Homélie de la solennité de l’Epiphanie du Seigneur

7 janvier 2019

Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.
Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

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Texte de l’homélie :

Avez-vous acheté une galette pour tirer les rois ? C’est une tradition sympathique. Mais peut-être faut-il nous assurer d’être dignes d’être ce roi. En effet, les rois ont fait toute une démarche pour venir adorer Jésus. C’est cette même démarche que nous sommes invités à faire. Toute la démarche des Mages est un symbole de l’itinéraire vers la foi : ils se mettent en route ; ils font une étape à Jérusalem ; ils adorent l’enfant dans la crèche. Ce sont ces 3 étapes que je vais parcourir avec vous.

Se mettre en route

On peut d’abord se demander qui étaient ces mages ?

« Ils étaient des savants, qui scrutaient les astres et connaissaient l’histoire des peuples. Ils étaient des hommes de science au sens large, qui observaient le cosmos, le considérant presque comme un grand livre plein de signes et de messages divins pour l’homme. » (Benoît XVI 6 janvier 2010)


Les mages étaient des personnes à la recherche de Dieu. C’étaient des hommes attentifs, capables de percevoir les signes de Dieu, son langage discret et insistant. Habituellement, on voit les étoiles plutôt la nuit, lorsque les activités ont cessé et qu’il n’y a pas de bruit. Dans le feu de l’action, dans le vacarme, on ne peut pas se concentrer pour voir cette petite lumière. Il faut savoir s’arrêter et faire silence.

L’étoile était visible par tous. Mais, pourquoi seuls les Mages ont-ils vu l’étoile ? Le pape François répond :

« Peut-être parce que peu nombreux sont ceux qui avaient levé le regard vers le ciel.
Souvent, en effet, dans la vie on se contente de regarder vers le sol : la santé, un peu d’argent et quelques divertissements suffisent. (…) Les Mages ne se sont pas contentés de vivoter, de surnager. Ils ont eu l’intuition que, pour vivre vraiment, il faut un but élevé et pour cela il faut avoir le regard levé. » (Pape François, 7 janvier 2018)

Quelle peut être cette étoile pour nous ? Qu’est-ce qui nous met en route ? Une étoile qui se lève, c’est une certaine lumière qui se fait en nous : nous percevons intérieurement qu’il serait bien de prendre un temps de prière, de faire un geste d’amour désintéressé envers le prochain, de nous priver de telle ou telle chose, de changer quelque chose dans notre attitude. Le Christ se manifeste au cœur de celui qui le cherche avec sincérité.
Par exemple, François d’Assise avait vu un lépreux. Jusqu’ici, il en avait horreur. Ce jour-là, il a perçu intérieurement que Dieu l’appelait à surmonter sa répugnance et à embrasser ce lépreux. Cette perception intérieure, voilà l’étoile qui l’a guidé ce jour-là.
Dans notre vie aussi, il y a des choses qui viennent scintiller : je m’aperçois que je dois changer mon attitude. Je prends conscience qu’il y a quelque chose dans mon attitude qui ne va pas. Là encore, c’est une étoile dans la nuit. Dieu attire mon attention sur quelque chose que je ne voyais pas auparavant.

Il est intéressant de voir ce qui aide les gens à se mettre en route. Ce peuvent être des choses très diverses. Il est beau de voir que Dieu ne balaie pas d’un revers de main toute la quête religieuse des hommes, malgré son ambiguïté. Le plafond de la Chapelle Sixtine représente en vives couleurs les « Sybilles » (du Cumes, d’Erythrée, etc…) dont les oracles mystérieux auraient préparé la venue du Messie, presque à l’égal des Prophètes de l’Ancien Testament. Dans bien des mythes et des légendes, on peut trouver un pressentiment de la révélation plénière.
Bien des gens ont une recherche authentique et suivent leur conscience. Que faisons-nous vis-à-vis de ceux qui cherchent Dieu et nous posent des questions ?
Cette étoile doit être assez brillante pour nous donner la motivation de nous mettre en route, de nous bouger, de sortir de nos habitudes confortables. Voir l’étoile, ce n’est pas encore voir Jésus. Il y aura toute une route à parcourir. Mais c’est la première étape incontournable.

Dieu nous donne un certain nombre de signes. Saurons-nous les reconnaître ou les mettrons-nous en doute par notre raison raisonnante ?

« Lorsque les esprits sont éclairés et que les cœurs sont ardents, les signes parlent. C’est à travers les signes que le mystère, d’une certaine manière, se dévoile aux yeux du croyant. »
(Saint Jean-Paul II)

Faire une étape de manière à pouvoir aller au bout du chemin

« Leur savoir, pourtant, loin d’être autosuffisant, était ouvert à des révélations ultérieures et à des appels divins. En effet, ils n’eurent pas honte de demander des instructions aux chefs religieux des Juifs. Ils auraient pu dire : faisons cela tous seuls, nous n’avons besoin de personne, évitant, selon notre mentalité actuelle, toute ‘contamination’ entre la science et la Parole de Dieu.
Au contraire, les Mages écoutent les prophéties et les accueillent ; et à peine se remettent-ils en chemin vers Bethléem qu’ils voient de nouveau l’étoile, comme une confirmation de l’harmonie parfaite entre la recherche humaine et la Vérité divine, une harmonie qui remplit de joie leurs cœurs de savants authentiques (cf. Mt 2,10). » (Benoît XVI 6 janvier 2010)

À travers le langage de la création, les mages se sont mis en route mais le langage de la création à lui seul ne suffit pas. Seule la Parole de Dieu, que nous rencontrons dans la Sainte Écriture, pouvait leur indiquer de façon définitive la route. Création et Écriture, raison et foi doivent coexister pour nous conduire au Dieu vivant.
Les mages ont besoin de l’Écriture pour authentifier ce qu’ils avaient perçu, leur illumination intérieure. Dieu adresse des signes, mais ils doivent recourir à l’Écriture pour découvrir le lieu exact de sa naissance. C’est pourquoi les mages s’adressent aux scribes, à ceux qui sont chargés de l’interprétation des Écritures.

Sur notre chemin de foi nous avons besoin de l’étape de la Parole de Dieu et de la communauté. Dieu peut nous donner de nombreuses intuitions mais elles doivent être confirmées et approfondies en recourant aux Écritures et aux Anciens. Aujourd’hui encore, nous sommes invités à recourir à la Parole dont l’Église est l’interprète authentique. Nous pouvons aussi demander des conseils à ceux qui sont plus avancés dans la vie spirituelle.
Hélas, il peut arriver la même chose que ce qui arriva aux mages : Les scribes et les anciens ont su donner toutes les indications mais, curieusement, ils ne se sont pas déplacés. En dépit de tous leurs défauts, les anciens ont pu indiquer le lieu de naissance :

« Les prêtres et des scribes connaissent le lieu exact et l’indiquent à Hérode, en citant l’ancienne prophétie. Ils savent mais ne font pas un pas vers Bethléem. Ce peut être la tentation de celui qui est croyant depuis longtemps : il disserte sur la foi, comme d’une chose qu’il sait déjà mais il ne se met pas en jeu personnellement pour le Seigneur. On parle mais on ne prie pas ; on se lamente mais on ne fait pas de bien. » (Pape François, 7 janvier 2018)

De même, les chrétiens plus enracinés dans la foi savent quelquefois très bien dire où l’on peut trouver Jésus (dans les pauvres, les souffrants, les purs de cœurs, les petites fidélités quotidiennes, …) mais ne se déplacent pas toujours. Ils restent dans leurs idées, même si ce sont de très belles idées.

Qu’est-ce qui manque à ceux qui indiquent la route mais ne bougent pas ?

« Nous pouvons répondre : trop d’assurance en eux-mêmes, la prétention de connaître parfaitement la réalité, la présomption d’avoir déjà formulé un jugement définitif sur les choses rend leurs cœurs fermés et insensibles à la nouveauté de Dieu. Ils sont sûrs de l’idée qu’ils se sont faite du monde et ne se laissent plus bouleverser au plus profond d’eux-mêmes par l’aventure d’un Dieu qui veut les rencontrer. Ils placent leur confiance davantage en eux-mêmes qu’en Lui et ne considèrent pas possible que Dieu soit grand au point de pouvoir se faire tout petit, de pouvoir vraiment s’approcher de nous. » (Benoît XVI 6 janvier 2010)

Il est intéressant de voir que les juifs ont éclairé les païens mais aussi que Dieu voulait éclairer les juifs par les païens. C’était un service réciproque. Sans le vouloir, les « mages » rendaient un grand service aux scribes car ils leurs apportaient une bonne nouvelle. Hélas les scribes n’ont pas saisi l’occasion qui leur était donnée de voir l’accomplissement de la promesse qu’ils connaissaient.
De la même manière, les gens en recherche peuvent nous être envoyés par Dieu pour nous éclairer, pour que nous prenions conscience d’une bonne nouvelle, pour nous inciter à rechercher la réponse dans la Parole de Dieu. Ils nous aident nous-aussi dans notre cheminement vers Dieu, dans la mesure où nous acceptons de bouger, de nous déplacer, de nous remettre en route.

Lorsque nous sommes conscients d’être conduits par Dieu, notre cœur ressent une joie authentique et profonde, qui s’accompagne d’un vif désir de le rencontrer et d’un effort persévérant pour le suivre docilement.

Aller jusqu’au bout de la route : l’adoration

Forts des indications reçues, les mages peuvent reprendre leur route pour aller jusqu’à destination. Cependant, il y a eu sans doute un décalage entre ce qu’ils imaginaient et ce qu’ils ont vu. C’étaient encore des hommes à la fois courageux et humbles : nous pouvons imaginer qu’ils durent supporter quelques moqueries parce qu’ils s’étaient mis en route vers le Roi des Juifs, affrontant pour cela beaucoup de fatigue.

