Homélie du 4e dimanche de Carême

12 mars 2013

« Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. Allez chercher le veau gras, tuez-le ; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. »

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Texte de l’homélie :

« Mon fils, tout ce qui est a moi est à toi. »

Chers frères et sœurs,

En ce dimanche de la Joie, dimanche de mi-Carême, permettez moi de revenir sur deux images, certes un peu légères : il s’agit de deux parties de cache-cache mémorables entre Dieu et l’homme relatées dans la Bible. Deux parties de cache-cache bien différentes, comme deux poids et deux mesures :

  • La première c’est Dieu qui cherche Adam dans le paradis avec une certaine lenteur, tant pour l’appeler que pour se le réconcilier
  • La deuxième c’est le Père qui cherche avec précipitation son fils pour le saisir dans ses bras, pour lui donner le pardon et la filiation.

N’est-ce pas finalement une seule partie de cache-cache qui s’étend tout au long de la vie du chrétien, et que l’on pourrait aussi appeler la Rédemption, c’est à dire, le plan de sauvetage de Dieu pour nous…

Dieu qui cherche l’homme dans la lenteur et la patience

Regardons d’abord ensemble la première partie, celle de la lenteur et la patience de Dieu. Adam avait reçu tout son avoir, c’est à dire tout ce que Dieu avait préparé pour lui. Dieu lui dit :

« Tout ce qui est a moi est à toi. »

Pour ainsi dire : « Je vous donne tout ce que j’ai créé, tout ce que j’ai façonné, tout que j’ai trouvé si bon ». Jusqu’à donner ce qui lui est le plus cher à son cœur, la pièce maîtresse de son œuvre : Adam sera confié à Ève et Ève à Adam.

Adam, par accident, par mauvais choix, va acquérir le discernement en mangeant le fruit de l’arbre de la connaissance. Le voilà devenu comme Dieu, connaissant le bien et le mal. Il s’érige comme un juge de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. C’est une charge insoutenable et écrasante qui est normalement le privilège de Dieu.

Ce pas décisif franchi le fait sortir comme hors de son corps pour constater qu’il était nu. Il devient alors une sorte d’étranger de son corps, de sa propre chair. Il découvre sa nudité qu’il va fuir dans une sorte de pudeur malsaine.

Nudité pourtant si nécessaire pour reconnaître Ève, son égale. De la saine attirance vis à vis d’Ève, il cède alors à la convoitise et va ainsi fuir ce corps de péché. Il décide alors de perdre sa noblesse de créature à l’image et à la ressemblance de Dieu, pour se revêtir de feuilles de figuier.

Alors, l’homme, comme un étranger, va se cacher à lui-même, va se cacher à sa femme, va se cacher à Dieu. Étranger à lui-même, il devient aussi éloigné de Dieu, pensant pouvoir se cacher du regard de l’Éternel, un regard si perçant qu’il perçoit le plus intime des cœurs.

Il se cache parmi les arbres du jardin. Lui pourtant si différent des végétaux, le voilà qui se prend pour un arbre ! Lui qui avait pourtant perçu qu’il était le responsable et le dépositaire de toute la Création sous le ciel, il mêle sa condition royale de créature jusqu’à se croire assimilé à ce qui lui est donné pour nourriture et qu’il avait lui-même nommé et qui signifiait sa supériorité.

S’il nous était permis de prêter un sentiment à Dieu, on dirait que le Créateur avance dans la désolation, Dieu est désolé au cœur du Paradis. Il veut laisser le temps à Adam de se préparer à cette rencontre, pourtant si familière au départ. Il veut laisser Adam se préparer à reconnaitre que quelque chose a changé. Étonnement, Dieu, dans une lenteur respectueuse, se risque à lancer un appel, à poser cette question dans le silence de mort qui règne désormais dans le Paradis, comme s’Il ne le savait pas :

« Adam, où es-tu ? »

Et devant sa réponse toute confuse, il lui demande comment il en est arrivé là, à se cacher, alors qu’ils étaient si intimes.

