Frère Michel Nazare Aga, l’accueil d’Ourscamp

29 avril 2025

Arrivé à l’Abbaye en 1944 au tout début de la communauté, Frère Michel y a vécu presque 60 ans. Il fait ainsi connu les premiers moments de la communauté. Véritable âme d’Ourscamp, il n’a cessé de servir le Seigneur et ses frères. Nos plus anciens qui ont été accueillis à l’Abbaye depuis de nombreuses années se souviennent de son sens de l’accueil. Après une vie riche apostolats divers, il est retourné vers le Père en 2002.

Les étapes de sa vie ont été reprises dans le bulletin n°200 de l’année 2002 (pages 12 à 25) avec les photos de son itinéraire.

Né en 1927 d’un père un aviateur de renom descendant d’une illustre famille iranienne, Frère Michel est français par sa mère. Mais, à l’âge de cinq ans, il connaît la grande épreuve d’être séparé d’elle car elle doit partir se soigner dans un sanatorium en Suisse. C’était en 1932 et ce souvenir avait le pouvoir de lui arracher des larmes instantanément…

En 1936 il est place avec son frère chez des sœurs à Pellevoisin pour un séjour marque a l’ombre de la Croix puisque sa maman meurt le 6 juin 1937 sans qu’il n’ait pu la revoir. Mais, ce temps est aussi marque par la tendresse de la Vierge Marie, Mère de Miséricorde, qu’il prend alors - comme il aimait a le rappeler - pour Maman en remplacement de la sienne.
À l’école de Marie il vit les étapes de l’initiation chrétienne, confirmé le 7 juin 1937, première communion l’année suivante le 3 juin 1938.

En 1941-1942, on je retrouve a Versailles, inscrit au cours Saint François en classe de 6e et de 5e, et placé chez une ante. Ce n’est pas un étudiant particulièrement brillant, et ses faibles notes en instruction religieuse interdiront les plus attardés en ces matières à y trouver motif pour ne pas se poser la question de la vocation religieuse. Somme toute, les notes de comportement sort bonnes. Et surtout, il progresse pendant ces deux années.

Mais l’appel de Dieu s’est fait sentir dès le choix de la Vierge Marie pour Mère, et de sa première communion. Aussi fait-il un essai du 20 octobre 1943 au 7 avril 1944 chez les frères missionnaires des campagnes alors en fondation dans la Brie.
Frère Michel en gardait un souvenir ému et a la Rois comme d’un temps difficile.

Comment est-il entré en contact avec la Congrégation des fils du Père Lamy ? Nous ne le savons pas exactement, mais toujours est-il que nous avons une lettre du Comte Biver à sa belle-mère l’invitant a Ourscamp. Beaucoup connaissent je récit que faisait frère Michel de son arrivée par le train de 16h01 à Paris un certain 11 février, jour de Notre-Dame de Lourdes, en 1944. Accueilli par le Comte Biver pour huit jours, il faut croix que le séjour lui fit du bien puisqu’il y demeura, quasiment sans interruption jusqu’à sa mort en 2002. Et, désormais, il va comme s’inscrire dans le paysage d’0urscamp.

Avec la première équipe, il fit le noviciat canonique en l’abbaye cistercienne d’Hauterive, accompagnant ainsi la congrégation dans ses premiers pas et la recherche de son statut canonique. Le noviciat dura depuis le 24 mai 1946 jusqu’en septembre 1947. Le Père André, lui, était parti en juin, avec Jean-Pierre Christian pour rencontrer l’évêque de Beauvais en vue d’établir définitivement le statut de la congrégation.
Finalement ces démarches aboutirent puisque le 15 juillet 1948, la congrégation fut reconnue comme congrégation de droit diocésain par l’évêque de Beauvais. Père André y fit ses vœux perpétuels et frère Michel ses premiers vœux temporaires.

Cette ancienneté de Frère Michel lui faisait voir les choses de haut. Toutes ces années de fondation et de souffrances – où se succédèrent tant et tant de frères, tant et tant d’événements - vécues dans l’ombre et avec le soutien du Père André, faisait de lui un témoin de la fidélité du serviteur et surtout de celle de Dieu.
Frère Michel ne racontait pas les faits, il souriait quand on les évoquait ou bougonnait se souvenant de tel ou tel combat douloureux, mais sa fidélité s’exprimait dans le silence et la présence…

Le 12 novembre 1948, il est appelé sous les drapeaux, et va effectuer son service militaire à Spire (Speyr) en Allemagne, presque toute l’année 1949. Ne perdant rien de sa ferveur, on le retrouve en 1949 à Lourdes, déjà, au pèlerinage militaire international.
Puis c’est le retour, si l’on peut dire définitif de Frère Michel à Ourscamp scellé par à nouveau une cérémonie de ses premiers vœux, le 8 décembre 1949, jour de l’Immaculée Conception. En effet les précédents étaient selon le droit canon rompus pour cause de service militaire.

À Ourscamp, Frère Michel va vivre la vie typique du Serviteur de Jésus et de Marie, à la suite et dans le charisme du Père Lamy. Consacré à Dieu dans une vie de fraternité, frère au milieu de ses frères, consacrant une large partie du temps à la louange de Dieu, il est quelque fois en retrait, paraissant distrait ou à la recherche de la bonne page du bréviaire, tant le chant n’était pas son charisme essentiel.

Il fait ses vœux perpétuels en même temps que notre frère Étienne (Vernier) le 8 septembre 1955, fête de la Nativité de la Vierge Marie.

Après avoir vu bien des changements, de l’office cistercien, à l’office romain, puis au bréviaire en français avec diverses écoles de musique se succédant, frère Michel s’y retrouve toujours en s’accrochant à l’essentiel : la croix de Jésus, toujours en tête des processions. C’est son ancre qui le rend stable au milieu de tous les changements au long des années…

Au retour d’Hauterive, la communauté mène une vie à dominante contemplative comme les cisterciens. L’abbaye exploite la ferme – au point que l’association qui gère l’abbaye s’appelle la Société des Élevages. Frère Michel y travaille au même titre que les frères mais peu à peu, il va se spécialiser, si l’on peut dire, dans les mille petits emplois d’entretien de la maison. Sa collaboration est efficace sous l’œil avisé d’un bon chef de travaux : Monsieur Stoecklin (père), qui mena à bien nombre de travaux d’aménagement pour remonter cette abbaye. Souvent, aux visiteurs de la chapelle, frère Michel se tenant devant l’autel majeur, évoquait le travail que furent les 90 tonnes de marbre à rentrer dans la chapelle…
Ayant perdu ses forces par la maladie et se résolvant mal à l’immobilité, Frère Michel aimait se rappeler, comme d’un paradis perdu, ce temps où il se couchait à minuit et se levait à quatre heures du matin (sic).

La vie des Serviteurs de Jésus et de Marie est aussi une vie d’apostolat. Frère Michel est connu dans toute la région pour son look extraordinaire qu’il a acquis par sa mobylette bientôt équipé de son casque et d’une carriole dans laquelle il mettait tous les journaux qu’il vendait, non seulement à la cité d’Ourscamp, mais aussi dans les villages d’alentour. Dans cet apostolat, il aimait surtout les contacts humains, prendre des nouvelles dans chaque famille qu’il visitait. Ce ne fut pas un apostolat sans risque, puisqu’il a eu au total douze accidents de mobylette dont plusieurs très graves, dans lesquels il a plusieurs fois frôlé la mort.

La Vierge Marie ayant une grande place dans le cœur de frère Michel et dans l’apostolat de la congrégation, tous les ans il y avait un sommet : le pèlerinage diocésain à Lourdes et l’accompagnement des pèlerins.
Par Lourdes, mais aussi par la démarche du pacte d’Alliance avec Marie Reine Immaculée de l’Univers qu’il fit en 1975, son amour pour la Vierge Marie s’approfondissait.

Si important pour Frère Michel, l’engagement que lui proposa Monsieur Canivet au sein l’Hospitalité Notre-Dame de Lourdes, avait toutes ses attentions. Il y fut très apprécié en en comprenant particulièrement l’esprit de service et d’école de sainteté qu’est le chemin de Marie…

La congrégation étant spécialement destinée à l’évangélisation des jeunes - selon le charisme du Père Lamy - c’est comme naturellement qu’on lui confira l’accompagnement des plus jeunes : les Pages et les Bernadettes.
Lourdes - lieu de grâce mariale et aussi lieu de grâce ecclésiale - est tous les ans l’occasion pour Frère Michel de rencontrer nos évêques.

Il était spécialement attaché à Monseigneur Desmazières, pour la confiance qu’il fit à notre congrégation en la confirmant dans sa vocation, même si à certaines heures la petitesse et la fragilité de la jeune pousse pouvait laisser craindre pour son existence…
La figure de père de Mgr Desmazières et son attention aux personnes les plus pauvres et malades lui firent aussi beaucoup admirer ce pasteur. Lors des visites de Monseigneur à Ourscamp, Frère Michel avait pour charge d’ouvrir la grande grille et de sonner les cloches dès qu’on voyait apparaître son auto. Et par pitié si vous voulez le laisser reposer en paix, ne parlez jamais de la « tentation moderniste » la plus infâme qui serait de vouloir les électrifier, ces si belles cloches dont il vit l’installation.

Ainsi va la vie les années se suivent et passent : Les années 70, Les années 80, Les années 90… Le look certes change, les forces diminuent mais Frère Michel reste l’homme incontournable d’Ourscamp. Car chacun le sait, il ne tient pas en place, il faut accueillir, celui qui passe, le rencontrer avec tout son cœur. Pour les hôtes, allégrement souvent, mais pas toujours, il n’épargnera pas les kilomètres à l’intérieur de la propriété, ainsi rencontre-t-il les visiteurs, Monsieur le Maire et ses conseillers municipaux, et surtout les jeunes, vous savez…ceux qui sont : « formidables »…Les « p’tits cœurs », comme il les appelait !

Homme sensible tout en étant doué d’une grande force physique, compatissant mais pas toujours très rationnel - avec les qualités et les défauts que cela comporte - Frère Michel est connu pour un homme profondément bon, bougon certes, mais bon. Faut-il parler de la fin de récréation communautaire qui, les dernières années, terminaient par le rituel des taquineries entre Père Bernard et lui, et qui nous donnaient le signal que l’heure de dire les complies arrivait.

Homme de cœur, Frère Michel était attentif dans des petites choses qui pour d’autres ne sont pas importantes, les dates par exemple : celles des membres de sa famille et celles des membres de sa communauté.

Le départ en Alsace du Père André fut une étape pour lui. Il était tellement celui sur qui il pouvait s’appuyer, qu’allait-il devenir ? Mais, déjà bien malade et diminué physiquement dans les années 90, il prit à cœur de porter intérieurement l’élan missionnaire de la communauté avec ses nouvelles fondations et spécialement Points-Cœur dont il se réjouissait beaucoup.

Le départ en Alsace du Père André fut une étape pour lui. Il était tellement celui sur qui il pouvait s’appuyer, qu’allait-il devenir ? Mais, déjà bien malade et diminué physiquement dans les années 90, il prit à cœur de porter intérieurement l’élan missionnaire de la communauté avec ses nouvelles fondations et spécialement Points-Cœur dont il se réjouissait beaucoup.

Homme de cœur, Frère Michel était particulièrement désarmé face aux tensions et aux divisions, dans l’Église, dans la communauté, dans les familles… Il n’y répondait pas par des paroles, des réflexions, ou des actions. Il suivait sa mission : entourer de l’amour de Marie ceux qui lui étaient confiés parce qu’à sa portée. L’amour pour ses fleurs qu’il soignait avec tant d’attention et de jalousie, n’est-il pas une belle parabole ?… Cet amour où, dit-on, il excellait surtout à faire fleurir les cactus.

Homme de cœur, il fut aussi le grand malade du cœur. L’opération à Henri Mondor en mars 1980, qui le remit en marche et puis celle de 1993 à Lariboisière dont il ne se remit jamais vraiment… Il trouva alors sa joie à se laisser lui-même entouré d’affection et de taquineries par les jeunes frères, par une délicate amitié aussi de beaucoup d’amis chez qui il put aller se reposer, ou par qui il était entouré d’une affection vraie et sincère dont Frère Michel appréciait tellement le goût et dont il voyait un reflet de la charité du Christ et de la tendresse de sa Sainte Mère.

Et puis il y a eu ces derniers mois, l’épreuve si difficile d’être dépendant, de ne plus avoir son autonomie, de ne plus avoir sa force physique minimum, d’un cœur complètement usé accompagné de bien d’autres tracas… Lutte intérieure, lutte intime dont nous n’avons vu, les uns ou les autres que des bribes extérieures. Elle a été renforcée par la solitude accrue ce dernier mois de mars, faisant secrètement -nous le croyons dans notre contemplation du Christ - un travail de configuration à Jésus.

Merci à Jésus d’être venu cueillir Frère Michel paisiblement entouré de ses frères, de plus pendant la messe. Merci à Jésus d’être venu cueillir frère Michel, un lundi de Pâques, comme le comte Biver dans ce que le père Lamy qualifiait d’une petite « syncope » vu du côté des hommes, et « une petite dormition » d’un autre. N’est-ce pas lui qui est venu l’accueillir de nouveau sur le quai de la gare du Ciel, cette fois ?

En tous cas, si n’aurons plus Frère Michel au bout du fil, tenant le standard tout en transmettant (ou en oubliant de transmettre) les messages, gardons ce lien du cœur qu’il fit avec Marie, et qu’il voulait faire avec chacun par la simple rencontre.

Que ce bon sourire nous fasse penser au sourire de Dieu qui nous aime.