Homélie du quatrième dimanche de Carême

29 mars 2022

“Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.”

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Cette semaine, six-cents prêtres ont été invités à suivre une formation à la pénitencerie apostolique. Et le Saint Père leur a parlé sur le sacrement de réconciliation, et entre autres choses intéressantes, il a insisté sur trois points : l’accueil, l’écoute et l’accompagnement.

Quand il parle de l’accueil, il dit ceci :

« L’accueil est ce qui aide le pénitent à s’approcher du sacrement avec le bon esprit, à ne pas rester replié sur lui-même et sur son propre péché, mais à s’ouvrir à la paternité de Dieu, au don de la grâce. »

Voilà ce que Jésus fait aujourd’hui : Il découvre ce qu’est cette paternité de Dieu et qui elle concerne.

Quand on est fidèle que l’on essaye de suivre le chemin du Seigneur comme le fait le fils aîné, car c’est à lui que cette parabole est adressée. Elle n’expose pas seulement le processus pour revenir au Seigneur…

En effet, dans le premier verset, on voit qu’il y a deux type d’auditeurs : les publicains et les pécheurs - les gens qui sont loin de Dieu, loin de l’Église et d’une vie ordonnée selon les commandements – puis il y a les scribes et les pharisiens qui font tout pour être de bons serviteurs. Ainsi, c’est un scandale que Jésus s’intéresse à tous les gens "déclassés", à tous les gens qui ne sont pas dignes ni conformes à la Loi. Mais, c’est à eux que Jésus va parler, c’est eux qu’Il va enseigner.

Cela restera toujours une question qui dérange et cela se comprend : que cela signifie cette facilité d’accueil de Jésus ? que l’on travaille ou pas au Royaume, on recevra la même chose, selon ce que nous dit la parabole des ouvriers de la dernière heure. Le même salaire sera versé que l’on ait travaillé une heure ou travaillé toute la journée ?

Dans notre époque où la justice sociale tend à s’aiguiser, c’est incompréhensible ! Mais, pour cela, il faut voir le contexte qui est décrit dans les chapitres 14 et 15 de cet évangile. Il est fait constamment mention du festin et de la joie d’y être invité. On y renvient d’ailleurs à chaque célébration eucharistique :

« Heureux les invités au festin des noces »

Le chapitre 14 nous expose l’accueil des pauvres, et il commence par la parabole de celui qui veut prendre la première place, qui veut se mettre en avant car il se sent supérieur, mais qui doit partir honteux, même si sa vie est bien droite.
Le Pape François propose ce néologisme dont il a le secret : « Attention à ne pas balconner ! », à ne pas se supposer meilleurs que les autres et à les regarder du haut du balcon parce que l’on n’attirera personne ainsi à la grâce du Seigneur.

« Si tu donnes un festin, invite les pauvres, invite les gens qui ne pourront pas te rendre ! »

Il y a une autre parabole qui traite de ce sujet là, avec les invités qui sont trop occupés pour se rendre à la noce et le maître de maison remplit la salle parce qu’il veut que le festin soit plénier. La volonté de Dieu, ce qu’il chérit par dessus tout, c’est que tous soient invités au festin.

Dans ce chapitre 15, il y a deux autres petites paraboles : celle de la brebis égarée - dans laquelle on voit que le pasteur est prêt à laisser les 99 autres pour aller à sa recherche, sous cette forme d’excès et d’abondance de la miséricorde du Seigneur - et celle de cette femme qui a perdu une drachme dans la maison. Et notons que dans les deux cas, ce n’est pas la brebis qui se repent et qui veut revenir mais le Seigneur qui la cherche. Ce n’est pas la drachme qui se rappelle à la femme pour être trouvée, mais c’est la femme qui cherche.

C’est bien cette image que l’on a dès le début de la Bible et qui parcourt comme un fil continu : c’est Dieu qui cherche Son peuple, Il appelle et désire et inviter les hommes car Il les cherche quelqu’ils soient, à quelques point qu’ils soient. Chacun et espéré et attendu par le Père à quelque point qu’il en soit.

Le désir de Dieu, c’est donc faire entrer dans le festin. Et comme un vrai père, Il désire que tous ses enfants y entrent : le fils aîné comme le fils cadet.

Le fils cadet ressemble à la brebis qui s’est égarée, qui était loin, et le fils aîné ressemble à la drachme qui est restée dans la maison, mais les deux ont besoin de retrouver le père, de passer de la mort à la vie.

Le fils aîné, qu’est-ce qui l’empêche d’être fils ? Vous l’avez entendu, s’il est clair pour nous que le fils cadet a rompu un lien avec le père et qu’il vit comme un peu comme esclave, le fils aîné se tient en dehors, disant qu’il n’a pas eu sa part. Et pourtant, le père lui répond :

« Tout ce qui est à toi est à moi. »

Et l’on peut dire de lui aussi qu’il a vécu son service comme un esclave lui aussi. Et le père veut les ré-intégrer tous les deux, les faire passer de cette condition de mort à la vie.