« Le sommet de leur itinéraire de recherche fut quand ils se trouvèrent devant « l’enfant avec Marie sa mère » (Mt 2,11). L’Évangile dit que « se prosternant, ils lui rendirent hommage ».
Ils auraient pu être déçus, voire scandalisés. Au contraire, en véritables savants, ils sont ouverts au mystère qui se manifeste de manière surprenante ; et par leurs dons symboliques, ils démontrent reconnaître en Jésus le Roi et le Fils de Dieu. »
(Benoît XVI 6 janvier 2010)

Heureusement, ils ne se sont pas laissés arrêter par des idées préconçues : Jésus le Roi n’est pas dans un palais mais dans une étable. Ils ont accepté d’être déroutés. Nos idées humaines ont à être purifiées pour correspondre à celles de Dieu. Nous sommes appelés à être renouvelés dans notre façon de penser. Dieu réalise sa volonté par des voies insolites.

« Aux anciens ce qui manque, c’est l’humilité authentique, qui sait se soumettre à ce qui est plus grand, mais également le courage authentique, qui conduit à croire à ce qui est vraiment grand, même si cela se manifeste dans un Enfant sans défense. Il manque la capacité évangélique d’être des enfants dans son cœur, de s’émerveiller, et de sortir de soi pour se mettre en route sur le chemin que l’étoile indique, le chemin de Dieu.
Mais le Seigneur a le pouvoir de nous rendre capables de voir et de nous sauver. Nous voulons alors Lui demander de nous donner un cœur sage et innocent, qui nous permette de voir l’étoile de sa miséricorde, de nous mettre en route sur son chemin, pour le trouver et être inondés par la grande lumière et par la joie véritable qu’il a apportée dans ce monde. » (Benoît XVI 6 janvier 2010)

« Les mages ont apporté de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Ce ne sont certainement pas des dons qui répondent aux nécessités premières ou quotidiennes. A ce moment-là, la sainte Famille aurait certainement eu davantage besoin de quelque chose d’autre que de l’encens et de la myrrhe, et même l’or ne pouvait pas lui être immédiatement utile. Mais ces dons ont également une profonde signification : ils sont un acte de justice.
En effet, selon la mentalité qui régnait à cette époque en Orient, ils représentent la reconnaissance d’une personne comme Dieu et Roi : ils sont donc un acte de soumission. Ils veulent dire qu’à partir de ce moment, les donateurs appartiennent au souverain et reconnaissent son autorité. » (Benoît XVI 6 janvier 2010)

Tout conduit à l’adoration. Ils se prosternent et adorent. Il s’agit pour nous de plier devant Dieu non seulement le genou mais notre volonté propre, de nous en remettre totalement à lui en le reconnaissant comme notre roi, notre Seigneur, notre rédempteur (l’or pour le roi messianique, le Messie attendu ; l’encens pour Dieu ; la myrrhe pour le serviteur souffrant).
Une hymne du bréviaire déclare :

« Le trésor proclame le roi, le parfum odorant de l’encens de Saba s’adresse au Dieu tandis que la myrrhe annonce la poussière du sépulcre. » (Hymne Magi videntes)

. Par rapport aux cadeaux offerts par les mages, voici ce que disait Benoît XVI lors des JMJ de Cologne :

« Chers jeunes, offrez au Seigneur l’or de votre existence, c’est-à-dire votre liberté pour le suivre par amour, en répondant fidèlement à son appel ; faites monter vers lui l’encens de votre prière ardente, à la louange de sa gloire ; offrez-lui la myrrhe, c’est-à-dire votre affection pleine de gratitude envers lui, vrai Homme, qui nous a aimés jusqu’à mourir comme un malfaiteur sur le Golgotha. »

« Les mages regagnèrent leur pays par un autre chemin. » (Mt 2, 12)

Ce changement de route peut symboliser la conversion à laquelle sont appelés ceux qui rencontrent Jésus, pour devenir les vrais adorateurs qu’il désire (cf. Jn 4, 23-24). L’adoration de Jésus nous conduit à modifier quelque chose dans notre manière de penser et d’agir.

Conclusion

Le cheminement des mages est en quelque sorte celui que nous faisons à chaque messe :

  • animés par une certaine quête intérieure, des motivations diverses, nous sommes sortis de chez nous pour venir jusqu’à l’église participer à cette messe ;
  • nous avons écouté la Parole de Dieu, commentée par le prêtre. Cette Parole vient conforter, purifier, notre recherche intérieure ;
  • nous allons arriver au moment de l’Eucharistie. Il nous faut alors tomber à genoux (au moins spirituellement parlant) pour adorer celui qui est présent sous les pauvres apparences des espèces du pain et du vin (et non plus sous celle d’un pauvre enfant dans une étable).

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 60,1-6.
  • Psaume 72(71),1-2.7-8.10-11.12-13.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens 3,2-3a.5-6.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 2,1-12 :

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent :
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ.
Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète :
‘Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël.’ »

Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »

Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant.
Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.
Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.