Conflits, faut-il tendre l’autre joue ?

Conférence Spi&Spi - Père Pierre-Marie

« Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. » Nous connaissons tous ces paroles de Jésus rapportées par Saint Matthieu. Mais que le Christ a-t-il voulu dire dans ces paroles qui résonnent si intensément dans notre Foi chrétienne ? et si "tendre l’autre joue" signifiait plutôt "montrer un autre visage", "avoir un autre regard"…

Écouter l’enseignement :

Père Pierre-Marie

Dans saint Matthieu (5, 38-48) :

Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent.
Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.
Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.
Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent,
afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Résumé de la conférence :

Ne pas comprendre cette Parole de Dieu matériellement, c’est-à-dire de façon doloriste. Jésus ne réclame pas qu’on le flagelle d’avantage. On ne va pas réclamer qu’on nous frappe une nouvelle fois.

Ce texte est un des sommets de l’Évangile.

Frapper sur la joue droite signifie frapper à revers de main droite !! A tel point que dans la loi d’Israël, frapper du revers de la main était puni deux fois plus que frapper simplement du creux de la main. Parce que cet acte montre une détermination supérieure, une plus grande détermination dans la violence…

Le cœur de cette affaire, c’est la manière d’exercer la justice. Qu’est-ce que qui est juste ? Le Seigneur nous fait entrer dans une autre manière d’aborder les conflits. Les conflits font partie de notre vie. Certains ont peur des conflits. Or il n’est pas possible de tenir dans une vie en société si l’on refuse le conflit.

- Où en suis-je dans mon accueil du conflit ?
Quand je dis non à quelque chose ou à quelqu’un, mon opposition va forcément créer des tentions.

Nous, chrétiens, pouvons être à l’origine de conflits.
Être en conflit, c’est dire : « je tiens à quelque chose ».
Suis-je encore capable de m’indigner ? Comme Jésus s’est indigné devant les marchands du Temple ?
C’est plus difficile quand on est jeune d’entrer en conflit, notamment dans le milieu professionnel, car cela comporte des risques. Mais le monde professionnel est un monde de conflits.
Ne cherchons pas à plaire à tout prix. L’Évangile, ce n’est pas être gentil… Dans l’Évangile, on trouve de nombreux conflits (le péché originel, Caïn et Abel, Sarah et Agar, Jacob et Ésaü, etc…)

Le fait de se positionner va faire réagir les autres. Et le fait de ne pas se positionner, d’être consensuel est aussi un choix.

Il y a des lieux pour le conflit.
Ex : dans la communauté, tous les lundis matins, il y a réunion de Communauté, et nous sommes invités à nous exprimer sur un point qui ne va pas. Il y a telle chose que je n’aime pas, ou qui me coûte. Quand on a quelque chose de désagréable à dire à quelqu’un, on doit toujours utiliser le pronom « je »…
Dans la vie professionnelle, il y a l’entretien annuel dans lequel on peut faire part de ce qui ne va pas.
La situation est plus difficile lorsqu’il n’y a pas de lieu pour dire les choses. Dans le conflit entre Caïn et Abel, il n’y a pas une parole, pas d’espace pour une explication. Et cela se termine dans un bain de sang.

Attention à la manière dont on dit les choses. Attention à la correction fraternelle. Dans l’Evangile, on trouve une indication sur cette manière de dire ce qui ne va pas à son frère : « Si tu vois ton frère dans le péché va le lui dire »

Dans l’Ancien Testament, dans le Lévitiques, on trouve la phrase : « œil pour œil, dent pour dent ». Il y avait un souci de justice, avec une proportion dans le châtiment… mais c’était devenu une loi de vengeance. Jésus parlait dans le contexte de cette loi de vengeance : à aucun moment il n’y avait la notion de pardon.

Se pose aussi la question de la réparation.
Quand j’ai fait du mal à quelqu’un, comment puis-je réparer ?
Et si moi-même j’ai été blessé, quelle réparation puis-je attendre ? Quelle réparation vais-je demander à celui qui m’a offensé ?
Exemple de la confession : le prêtre a comme tâche de donner une pénitence au pénitent. Il faut que la pénitence soit intelligente, qu’elle soit en accord avec la faute. Le prêtre doit se demander : quelle pénitence va faire grandir cette personne-là ?
Pour la justice, il existe les Travaux d’Intérêt Généraux.

Qu’est-ce alors que présenter l’autre joue à son agresseur ?
C’est présenter un autre visage à celui qui m’a blessé.
Si on t’a blessé sur ce côté du visage, présente l’autre côté, celui qui n’a pas été blessé…
Quel est l’autre visage que je peux présenter ? Quelle est mon attitude face au mal, face à l’injustice, face à l’agresseur ?
Il faut évidemment stopper l’agresseur. Mais quel regard ai-je par rapport au mal ? Ai-je un regard de foi ?
Ré-écoutons ce que dit Jésus dans ce passage :
« Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.
Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !”

Tendre l’autre joue, c’est rentrer dans une logique de don, et de pardon.
Et il est dommage que ne soit pas institué un pardon dans la loi française. Pas de possibilité pour celui qui a été offensé que son pardon soit acté en justice…

Dois-je demander une réparation et faire payer l’autre ?
La vengeance n’est jamais une réponse, elle ne guérit jamais l’offense. Jésus nous dit « qu’est-ce qui va guérir l’offense sinon le pardon ? ». Montrer un autre visage face au mal.

Comment sait-on qu’on a pardonné ?
Il y a deux critères : penser à celui qui nous a offensé paisiblement, que cela ne déchaîne pas de mauvais sentiments, de violence. Et se réjouir du bien qui arrive à celui qui nous a offensé et s’attrister du mal qui lui arrive.
Ces deux critères concrets, si nous les vivons, sont un signe qu’on a peut-être pardonné.

Jésus nous demande de passer d’un souci de justice « donnant-donnant » à une logique de don et de pardon.

Présenter l’autre joue est un principe spirituel, une attitude intérieure.

Et c’est en même temps dénoncer le mal.
Et ce n’est pas facile. Il faut s’appuyer sur la prière, sur l’aide du St Esprit. Il y a une justice, on doit porter plainte, pour empêcher l’autre de recommencer.
Mais pour ce qui est de l’attitude intérieure, Jésus nous invite à l’apaisement. Voir le mal avec les yeux de Dieu. Tu vas aller plus loin dans le don de toi-même.

Le mal te fait-il te recroqueviller sur toi ? Ou va-t-il réveiller en toi une profondeur supplémentaire ?

Les personnes avec qui la vie est compliquée sont celles qui vont nous faire le plus grandir. Est-ce que là ne m’est pas donnée une chance pour que je puisse changer mon cœur ? Une chance de pouvoir regarder l’autre d’une autre manière ?
Humainement c’est impossible. Dans Isaïe, « mes pensées ne sont pas tes pensées, mes chemins ne sont pas tes chemins ». L’homme pense d’une autre manière que Dieu, mais on peut entrer progressivement dans la manière de voir de Dieu.

La colère n’est ni bonne ni mauvaise.
Elle peut être voulue, face à un mal présent ou un bien mis en danger.
« J’essaye d’avoir le regard de Dieu sur ma femme. » disait un homme en difficulté dans son couple.
Est-ce qu’on a un regard de foi sur ce qui nous coûte ? Un regard spirituel ? Est-ce qu’on demande la grâce ? Ce contact avec l’autre ne m’aide-t-il pas à changer ?
« Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent ». L’ennemi c’est celui qui vient toucher mon incapacité d’aimer, celui qui m’exaspère… s’il pouvait ne pas être là, ce serait mieux… c’est là l’ennemi ! L’ennemi c’est mon proche. « Priez pour ceux qui vous persécutent. »

Jésus nous dit « ne répond pas par le mal ». Sans faire d’angélisme bien sûr.

L’usage de la violence ne peut pas être la violence pour la violence. C’est contre-productif.

Le chrétien établit un regard nouveau sur le mal.
Il faut que tu montres un autre visage face à celui qui t’offense. As-tu prié pour lui ? Jésus n’est pas passif pendant sa Passion. Il répond à Pilate. C’est une manière active, mais d’abord intérieure, de réagir. C’est une attitude intérieure.

En tant qu’aumônier de prison en Argentine, je me suis trouvé face à des gens qui ont fait le mal. Et j’aurais souhaité que l’agresseur et l’agressé se rencontrent. Pour que chacun redécouvre l’autre comme une personne. Et ce n’est pas facile !! Quand on a été violenté, quand on a perdu un être cher assassiné… Dans les prisons, on voit les dégâts du mal…
C’est difficile de rencontrer la personne qui nous a agressé.
Cas d’un prisonnier qui avait écrit à la fille d’un homme qu’il avait assassiné. J’avais remis la lettre à cette femme. Mais la lettre n’a jamais été ouverte…

Le meilleur remède au mal c’est le bien.
Saint Paul nous dit d’être vainqueur du mal par le bien. Face à celui qui commet le mal, je prie pour lui, je le bénis, je lui donne le double de ce qu’il demande.

Sans la grâce, c’est impossible. Vraiment impossible. Ce n’est pas notre simple générosité qui va venir à bout du mal. C’est une profonde intimité avec le Seigneur. C’est un regard de foi.
Ne soyez pas surpris de rencontrer le mal. Après une jeunesse préservée, on peut être surpris par le mal… on ne pense pas que ça peut exister. Et nous, chrétiens, il nous faut embrasser la réalité. Nous ne sommes pas dans un monde de bisounours.

Cas d’une jeune fille renversée par une camionnette. Le chauffeur arrêté était alcoolisé à 10h du matin ! Il y a eu un procès. Les conséquences sur la santé de cette jeune fille sont importantes. A la fin du procès, l’homme a été condamné. Les parents de la jeune fille sont allés le voir et lui ont dit « On espère que vous vous en sortirez. »
Eh bien, c’est cela être chrétien. « Bénissez ceux qui vous ont fait du mal ».

La perte de la foi chrétienne dans nos sociétés occidentales fait que la justice se transforme en vengeance. Où est la place faite au pardon ?

Quand on est face à la personne que nous avons agressée et qu’elle vous donne son pardon, là se trouve l’Évangile !

Il nous faut la grâce pour nous changer. Être vainqueur du bien sur le mal. Être vainqueur du mal par le bien. Il nous faut demander au-moins la grâce de pardonner, d’avoir cet autre regard. Même si on a du mal à le vivre, demander au Seigneur cette grâce.
Accorder son pardon à quelqu’un, c’est aussi renoncer à ce droit que nous avons de lui faire payer ses torts. On a, en tant qu’offensé, des droits sur l’autre. Le pardon c’est renoncer à exercer ce droit sur l’autre.
La difficulté c’est quand l’autre ne reconnaît pas l’offense. « Non, c’est toi le problème ! »
Le pardon n’est pas forcément la réconciliation. Parce qu’elle demande d’être au-moins deux. Mais au-moins faire ce travail intérieur pour moi. Aidé de la grâce du Seigneur.

Et puis il ne faut pas sous-estimer l’importance de la médiation. Dans un procès, il y a un perdant et un gagnant. Dans la médiation, il y a deux gagnants (dans une relation commerciale). Il faut développer une culture de la médiation. Le non-dit est mauvais.

Montrer un autre visage, c’est avoir un autre regard.