Notons que le fils cadet a gardé ce lien car il l’appelle encore « père » pour lui dire qu’il n’en est pas digne, ce que l’on ne retrouve pas chez l’autre. Mais, la surprise, c’est que le mot "péché" qu’il emploie n’est pas relevé par le père, ni pour être souligné, ni pour être effacé ou minimisé. Le père ne regarde pas les conséquences matérielles ou morales de son choix, il regarde son fils qui était mort et qui est maintenant vivant :

« Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ! »

Il ne dit pas qu’il "croyait" son fils mort, il en était convaincu.

De même, le père ne fouille pas les motivations du retour du fils, nous voyons bien que c’est juste pour survivre. Mais, ce qui importe, c’est de refaire ce lien de paternité, de refaire cette filiation qui n’est pas liée au mérite, mais qui est une décision du père ?

Vous l’avez entendu dans la deuxième lecture, cette miséricorde du père, ce regard, cet intérêt nous sont confiés à tous. Il nous faut rentrer dans ses sentiments du père.

Quand au fils aîné, il est seulement dans cette optique de la rétribution : si tu fais bien, tu auras la récompense, si tu fais mal, tu auras la punition. C’est notre loi habituelle, celle qui est décrite dans le livre de Job : quand il reçoit du mal dans sa vie, il y a cette question "qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour que cela m’arrive ?"

On l’entend souvent chez des personnes qui ont connu un décès ou une épreuve particulière : elles ont quitté Dieu à cause de cela. C’est quelque chose de très répandu et il est important que nous sachions répondre à tous ceux que nous rencontrons et qui attendent quelque chose. Nous avons la mission d’être la main d’un ami qui enlève les écailles des yeux pour pouvoir accepter la grâce du Seigneur.

Job lui même est pris parce questionnement et il va essayer de s’en délivrer. Il réussit à la fin d’un long parcours à sortir de cette logique de rétribution dans laquelle marchent ses amis qui sont de fervents, intelligents et passionnés. Et Job va y parvenir dans sa prière, dans son ouverture à Dieu et va se montrer reconnaissant envers Lui. Et Dieu va Se montrer comme Père, comme Celui qui est à l’origine de toutes les merveilles du monde.
Et Job va apprendre à regarder comme Père.

Dans le texte, vous avez entendu « Il fallait ».

« Il fallait se réjouir et festoyer. »

Ce qui est important, c’est que nous puissions proposer la vie et inviter à la vie. Cette invitation se fait d’abord par l’accueil comme le soulignait le Pape François.

Cela va de pair avec cette question : est-ce que nous faisons peser la faute sur l’autre ou est-ce que nous l’accompagnons dans une écoute et dans l’accueil qui permettent d’aider l’autre, de pouvoir se libérer et retrouver ce lien.

Et c’est en retrouvant ce lien que nous allons avoir la force de régler nos comportements, de régler ce qui est à mettre dans l’ordre, et renoncer à résumer à « Il faut » et « Il doit »…

L’évangile n’est pas réservé aux super héros qui sont capables de tout traverser, il est adressé aux pauvres et aux petits, à ceux qui sont blessés, à ceux qui sont morts pour qu’ils retrouvent la vie.

Et pour cela, nous avons besoin de redécouvrir cet amour immense du Seigneur, et les hommes, quels qu’ils soient, ont besoin de le redécouvrir à travers nous.

Nous sommes donc invités à la conversion. C’est cette conversion du regard, de l’image de Dieu que nous pouvons avoir et cette volonté de rentrer dans cette vision de Dieu qui est père et qui appelle chacun, qui sait attendre, qui ne force pas les un ou les autres.

Nous ne méritons pas le Salut, mais nous venons au Père, nous crions vers Lui. Le mérite serait une conséquence de cet amour que nous recevrons du Seigneur et que nous porterons.

Cette semaine, je vous invite à vivre le sacrement de réconciliation dans cet esprit, dans cette joie de retrouver le Père.
Je vous invite également à prier pour les prêtres qui exercent ce ministère afin qu’ils soient dans une vraie écoute, dans un vrai accueil, un vrai accompagnement pour permettre à chacun de rentrer dans cette joie du Père.

Que vous puissiez, ainsi que les prêtres, être ces rayons de la lumière de Dieu,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Josué 5,9a.10-12.
  • Psaume 34(33),2-3.4-5.6-7.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 5,17-21.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 15,1-3.11-32 :

En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole : « Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.” Et le père leur partagea ses biens.
Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin.
Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
Alors il rentra en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.”

Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers.
Le fils lui dit :
— “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.”
Mais le père dit à ses serviteurs :
— “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.” Et ils commencèrent à festoyer.

Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses.
Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait.
Celui-ci répondit : “Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.”
Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier.
Mais il répliqua à son père :
— “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !”
Le père répondit :
— “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” »