacités. Car, si je ne fais que ce que je sais faire, il n’y a pas grande dignité. Il faut s’unir au sacrifice du Christ pour que, par nous et nos moyens illusoires, Dieu transforme ceux et celles que nous aidons et à qui Il a lui-même donné la vie.

« Maintenant, le Fils de l’Homme est glorifié, et Dieu est glorifié en Lui. En retour, Dieu Lui donnera Sa propre gloire, et Il lui donnera bientôt. »

Alors l’amour pour l’autre peut grandir jusqu’à la bienfaisance, certes. Mais c’est aussi le signe que le royaume grandit. C’est cela mon critère d’amour :

« Que le Royaume grandisse ! »

C’est ce qui fait dire à St Clément d’Alexandrie, Père de l’Église :

« Tu as vu ton frère, tu as vu ton Dieu. »

C’est ce qui a fait dire à une Mère Térésa :

« Quand l’amour est là, Dieu est là. »

C’est ainsi que la gloire de Dieu peut se manifester dans le monde. La grandeur de Dieu peut se mesurer au salut qu’Il nous apporte.

Alors, si des saints ont révolutionné notre société par leur charité et nous ont offert aujourd’hui un système social - si l’on peut dire - hyper développé d’assistance et d’aide, c’est qu’ils n’ont pas cédé à la tentation des solutions, mais ils ont eu l’audace de répondre à l’appel du Christ, appel à être des instruments d’un projet qui les dépassait largement, dont ils n’avaient pas tous les moyens. C’est l’union indissociable de l’amour de Dieu et du prochain.
Alors là, en effet, vous guérirez les malades, vous ressusciterez des morts, vous chasserez des démons, vous déplacerez les montagnes, parce que le Royaume de Dieu est proche.

Le lavement de pieds comme signe d’unité

Le commandement nouveau de « nous aimer les uns les autres comme Jésus nous a aimés » se situe dans l’Évangile de Jean, dans le prolongement du lavement des pieds. Et cela n’est pas anodin parce que c’est un lieu clef pour nous. Ce commandement de se laisser laver les pieds par le Christ est associé à la recommandation de nous laver les pieds les uns aux autres. Il ne s’agit pas, encore une fois, de voir l’autre comme une solution à régler, ou une situation intolérable et insupportable à éradiquer pour mon bien-être la paix de tous. Non. L’autre est celui a qui suffisamment de prix à mes yeux pour qu’il mérite que je m’agenouille à ses pieds pour laver la misère de ses pieds. C’est l’école de la Diaconie, l’école du service de l’autre.

Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Servir son frère, c’est servir Dieu. C’est peut-être la première liturgie de l’Église.

« Ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les mien, c’est à moi que vous l’aurez fait. »

Voila la grandeur du destinataire de notre bienfaisance. Voilà l’auteur du message que nous avons à porter et le destinataire du message que nous avons à porter.

Pour reprendre les paroles de Don Olivier Quénardelle, père Abbé de l’abbaye de Cîteaux, que nous avons rencontré il y a quelques temps avec les frères, je le cite :

« Lavez-vous les pieds les uns les autres, entre vous : c’est le signe de l’acceptation heureuse de la diversité nécessaire à l’amour, à toutes les relations d’amour véritables. Tu n’es pas à moi et je ne suis pas à toi, tu n’es pas moi, je ne suis pas toi. Notre relation dépend de la qualité de l’accueil et du don que nous nous faisons l’un à l’autre, les uns aux autres, comme Jésus nous en a donné le commandement. …
Entre vous, il ne doit plus être question de rivalité, de jalousie et de domination. Vous êtes tous frères, et vous devez vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés.

C’est là le grand signe qui rendra mon Église crédible. »

Que la Vierge Marie notre mère, mère de toute charité, nous donne d’être ingénieux et audacieux dans la charité pour répondre aux appels de notre monde. Demandons lui la grâce de l’humilité pour passer la porte étroite qu’est le Christ, cette porte qui est la juste mesure de notre charité, qui est l’efficacité de toutes nos paroles et nos actes, de notre bienfaisance. Ainsi nous aimerons comme le Christ nous a aimés. Pour la gloire de Dieu et le Salut du Monde.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 14,21b-27.
  • Psaume 145(144),8-9.10-11.12-13ab.
  • Livre de l’Apocalypse 21,1-5a.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 13,31-33a.34-35 :

Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti, Jésus déclara :
« Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui.
Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire ; et il la lui donnera bientôt.

Mes petits enfants, je suis encore avec vous, mais pour peu de temps, et vous me chercherez. J’ai dit aux Juifs : Là où je m’en vais, vous ne pouvez pas y aller. Je vous le dis maintenant à vous aussi.
Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »