Homélie de la Sainte Cène

2 avril 2018

« Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »

Il n’y a pas d’enregistrement pour cette homélie, veuillez nous en excuser…

Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés, dans cette Messe « l’Église commémore l’institution de l’Eucharistie, le sacerdoce ministériel et le commandement nouveau de la charité, laissé par Jésus à ses disciples. » (Benoît XVI, 19 mars 2009)
Ce soir, « l’Église fait mémoire de la dernière Cène au cours de laquelle le Seigneur, la veille de sa passion et de sa mort, a institué le sacrement de l’Eucharistie et celui du sacerdoce ministériel. En cette même nuit, Jésus nous a laissé le commandement nouveau « mandatum novum », le commandement de l’amour fraternel. » (Benoît XVI, 19 mars 2008)

Institution de l’Eucharistie

Quand nous venons à la messe, nous nous retrouvons entre disciples de Jésus, nous prions, nous écoutons la Parole de Dieu, nous recevons la communion, …
Ce soir, nous sommes invités à porter notre attention sur un aspect essentiel de la messe : la messe comme sacrifice. Lors de la messe le sacrifice de Jésus sur la Croix est rendu présent. Par la liturgie, nous sommes rendus contemporains de la Croix du Christ. Déjà les juifs du temps de Jésus, la nuit de Pâque, durant la liturgie, disaient :

« A chaque génération, tout un chacun doit se considérer lui-même comme si c’était lui, en personne, qui était sorti d’Égypte, cette nuit-là » (Pesachim X, 5).

Appliqué aux chrétiens, à nous, ce texte revient à dire qu’à chaque époque, chacun doit se considérer comme s’il avait été personnellement, cet après-midi-là, sous la croix, en même temps que Marie et Jean.
Comme le dit le Catéchisme de l’Église Catholique :

« L’Eucharistie est mémorial en ce sens qu’elle rend présent et actualise le sacrifice que le Christ a offert à son Père, une fois pour toutes, sur la croix, en faveur de l’humanité. » « Dans la célébration liturgique des événements de la mort et de la résurrection de Jésus, ces événements deviennent d’une certaine façon présents et actuels » (CEC 1363).

Lors du jeudi saint, nous portons davantage notre attention sur l’Eucharistie comme sacrifice (à la différence de la Fête-Dieu où nous pensons davantage à la présence réelle, substantielle, de Jésus sous les espèces du pain et du vin).
Dans le repas du jeudi saint, Jésus anticipe ce qu’il va vivre le lendemain sur la croix où son corps sera livré et son sang versé. En le faisant auparavant, il manifeste combien son offrande est libre.
Le jeudi saint, l’Eucharistie est présentée sous son aspect sacrificiel. Plus que présence réelle d’une personne, elle est vue comme mémorial d’un événement, la mort et la résurrection du Christ.

Ce n’est pas un hasard si l’Église a choisi comme première lecture le passage de l’Exode où on nous parle de l’agneau pascal. Un agneau était égorgé et le linteau et les montants des portes était badigeonné du sang de cet agneau. Dieu disait :

« Je verrai le sang. Je passerai outre » (Ex 12, 13).

Le soir du jeudi saint, Jésus se présente comme le nouvel agneau qui va prendre sur lui nos fautes. Comme le sang de l’agneau avait préservé les hébreux de la plaie qui frappait les premiers-nés, de même le Sang du Christ répandu sur la Croix et communiqué aux hommes dans l’Eucharistie les préserve du Mal et les délivre de leurs péchés.
Dans le repas du jeudi saint, Jésus anticipe ce qu’il va vivre le lendemain sur la croix où son corps sera livré et son sang versé. A l’ultime moment où Jésus est avec ses disciples avant de partir au jardin de Gethsémani où il sera arrêté, battu, crucifié, il tient à offrir librement son corps et son sang. Jésus se livre de lui-même, avant même d’être livré.
En le faisant auparavant, il manifeste combien son offrande est libre :

« Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne. » (Jn 10, 18)

C’est pourquoi Jésus fait référence à sa mort dans les mots-mêmes de la consécration :

« Ceci est mon Corps livré pour vous », « Ceci est mon sang versé pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés » (Mt 26, 28).

Le prêtre ne dit pas simplement : « ceci est mon corps » mais « ceci est mon corps livré ». Il ne dit pas simplement : « ceci est la coupe de mon sang » mais « le sang… versé ». Saint Paul, dans la deuxième lecture, souligne particulièrement cette dimension du sacrifice :

« Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 26).

Cela a des conséquences très concrètes. Autant il est légitime d’extérioriser notre joie d’être sauvés par Jésus ; autant il est important de cultiver un recueillement et une intériorité pour contempler l’amour de Dieu qui offre sa vie pour nous sur la Croix.
C’est aussi pour marquer cela que bien des personnes ont cette belle attitude d’être à genoux au moment de la consécration.
C’est aussi pour cela qu’il y a des intentions de messe. Célébrer la messe à une intention particulière, c’est une manière de dire à notre Père du Ciel : « vois, Jésus a donné sa vie pour tous les hommes et en particulier pour cette personne pour qui nous offrons cette messe. Au nom de Jésus et de son sacrifice, viens bénir cette personne pour qui nous te prions ».
A cette occasion, il est de coutume de faire une offrande pour aider à la subsistance du prêtre qui célèbre cette messe.

Institution du sacerdoce ministériel

En ce soir du jeudi saint, Jésus a aussi institué le sacerdoce. Il a constitué « les Apôtres et leurs successeurs comme ministres de ce sacrement, qu’il confie à son Église comme preuve suprême de son amour. » (Benoît XVI, 31 mars 2010)
À d’autres moments, Jésus a confié à ses apôtres le ministère de la prédication ou de la confession. Il les a envoyés notamment pour réconforter les personnes malades ou dans l’épreuve mais aussi pour donner l’espérance à tous ceux qui sont abattus comme des brebis sans berger. Si l’Église a retenu le jeudi saint comme moment plus particulier de l’institution du sacerdoce, c’est parce que c’est le jour où leur a été confié le sacrement le plus grand, le sacrement où est communiquée non pas seulement une grâce particulière mais l’auteur même de la grâce.

Dans ce sacrement, le prêtre est très particulièrement configuré au Christ qui donne sa vie. Le prêtre prête ses lèvres et tout son être pour agir « in persona Christi ». Il ne dit pas : « ceci est le corps de Jésus » mais « ceci est mon corps ; ceci est mon sang ».
En associant l’institution du sacerdoce à l’institution de l’Eucharistie, l’Église nous dit également que le prêtre n’est pas d’abord là pour prendre sa place dans un organigramme comme cela se fait dans une entreprise. Le prêtre n’est pas là d’abord pour assumer une autorité par rapport à des personnes. Il n’est pas un fonctionnaire du culte. Il est beaucoup plus : il est d’abord là pour rendre Jésus présent, pour continuer aussi ses gestes sauveurs. Dans la logique de l’incarnation où Jésus a voulu se rendre visible et tangible, il a choisi des prêtres pour continuer sa présence et son action au milieu de son peuple.

« Oh ! quand on pense que notre grand Dieu a daigné confier cela à des misérables comme nous ! » (curé d’Ars)

Cette messe est l’occasion de prier pour les prêtres afin qu’ils aient à cœur de se conformer aux mystères qu’ils célèbrent. C’est ce que l’évêque leur a demandé le jour de leur ordination en remettant la patène et le calice :

« Recevez l’offrande du peuple saint pour la présenter à Dieu. Prenez conscience de ce que vous ferez, vivez ce que vous accomplirez, et conformez-vous au mystère de la croix du Seigneur. »

Le sacerdoce est toujours un don de Dieu. C’est un don pour la personne qui le reçoit : on ne peut jamais s’attribuer cette grâce. C’est aussi don pour l’Église : sans doute faut-il que nous désirions davantage encore que le Seigneur suscite des vocations.

Commémoration du commandement nouveau de la charité

En ce soir du jeudi saint, Jésus a donné aussi le commandement nouveau de la charité. C’est pourquoi, chaque année, l’évangile choisi par l’Église est l’évangile du lavement des pieds. Comme vous le savez, saint Jean ne nous rapporte pas l’institution de l’Eucharistie. De celle-ci, il a déjà parlé dans le discours après la multiplication des pains (Jn 6).
À la place de l’institution de l’Eucharistie, il rapporte avec solennité la scène du lavement des pieds. Saint Jean commence le récit « avec un langage particulièrement solennel, presque liturgique.

’Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin’ (Jn 13, 1).

Ce « passage » du monde vers le Père « n’est pas comme si Jésus, après une brève visite dans le monde, repartait désormais et retournait au Père. Ce passage est une transformation. (…) Il transforme la Croix, l’acte de mise à mort, en un acte de don, d’amour jusqu’au bout. » (Benoît XVI, 20 mars 2008)

Lors du sermon sur la montagne, Jésus avait déjà parlé de l’amour des ennemis. À plusieurs reprises il avait exhorté à aimer son prochain. Il avait donné la parabole du bon Samaritain. Mais il y a ici quelque chose de plus. Comme le disait Benoît XVI :

« Le christianisme n’est pas une sorte de moralisme, un simple système éthique. Il n’y a, à l’origine, ni notre action ni notre capacité morale. Le christianisme est avant tout un don : Dieu se donne à nous, il ne donne pas quelque chose, mais Il se donne lui-même. (…) De ce fait l’acte central de l’être chrétien est l’Eucharistie : la gratitude d’avoir été gratifié, la joie pour la vie nouvelle qu’Il nous donne. »
« Toutefois nous ne restons pas des destinataires passifs de la bonté divine. Dieu nous gratifie comme partenaires personnels et vivants. L’amour donné est la dynamique de l’« amour partagé » ; il veut être en nous une vie nouvelle à partir de Dieu. Ainsi, nous comprenons la parole, que Jésus dit à ses disciples et à nous tous, au terme du récit du lavement des pieds : « Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres » (Jn13,34). Le « commandement nouveau » ne consiste pas en une nouvelle et difficile norme qui n’existait pas jusqu’alors. La nouveauté, c’est le don qui nous introduit dans l’esprit du Christ. » (Benoît XVI, 20 mars 2008)

Vivre le commandement nouveau, c’est vivre ce que l’on appelle le sacerdoce commun des fidèles, selon les propos de saint Paul :

« Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable. » (Rm 12,1)

Dans cet amour « jusqu’au bout », il n’y a pas seulement la composante de la générosité mais aussi celle de l’humilité. Cet amour s’occupe de ce qu’il y a de plus bas chez le frère : le pied. Le lavement des pieds nous éclaire sur la portée de l’Eucharistie : Jésus qui nous offre son corps et son sang en nourriture est vraiment un serviteur. Jésus prend la tenue et accomplit la tâche du dernier des serviteurs : même un esclave juif n’y était pas tenu.

« ’Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres’ (Jn 13, 14)._ Nous devons nous laver les pieds les uns les autres dans le service quotidien et réciproque de l’amour. Nous devons nous laver les pieds dans le sens où nous devons aussi nous pardonner les uns les autres. (…) C’est à cela que nous exhorte le Jeudi Saint : ne pas laisser la rancœur envers l’autre empoisonner notre âme. Il nous exhorte à purifier continuellement notre mémoire, en nous pardonnant réciproquement du fond du cœur, en nous lavant les pieds les uns les autres, afin de pouvoir nous rendre ensemble au banquet du Seigneur. » (Benoît XVI, 20 mars 2008)

« Marie, présente sur le Calvaire près de la Croix, est présente de la même manière, avec l’Église et comme Mère de l’Église, lors de chacune de nos célébrations eucharistiques (cf. Encyclique « Ecclesia de Eucharistia, 57). Pour cette raison, personne ne peut mieux qu’elle nous apprendre à comprendre et à vivre avec foi et amour la Messe, en nous unissant au sacrifice rédempteur du Christ. Lorsque nous recevons la Communion nous aussi, comme Marie et unis à elle, nous serrons le bois [de la croix], que Jésus par son amour a transformé en instrument de salut, et nous prononçons notre « Amen », notre « oui » à l’Amour crucifié et ressuscité. » (Benoît XVI, 11 septembre 2005)

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 12,1-8.11-14.
  • Psaume 116(115),12-13.15-16ac.17-18.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 11,23-26.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 13,1-15. :

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin.
Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit :
— « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? »
Jésus lui répondit :
— « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit :
— « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! »
Jésus lui répondit :
— « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit :
— « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit :
— « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »

Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit :
— « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ?
Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »