Homélie du 5e dimanche du Temps Ordinaire

10 février 2020

« De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs, vous savez que ce dimanche est particulier car nous sommes invités à prier pour les malades. C’est sans doutes l’approche du 11 février – de Notre-Dame de Lourdes – qui a inspiré cette journée de prière pour les malades. Et il est assez heureux de voir –avec la providence de la liturgie – qu’il est question de faire le bien autour de soi. Certainement auprès des malades – visiter les malades est un signe de la présence du Messie, avec la prière et la guérison qui leur est proposée – mais aussi tout le bien que l’on peut faire dans un monde qui est bouleversé et malade, pour apporter de la lumière.

Apporter de la lumière

Apporter de la lumière, c’est apporter du réconfort, se rendre sensible à ces personnes qui sont dans le besoin¸ le besoin matériel n’étant pas le plus important : dans notre société occidentale, le besoin est de combler une certaine solitude, un certain délaissement, un manque de socialisation.
Avec la perte de la place de la vie chrétienne dans notre société, on voit combien cette la solitude va augmentant, et ces ténèbres de la solitude va gagnant les cœurs… Il y a là une urgence.

Prenons alors conscience qu’il y a en nous une capacité à éclairer l’autre. Et Jésus nous invite à le faire par le lien que nous pouvons faire.
Vous le savez car nous l’avons vu au début de cette eucharistie, on demande pardon pour le bien que nous n’avons pas fait, pour avoir péché en parole, par action et par omission. Savez-vous ce que signifie par « omission » ? il ne s’agit pas d’avoir oublié quelque chose mais plutôt de voir le bien que l’on peut faire et de ne pas le faire, par égoïsme, par peur de sortir de ma zone de confort, parce que je suis pressé, que sais-je… : « J’ai vu cette dame chargée avec son cabas, j’ai vu le bien que cela pouvait être de l’aider car elle semblait en avoir besoin, et je me suis dit qu’elle aurait du ne pas prendre autant de choses et j’ai continué mon chemin. » Voilà le péché par omission.

La grâce de voir le bien

Et s’il vous est donné de voir le bien à faire, c’est déjà une grâce. C’est une grâce qui engage. Certaines personnes ne voient pas le bien à faire, qui ne se rendent pas compte. On pourrait le juger facilement comme égoïstes, mais ils n’ont pas un rapport à l’autre plus indifférent que nous, ils ne voient pas.
Mais s’il vous est donné de voir le bien qui peut être fait dans telle situation :un soutient, une parole, un appui, une présence, vous vous êtes rendu compte qu’il y avait une souffrance, un manque, c’est une grâce à accueillir. Posez-vous alors la question de la réponse : « Comment puis-je y répondre moi-même en allant à la rencontre de celui ou de celle qui est dans une situation de fragilité. » « Alors, ma lumière se lèvera en pleine nuit, et ma ténèbre ne sera plus ténèbre… »

Les ténèbres disparaissent

Cette ténèbre qui habitait le cœur, par le fait de se rapprocher par la présence, par l’amour désintéressé de l’autre, fait que la lumière du Christ rayonne. Et nous sommes rendus capables de cela par le baptême. C’est précisément ce qui a été très fort au début du Christianisme : comment ces personnes qui avaient tout - il y avait beaucoup de personnes de la noblesse romaine avec une certaine aisance, une élite en somme – allaient prendre soin des nécessiteux et des miséreux. Et c’est ce qui a fait que le christianisme s’est répandu, car cela posait question : on se demandait comment cela était possible.
N’oublions pas que c’est un phénomène actuel : Mère Térésa a été mal accueillie en Inde car il était admis dans ce pays que ces personnes miséreuses vivaient leur destin, leur carma, et il ne fallait pas s’y opposer. Et elle était venue et en prenaient soin, les accompagnant jusque dans leur mort entouré d’affection et de tendresse…
Vous voyez bien que ce geste était remarquable, pas si fréquent que cela. Et en même temps, on sent un tel besoin de rapprochement de nos jours, il y a un tel isolement, une telle indifférence dans nos sociétés, notamment parce que la vie chrétienne y est beaucoup moins présente, parce que la lumière de l’Évangile ne brille pas comme elle le devrait.