« Qui t’a appris que tu étais nu ? »

… comme si Adam ne le savait pas au point de départ. Cette nudité, pourtant, était si nécessaire à reconnaître, dans un corps à corps, nudité à nudité, Ève, celle qui le ferait devenir homme, lui, Adam, qui la ferait devenir femme.

Le cœur de Dieu est comme meurtri de la perte d’Adam :

« Qu’as-tu fait là ? »

Dieu doit se plier au choix d’Adam et va lui interdire l’accès du jardin d’Éden pour qu’il cultive le sol dont il a été nourri, dont il a été tiré. Par charité, Il lui offre une tunique de peau et l’en revêt. Puis, vient le temps de l’attente, de la préparation, de la Révélation, de l’alliance. Il ne faut pas moins de cinquante livres de l’Ancien Testament pour arriver jusqu’à l’Évangile d’aujourd’hui.

Une énergie nouvelle dans le Nouveau Testament

Il fallait ce temps pour que l’homme se prépare aux retrouvailles. Une fois que l’heure du grand pardon est arrivé, une fois que l’heure du nouvel Adam et de la nouvelle Ève adviennent, une fois que la Vierge Marie peut donner naissance au Christ pour le présenter à Dieu sur sa croix et nous racheter dans Sa Résurrection. À ce moment-là, Dieu rentre dans un immense empressement. Vite :

« Vite ! Apportez la plus belle robe et l’en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds.
Amenez le veau gras, tuez le, mangeons et festoyons. » (Luc 15)

L’histoire est sensiblement la même entre le premier Adam et le fils prodigue, mais on pourrait dire que le cache-cache ne se termine pas tout à fait de la même manière. Là - si l’on peut se permettre - Dieu triche : Il dépasse le temps, Il dépasse les distances, Il ne laisse même le temps à son fils de se mettre en chemin pour revenir jusqu’à la maison. Il veut le gagner, gagner son cœur, le conquérir. Il veut absolument se le réapproprier.

De même nous avons un fils, une créature, qui va recevoir tout son avoir. Le Père, dans sa grande prodigalité, va tout lui donner. Il lui dit :

« Tout ce qui m’appartient et que j’avais amassé pour toi, tout ce que j’avais de si bon, je te le donne. Car cela te revient, c’est ta part d’héritage. »

Le fils va en profiter par tous les plaisirs de la chair et de la table. Si tout les biens du Père étaient très bons, le fils, lui, va perdre petit à petit sa bonté. Il va perdre petit à petit le sens du bien. Il va comme sortir jour après jour de son corps, comme Adam, pour devenir encore une fois un étranger en sa propre chair. Il va perdre sa dignité, il va reconnaître qu’il est devenu un étranger de la maison du Père. Mais bien plus que de devenir un étranger, il va perdre de sa propre maison :

« Je ne mérite même plus d’être appelé ton fils ; prends moi comme l’un de tes ouvriers. »

Ce fils prodigue, un peu comme son aïeul, va perdre sa dignité de créature pour se confondre avec les arbres. Lui, il va se cacher un temps avec les porcs, ces animaux infâmes, regardant avec envie ce qu’ils mangent. Il se voit mourir de faim et décide alors de revenir dans la maison du Père pour avoir au moins la dignité de travailler pour se nourrir. Cette terre dont il avait été tiré et lui a été donnée généreusement pour sa subsistance. C’est parce qu’il a mal au ventre, qu’il a faim, qu’il va au moins se rappeler de la générosité de la terre de son père.

« Combien d’ouvriers chez mon Père on du pain en abondance… »

Mais ce qu’il ne perçoit pas encore tout à fait, c’est que la terre pour laquelle il est fait et qui lui a été promise est bien plus nourrissante encore. Elle est nourrissante en vie éternelle.

Alors, il sort de sa cachette de honte et de mort. Il va à peine commencer à prendre la route, comme pour lever le pied, pour faire un pas, et Dieu est déjà là, dépassant le temps et la distance. Dieu est là, ne lui laissant pas le temps, d’emprunter ce long chemin. Dieu va se mettre à courir, dans un immense empressement, pour le saisir, pour se saisir de lui pour l’embrasser.

Il est dans un empressement d’amour pour le saisir de ses mains créatrices, pour le refaçonner de son pardon. Il va quitter Son geste du potier pour prendre le geste créateur de la mère et la main rassurante du père. Ainsi, Il va le blottir contre Son sein, celui qui se prenait pour un arbre ou un porc va devenir presque comme Dieu : image et ressemblance. Alors, oui :

« Apportez vite la plus belle robe et l’en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds. » (Luc 15)

Vite ! Il y a une urgence absolue, une urgence d’amour, parce que l’homme a perdu sa dignité. Vite, il y a une extrême nécessité de lui pardonner ses actes pour qu’il retrouve sa grandeur de fils. Vite : « J’ai un immense désir » dit Dieu. « J’ai un ardent désir, dit le Seigneur, de retrouver à mon fils, celui qui est à mon image et ma ressemblance. Vite, il me faut anoblir, comme adouber, celui qui voulait être pris pour un journalier, un ouvrier. » C’est la joie immense du père de regagner celui qui avait été perdu.

Les grandes retrouvailles avec le Père

Ainsi, dans un immense empressement et une immense joie, toute la Création, toute la cour céleste s’empressent de le revêtir de la nouvelle tunique. Certaines traductions iraient même jusqu’à dire que c’est la « première tunique ». Il revient ainsi en son propre corps. Sa nudité est ainsi préservée, sa dignité élevée, et il peut retrouver sa vocation à la communion. Il revêt l’habit de l’immortalité, il se voit recouvert du corps même du Christ, « l’unique et première tunique ».

Aussi, on lui passe l’anneau au doigt. Il porte maintenant le sceau qui va lui donner l’autorité du souverain lui-même. C’est la noblesse de la filiation retrouvée.

« Car mon fils, dit Dieu, tout ce qui est à moi est a toi. »

Il porte maintenant la marque des élus. Il porte le signe de ceux qui sont lavés par le bain d’eau qu’une parole accompagne : le Baptême.

On lui passe les chaussures, des sandales, aux pieds : c’est la tenue de l’homme libre, par opposition à celle de l’esclave. C’est celui qui peut emprunter le chemin qu’il choisit, le chemin qu’il désire, le chemin qui le mène à sa finalité : à son père. Certes, il ne mérite pas tant de prévenances. Mais Dieu, l’anticipe, assume sur lui tous ses mérites, parce que Dieu le veut libre. Dieu le cherche inlassablement pour prendre sur lui ses misères.

Frères et sœurs bien-aimés, laissons Dieu gagner le cache-cache. C’est un peu « qui perd-gagne ». Il y a plus de joie à se laisser trouver qu’à chercher à rester dans la solitude dans sa cachette, cherchant soi-même des solutions à nos soucis. Notre vraie joie, c’est de se laisser trouver et de se laisser saisir par Dieu.

Alors, demandons à la nouvelle Ève, la Vierge Marie, Celle qui nous est donnée comme nouvelle mère de l’Humanité, comme notre mère, demandons-Lui de nous donner assez d’humilité pour nous laisser saisir par Dieu, acceptant de perdre nos cachettes douillettes, mais certainement mortifères. Dieu contempla celui qu’il avait créé et vit que cela était très bon.
Alors ayons l’audace de nous perdre dans ce cache-cache, de nous perdre dans les bras de Dieu. C’est très rentable : on est sûr de gagner. C’est mieux que le viager, c’est l’héritage même du vivant, parce que :

« Mon fils, tout ce qui est a moi est à toi. »

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Josué 5,9a.10-12.
  • Psaume 34(33),2-3.4-5.6-7.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 5,17-21.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 15,1-3.11-32 :

En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole :
« Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.”
Et le père leur partagea ses biens.
Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.

Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.
Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
Alors il rentra en lui-même et se dit :
“Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.”

Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers.
Le fils lui dit :
— “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.”
Mais le père dit à ses serviteurs :
— “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.” Et ils commencèrent à festoyer.

Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses.
Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait.
Celui-ci répondit :
— “Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.”
Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier.
Mais il répliqua à son père :
— “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !”
Le père répondit :
— “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” »