Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs, il est assez inhabituel que la fête de la Croix Glorieuse soit un dimanche. Le cycle des dimanches ordinaires reprendra ainsi la semaine prochaine. 
C’est l’occasion de réfléchir sur ce qu’est la gloire, et l’Ancien Testament peut nous donner des pistes au sujet de cette réalité de la gloire de Dieu.
En Hébreu, glorifier signifie « donner du poids », « être important ». Cela a à voir avec quelque chose qui compte dans notre vie. Dans cette langue, les mots sont des mots « valise », et l’on retrouvera cette même origine dans le fait d’honorer. « Honore ton père et ta mère » signifie « donne du poids à cette relation, donne-lui de l’importance ».
Puis, dans le livre de l’Exode, juste le chapitre après il est dit :
« Malheureux celui qui allège son père et sa mère, il sera conduit à la mort. »
En d’autres termes : malheureux celui qui prend pour lui de poids des décisions de ses parents, car cela entraîne quelque chose de mortifère.
Et c’est avec ces deux réalités là que j’aimerais méditer avec vous sur la Croix Glorieuse : il faut à la fois lui donner de l’importance et ne pas l’alléger pour ne pas entrer dans une réalité mortifère.
Avec Jésus, la réalité de la gloire de Dieu change complètement. C’est le même Dieu dans l’Ancien et le Nouveau Testament, mais l’accès à la gloire de Dieu diffère tout à fait. En effet, dans le Nouveau Testament, la révélation de la gloire de Dieu se fait à travers la fragilité de l’homme en croix, de Celui qui Se donne complètement, de Celui qui rentre dans une vulnérabilité. Oui, on découvre la gloire de Dieu, ce qui est important pour nous et qui donne du poids à nos actes, un poids tellement important que nous croyons que nos actes retentissent dans l’Éternité, c’est notre Foi.
Nous rentrons dans cet accueil de la gloire de Dieu en rentrant dans la vulnérabilité, dans la fragilité. Et si l’on veut poursuivre la comparaison par rapport au quatrième commandement – « Honore ton père et ta mère » - on voit comment le Christ a honoré Son Père : en Se livrant tout à fait à Lui dans la confiance.
L’avertissement de l’Ancien Testament : « Malheur à celui qui allège son père et sa mère », malheureux celui qui pense que l’amour ne demande pas une certaine pénibilité… Le Christ par la Croix nous a montré le chemin de l’amour et de la vie. Et ce chemin de l’amour et de la Croix nous renvoie aussi au fait que nous-mêmes, dans nos relations amoureuses – vous-mêmes qui êtes en train de discerner par rapport à l’avenir à donner à votre relation – mais aussi nos relations amicales, familiales ou professionnelles, il y a quelque chose de la pénibilité. Et celui qui refuse cet aspect, qui refuse une certaine vulnérabilité et une certaine fragilité rentre dans une certaine logique de mort. Il y a là quelque chose de mortifère, alors que – c’est ce que dit le Christ - celui qui croit en Lui ne se perd pas, il obtient la vie éternelle.
Il est intéressant de se demander où est-ce qu’on en est dans l’accueil de la vulnérabilité dans nos relations ? Où est-ce qu’on en est de l’accueil de la pénibilité dans ce qui fait la relation avec des personnes qui comptent pour nous ? Est-ce qu’on veut les éviter absolument, à tout prix et donc rentrer dans une réalité où on veut exclure la croix du Seigneur, donc exclure ce qui est source de vie, puisque, comme le dit Jésus :
« Celui qui croit en lui obtient la vie éternelle. »
Est-ce que, justement, on est dans cette manière de voir les relations comme intuitives, spontanées ? Mais on le sait bien : aimer n’est pas spontané, sinon, ce ne serait pas un commandement.
« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »
C’est un commandement précisément parce qu’aimer n’est pas spontané…
Donc, c’est intéressant de se poser la question : où est-ce qu’on en est de l’accueil de l’autre, quelle que soit la forme de relation que nous avons, que ce soit nous en en communauté, entre frères, et aussi l’accueil du conjoint, l’accueil des enfants, l’accueil des collègues dans la vie professionnelle, et des personnes qui nous entourent… Où est-ce qu’on en est de l’accueil de la vulnérabilité ? Où est-ce qu’on en est dans cette manière de découvrir un chemin vers la vie en acceptant la fragilité, en acceptant de nous laisser être vulnérable par rapport à l’autre ?
C’est ce le chemin que nous donne le Seigneur, très différent de l’Ancien Testament où il est demandé : « honore ton père et ta mère, honore Dieu avec en Lui donnant du poids… » Oui, bien sûr. Mais Jésus nous indique un autre chemin, il y a une vraie différence.
Et ça nous invite aussi à nous questionner dans les difficultés de l’accueil de nos vulnérabilités, de nos dépendances. Derrière le fait d’être en relation, il y a celui de rentrer dans une certaine dépendance de l’autre. Et parfois, on voit la dépendance comme une menace, on voit la dépendance comme une menace, c’est là le piège, alors qu’elle est une source de vie si nous la vivons dans le Christ. À tel point qu’on peut dire que la vie éternelle, c’est « se laisser agir par Dieu », être dans une telle offrande, une telle confiance qu’on se laisse complètement agir par Dieu, et c’est à la fois une joie éternelle.
Et donc, si on veut dès ici bas vivre de la vie éternelle, c’est aussi une invitation à nous laisser agir dans les relations que nous avons, les relations de confiance, les relations qui comptent pour nous, et accueillir un certain lâcher prise, accueillir un certain lâcher prise. Et c’est pas spontané, ce n’est pas évident, parce qu’on a peur, on a des tas de peurs en nous, on veut être dans le contrôle, et c’est tout à fait humain. Et surtout, dans les relations qui comptent pour nous, on rencontre un certain nombre de blessures.
Vous vous rappelez les cinq grandes blessures de l’âme, qu’on catégorise comme ça : le rejet, l’abandon, l’humiliation, la trahison, l’injustice. Ce sont les cinq grandes blessures dont on peut être victime dans notre vie, et singulièrement dans notre enfance. Ces blessures-là sont autant d’obstacles dans l’accueil de la vulnérabilité et dans le lien avec l’autre.
Et c’est intéressant de voir que la première lecture, le livre des Nombres, justement, nous parle de blessures. Et Jésus reprend cette citation :
« Comme Moïse a élevé le serpent d’airain, vous aussi, il faut que le Fils de l’Homme soit élevé. »
Qu’est-ce qui se passe avec Moïse et les serpents qui mordent le peuple hébreu ? Il lève un serpent d’airain, un serpent d’acier, voilà. Et celui qui regarde vers le serpent est libéré du venin des serpents dont il est mordu. Cela veut dire que, quelque part il faut pas regarder la blessure, ne pas regarder la morsure, mais regarder plus haut. Il faut changer de focale, changer de manière de vivre, changer de manière de faire.
On regarde quelque chose de plus grand que nous qui nous élève - comme le serpent d’airain et évidemment le Christ sur la croix - pour sortir des blessures que l’on a pu avoir, héritées de notre passé, héritées de notre éducation, et tous, plus ou moins, nous sommes impactés par ces blessures. Voilà. Mais, justement, le Seigneur nous dit : « tiens, ce n’est pas la blessure qu’il faut regarder. Ce n’est pas c’est pas ce recroquevillement sur toi-même qu’il faut valoriser, au contraire, c’est ce déploiement :
« Qui regarde vers Lui resplendira sans ombre ni trouble au visage. »
Et donc, le fait d’honorer, justement, de donner du poids, permet que la gloire de Dieu se réalise quand nous acceptons de rentrer dans ce regard qui nous emmène au-delà de nous-mêmes. La foi, c’est l’ouverture à un autre horizon, à un autre chemin, à quelque chose qui nous dépasse, quelque chose qui va plus loin que notre humanité.
Et le Seigneur nous dit : « si vous rentrez dans cette logique-là, alors oui, vous avez la vie éternelle. »
Et si on veut continuer de filer la métaphore entre le quatrième commandement, « honore ton père et ta mère », et ce dont nous parle de Jésus, dans les deux cas, il y a une promesse. Vous savez, le quatrième commandement est :
« Honore ton père et ta mère et tu auras longue vie sur la terre que te donne le Seigneur. »
C’est le seul commandement où il y a une promesse. Et ce qui nous est dit là c’est que si vous regardez vers le Seigneur qui est élevé de croix, vous obtiendrez la vie éternelle. Donc, dans les deux cas, il y a à la fois, l’Ancien Testament qui forcément nous renvoie à la terre, parce que c’est la réalité de l’Ancien Testament. Mais le Nouveau Testament, avec le Christ, nous élève à un regard au-delà de la terre, au-delà du visible, au-delà de ce qui est apparemment évident. Il nous ouvre un chemin, il nous ouvre une espérance.
Et je trouve c’est beau de voir la Croix Glorieuse, cette croix qui nous ouvre un chemin au-delà même de ce que dans nos humanités, on peut avoir de blessé… Il y a quelque chose de plus grand auquel nous sommes appelés.
Ainsi, demandons au Seigneur, les uns pour les autres, dans cette fête de la Croix Glorieuse, cette grâce particulière de, justement, nous déployer, de cesser d’être recroquevillé. Il y a parfois des parties de nous-mêmes qui sont recroquevillées de façon maladive…
Alors, essayons, au contraire, de nous déployer pour regarder vers Celui qui est élevé, pour nous-mêmes, et pour découvrir en Lui une source de vie et de vie éternelle,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre des Nombres 21,4b-9.
- Psaume 78(77),3-4ac.34-35.36-37.38ab.39.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 2,6-11.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 3,13-17 :
En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème :
« Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme.
De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