Alors, le Seigneur nous dit attention de ne pas mettre la lumière sous le boisseau, sous le prétexte de rester dans sa zone de confort, ou que ce sont les services sociaux qui sont sensés s’occuper de cela : rien ne remplace la manière dont vous êtes présents. Chacun de nous a une qualité de présence unique, qui lui permet de découvrir que le Seigneur peut se rendre présent à ses côtés. C’est important d’en prendre conscience : personne ne peut aimer à la manière que j’ai d’aimer, avec la même qualité, avec le même regard, avec la même intensité. Et si je ne le fais pas, il y aura quelque chose qui manquera sur cette terre, parce qu’il y aura une manière d’exprimer l’amour de Dieu qui ne sera pas au rendez-vous.

Oui, il est intéressant de se dire que notre capacité d’aimer, notre attention aux autres, si nous ne sommes pas les seuls à le faire, nous en avons la responsabilité. Non pas l’exclusivité de l’amour et du soutient, heureusement, mais les Chrétiens en ressentent la responsabilité. Cette lumière là, cette capacité à donner le goût aux choses à l’image du sel vient du fait que les chrétiens savent que le Seigneur a pris soin d’eux. Et quand on a découvert la présence de Dieu dans sa vie, on est spontanément poussé vers l’autre, poussé à ouvrir le cœur vers autre chose.

Une charité qui nous dépasse infiniment

J’aimerais maintenant attirer votre attention sur un autre point : quelle est la différence entre faire le bien - par esprit d’humanité : quand quelqu’un tombe dans la rue, on se précipite, on veut soutenir, on prévient éventuellement les secours etc, pas besoin d’être chrétien – et faire le bien au nom de l’Evangile ?
Au fond, donner à manger, soutenir, c’est bien ce dont parle la première lecture : « Couvre de vêtements celui qui est nu, accueille chez toi le sans abri, ne te dérobe pas à ton semblable… » de nombreuses personnes le font de part le monde, et c’est heureux, car le monde est moins dur. Mais, comme chrétien, on le fait de façon différente, même si matériellement c’est le même geste, mais on prend conscience que les actes que nous posons retentissent dans l’Éternité. D’une certaine manière, ce que nous faisons a à avoir avec la présence de Dieu, et avec le Royaume de Dieu.
Nous le faisons comme les autres, mais pas avec la même perspective que les autres.

Une présence comme signe du Sauveur

Il y a aussi un autre point : nous prenons conscience que nous sommes signes et non pas solutions. C’est une notion capitale, car si vous vous lancez dans l’aide de proximité aux personnes en difficulté, il y a toujours un danger : celui de se prendre pour le sauveur. « Je vais éradiquer la pauvreté de la surface de la Terre. » De même pour la maladie, pour l’exclusion… Non ! Je suis signe, et non pas solution.

Le signe est important car il ramène à l’Eucharistie et à tous les sacrements qui sont des signes visibles d’une grâce invisible. Chaque acte d’amour désintéressé nous renvoie à cette célébration dominicale, et nous pouvons nous en approcher.

Pendant des siècles, on a vu tant de laïcs, tant de consacrés aller aux frontière de l’humain, là où les frontières semblaient les plus épaisses pour annoncer la lumière du Christ, pour établir un dispensaire, une école – que sais-je – pour que l’humanité puisse grandir. Mais tout cela en ayant conscience qu’il n’est pas en notre pouvoir d’éliminer la souffrance de ce monde : il est juste en notre pouvoir de l’alléger, et qu’en participant à l’Eucharistie, c’est toute cette souffrance que je n’arrive pas à rejoindre, que je n’arrive pas à soulager, que je n’arrive parfois même pas à comprendre que je dépose sur la patène et que j’offre au Seigneur.
Voilà ce qui fait qu’on ne perd pas l’Espérance.

Comme je vous l’ai dit d’autres dois, j’ai été aumônier de prison en Amérique latine durant des années, et j’ai vu des personnes se décourager qu’il n’y ait pas de conversions avec la visite des prisonniers. Je n’ai personnellement vu aucune conversion. Ils ne voyaient pas de changement, pas d’amélioration. Pas de remerciement, plutôt des insultes. Et cela m’a fait beaucoup réfléchir et je me suis dit que lorsque l’on rentre dans une dimension de personnes en fragilité, de personnes qui sont dans les ténèbres, quand on va se confronter à ces ténèbres avec la lumière du Christ, ayons conscience qu’elle éclaire, mais qu’il n’y a que dans l’au-delà que l’Amour va pouvoir inonder notre cœur. Ce n’est pas pour cette terre.

