« Donner la foi aux jeunes ! » (archivé)

Extrait de l’interview de Père Laurent-Marie pour le journal La Nef - Avril 2014

Notre Supérieur Général, Père Laurent-Marie livre ce mois-ci une interview au journal La Nef, en tant qu’ami et collaborateur occasionnel…

Voici un extrait de cet entretien pour ce qui concerne la Congrégation :


La Nef – Que sont les Serviteurs de Jésus et de Marie (SJM), pourriez-vous nous retracer rapidement leur histoire ?

Père Laurent-Marie Pocquet du Haut Jussé – Les SJM ont été fondés en 1930 par le P. Jean-Edouard Lamy, mais cette première fondation dans le diocèse de Tours fut un échec. Le P. Lamy étant lui-même mort en 1931, il avait confié son projet à un laïc, son biographe, le comte Paul Biver. C’est lui qui s’est porté acquéreur de l’abbaye d’Ourscamp dans l’Oise. Durant la Seconde Guerre mondiale, quelques jeunes s’y sont installés. Ce nouveau regroupement a été un temps placé sous l’autorité de l’Abbé général du Saint Ordre de Cîteaux. L’institut a été reconnu par l’évêque de Beauvais comme congrégation apostolique de droit diocésain en 1948. Nous sommes maintenant une trentaine de frères répartis en trois maisons : Ourscamp, le prieuré Saint-Bernard d’Ottmarsheim (Haut-Rhin) et la Casa Padre Lamy en Argentine.

Pourriez-vous nous dire un mot du Père Lamy, votre fondateur ? Où en est son procès de béatification ?

Jean-Edouard Lamy est né en 1853, dans la Haute-Marne. Il entre dans la congrégation des Oblats de Saint François de Sales, fondée à Troyes par le Père Louis Brisson, béatifié en septembre 2012. Il s’occupe alors d’un patronage pour la jeunesse défavorisée tout en se préparant au sacerdoce. En ville on le surnomme « le curé des voyous ». Il est ordonné prêtre le 12 décembre 1886.
Lorsque sa congrégation doit quitter la France, il se met au service du diocèse de Paris. D’abord vicaire à Saint-Ouen, il est nommé en 1900 curé de La Courneuve, qui est à l’époque un gros village de maraîchers. Il y reste jusqu’en 1923, développant une activité apostolique tout à fait remarquable et qui fera dire à son archevêque, le Cardinal Amette : « J’ai un deuxième Curé d’Ars dans mon diocèse, le Père Lamy. »
Il doit présenter sa démission en 1923 pour raisons de santé et se retire à l’infirmerie Marie-Thérèse, maison de retraite des prêtres du diocèse de Paris. Il fréquente alors le cercle Maritain et exerce une influence spirituelle que beaucoup de contemporains ont reconnue (comme Stanislas Fumet ou Julien Green). Maritain écrira : « Avec des dons surnaturels admirables de sagacité et de bon sens, de sagesse pratique, de finesse exquise, une énergie surnaturelle illuminée par la charité habitait ce pauvre prêtre… Il apportait avec lui cette présence substantielle, pacifique et tendre où la sainteté se fait connaître. »

Dès 1909, il reçoit du Ciel l’intuition d’une fondation d’un institut religieux mais il ne se voit pas du tout comme fondateur. Il sollicite en vain plusieurs prêtres pour le suppléer (comme le prince Ghika). Il se décide enfin en 1930, aidé de son grand ami Paul Biver, mais l’expérience ne dure que quelques mois, malgré l’approbation romaine. Il meurt soudainement le 1er décembre 1931.

Nous n’avons pas encore entamé de démarches quant à sa béatification. Cela est une tâche trop lourde pour un petit institut comme le nôtre. Pour l’instant nous cherchons à mettre au propre toutes nos archives concernant le P. Lamy et l’histoire de la congrégation, et il y a déjà fort à faire !

Quelle est votre spécificité en tant qu’ordre religieux et votre spiritualité ?

Notre famille religieuse a comme charisme spécifique l’éducation de la foi des jeunes, à l’école de saint Bernard et de saint François de Sales. Cela passe par de multiples activités d’accueil et de formation chrétienne qui s’adressent aux familles, aux enfants, aux étudiants, aux fiancés, aux jeunes couples… Nous sommes au service des paroisses et des diocèses comme aumônier et directeur de mouvements de jeunes et d’éducation, de patronages ou de camps que nous organisons…
Mais le premier témoignage que nous voulons donner est celui d’une vie conventuelle et fraternelle où le service divin, la liturgie, la prière personnelle et communautaire ainsi que l’étude nourrissent profondément notre vie de baptisés et de consacrés.

Notre famille religieuse a comme charisme spécifique l’éducation de la foi des jeunes.

En ce temps de crise des vocations, où en êtes-vous et d’où viennent les jeunes hommes qui frappent à votre porte ?

Je ne pense pas qu’il y ait parmi nous un profil type de vocation. Certains ont connu la communauté en venant réviser leurs examens à l’abbaye, d’autres parce qu’un prêtre les a orientés vers nous (ce fut mon cas !), d’autres parce qu’ils ont participé à telle ou telle activité que nous organisions, d’autres parce qu’ils nous ont rencontrés à l’occasion d’une mission paroissiale ou dans leur établissement scolaire… Ils ont alors perçu l’appel de consacrer toute leur vie à Dieu dans la vie religieuse apostolique, à la suite du P. Lamy. Le reste, c’est le mystère de l’alliance entre une liberté humaine et la grâce prévenante de Dieu, la fascination qu’exerce la personne du Seigneur Jésus, la joie de participer à l’œuvre de la Rédemption, le choix de prendre chez nous Marie pour Mère et éducatrice spirituelle, comme elle le fut pour notre fondateur tout au long de sa vie.
Ceux qui nous rencontrent ou vers qui nous allons notent la dimension mariale de notre existence et c’est ce qui nous frappe tous dans la vie du Père Lamy, sa grande intimité avec la Mère de Dieu, l’expérience de sa présence maternelle et prévenante, la certitude qu’Elle prend soin de ses enfants, de tous ceux qui se confient à son intercession toute-puissante et qui suivent son exemple.

Comme beaucoup de familles religieuses françaises, nous connaissons une baisse sensible du nombre des entrées mais nous sommes heureux de compter quelques vocations argentines. Pour nous aussi l’Amérique latine est « le continent de l’espérance » pour reprendre l’expression du bienheureux Jean-Paul II ! La situation en France est aussi une invitation à redoubler de ferveur dans l’accomplissement de notre vocation et de générosité apostolique !

Vous recevez des fidèles pour vos retraites et accompagnez des jeunes : comment percevez-vous la jeunesse actuelle ? Voyez-vous une demande de sa part, un retour vers une certaine foi ?

Votre question m’intimide et m’embarrasse. Il est difficile de vous répondre car nous sommes en lien avec des groupes de jeunes très variés : ceux que nous accueillons pour réviser leurs concours ou leurs examens sont différents de ceux qui viennent préparer leur mariage ou élaborer avec nous une activité apostolique ou caritative, ou que nous emmenons en camp d’été. De plus, depuis des décennies, à la suite de chaque grand événement ayant réuni beaucoup de jeunes (Jubilé, JMJ, Manifs pour tous), les médias catholiques notent l’émergence (enfin !) d’une nouvelle génération plus réaliste, plus militante, plus enracinée, plus réveillée, n’ayant plus de comptes à régler avec les générations précédentes, fatiguée des querelles qu’ont connues leurs parents… Ce dont je suis sûr, c’est qu’il faut travailler à une formation doctrinale, spirituelle et pratique à long terme, faire vraiment œuvre d’éducation de la foi, ce qui n’empêche pas de saisir aussi toutes les occasions d’un témoignage et d’une évangélisation directs (ce que font certains frères sur les marchés et les places !). En tant que religieux, nous témoignons d’abord de la primauté de Dieu et de la vocation surnaturelle de l’homme, vocation qui ne s’épanouit que dans la vie éternelle. J’espère que les jeunes qui nous fréquentent perçoivent, même confusément, cet appel et cette réalité. Les jeunes sont-ils plus accessibles aux grandes questions touchant le sens de l’existence, le désir infini d’être heureux, la présence traumatisante du mal et du péché ? C’est en tout cas à nous de leur permettre de se les poser…

Une partie de cette jeunesse est très engagée dans les mouvements nés autour de la contestation du « mariage pour tous » (cf. les « veilleurs », par exemple) : comment analysez-vous ce phénomène et comment voyez-vous l’avenir alors que la société semble irrémédiablement divisée sur la façon même d’appréhender ce qu’est l’homme ?

La réponse de tous ces jeunes et leur engagement manifestent un sens évident du bien commun de toute une société. On caractérise souvent la jeunesse comme individualiste. Pour tous ces jeunes qui militent et qui témoignent, il n’en est rien. Le pape François vient de nous rappeler dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium que la nouvelle évangélisation comporte une dimension sociale fondamentale. Défendre la dignité de la personne humaine, c’est en effet rappeler ce que sont l’homme et la femme, la famille et la société dans le plan de Dieu, c’est rappeler la beauté, la consistance et les exigences de l’ordre de la création. Et cet enseignement est accessible en droit sinon en fait à tout homme de bonne volonté et qui pense sainement. D’où l’exigence de formation qui a surgi comme spontanément suite à tout ce mouvement de société. Et ce ne sont pas les propositions qui manquent aujourd’hui.

Un discours qui ne reposerait que sur la transmission des valeurs chrétiennes conduit à l’apostasie.

Je ne crois pas à un retour du christianisme sans le Christ lui-même. Un discours qui ne reposerait que sur la transmission des valeurs chrétiennes conduit à l’apostasie. C’est le Christ qui révèle à chaque homme sa valeur et sa dignité et lui seul peut nous sauver du désespoir assuré dans lequel nous place irrémédiablement notre condition humaine déchue. Mais il est vrai aussi que la découverte de la beauté et de la grandeur de l’anthropologie chrétienne peut être pour beaucoup l’occasion de découvrir le Christ, sa personne et son œuvre.

Propos recueillis par Christophe Geffroy, publiés dans le n°258 d’avril 2014 et redonnés avec l’aimable autorisation du journal.

D’autres thèmes d’actualité sont abordés dans le texte intégral de l’entretien.