Il faut renoncer au Paradis terrestre. Et si l’on n’a pas cette espérance de l’Au-delà qui nous dit que nos actes retentissent dans l’Éternité, je me découragerai et j’abandonnerai. Et c’est ce dont j’ai été témoin. Ces personnes étaient plutôt dans une quête d’approbation et de parole valorisante. Or, on le sait bien, quand on est auprès des personnes plus fragiles, désocialisées, marginales et même violentes, ce ne sera pas ce genre de paroles qui sortiront de leur bouche. Et si on est en quête de cela, on arrête et on laisser tomber, parce que l’on a perdu de vue que l’espérance de chaque acte que je pose renvoie à une plénitude qui n’est pas de soi mais annonciatrice :

« La lumière se lèvera dans les ténèbres. »

Il y a quelque chose de lumineux dans l’amour désintéressé. Cette parole d’Évangile rejoint celle d’Isaïe, et elle est tellement actuelle :

« Fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante…
Ta lumière se lèvera dans les ténèbres. »

Quelle est la plus grande pauvreté ?

Il y a tellement d’urgence à cela dans notre monde où l’on sent bien que l’on a des difficultés à entrer en contact les uns avec les autres. Il y a des fractures, des raidissements, des effets de communautarisation, de fermeture à l’autre, mais nous allons au devant de celui qui est fermé, et nous voulons simplement, par notre présence, annoncer une lumière, une espérance, parce que la présence est précisément ce qui manque le plus quand on est dans les ténèbres. Et quelle est la présence auprès de laquelle on pourra se ressourcer, si ce n’est l’Eucharistie, la présence réelle. C’est pour cela que tous les grands saints de la charité – comme Saint Vincent de Paul - en disaient :

« On quitte Dieu pour Dieu… »

A une religieuse qui lui disait : « Un pauvre sonne à la porte et je suis à la messe, que dois-je faire ? »
« Vous quittez Dieu pour Dieu. »

Et ce lien entre le contact avec la personne en fragilité et l’Eucharistie, qui est le signe de la fragilité – qu’est-ce qu’un peu de pain et un peu de vin face à tant de souffrance : rien ! – est très fort : ces deux choses unies sont lumineuses, elles s’interpellent et dialoguent.

Voilà l’importance d’une vie de prière. C’est pourquoi je regrette parfois que dans les œuvres de charité et de bienfaisance de l’Église la dimension spirituelle soit trop peu présente. Par exemple, je ne suis pas certain que l’on commence souvent une soupe populaire par un bénédicité, et c’est dommage, car la grande pauvreté est d’abord intérieure. Dans nos sociétés occidentales, il y a malheureusement de la misère matérielle, mais on sent que c’est surtout cette solitude qui attend une réponse et que la grande richesse est la découverte d’une présence qui nous habite : le croyant n’est jamais seul.

Demandons au Seigneur de nous aider à vivre les choses dans une unité. Il peut y avoir beaucoup de dévotion sans attention à celui qui a besoin, comme il peut y avoir aussi un soutien à celui qui a besoin sans contact avec le sacré. Demandons au Seigneur d’unifier en nous ces deux dimensions, qui sont au fond les deux dimensions de la Croix : vertical et horizontal, le vertical étant la sacralité et la transcendance, l’horizontal étant notre humanité. Demandons au Seigneur cette grâce parce que ce n’est pas si simple, car le faire d’unir la transcendance et la proximité nous fait rentrer en tension.
Demandons l’aide du Seigneur et la prière de la Vierge Marie, Elle qui a su être présente au pied de la Croix. Toute l’humanité est concernée par la Croix d’une manière ou d’une autre : elle est soit sur la Croix, soit au pied de la Croix.
Puissions-nous demander à la Vierge Marie de nous aider à découvrir la présence d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 58,7-10.
  • Psaume 112(111),4-5.6-7.8a.9.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 2,1-5.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 5,13-16 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.
Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »