Homélie de la solennité de la Toussaint

6 novembre 2015

« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux… »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,
Connaissez-vous Charles BLONDIN ? C’est un funambule du 19e siècle. Le 30 juin 1859, il fut le premier homme de l’histoire à traverser les chutes du Niagara sur une corde raide à 50 m au-dessus de l’eau. Ce jour-là, il y avait une foule d’environ 25 000 personnes qui applaudit chaleureusement son exploit. Mais il continua à déambuler sur ce filin avec une brouette. A un certain moment, il demanda à quelqu’un qui applaudissait très fort : « veux-tu monter dans la brouette ? »… Saisi de peur, le brave monsieur s’éclipsa rapidement au dernier rang de la foule.

Il y a deux manières de vivre la fête de la Toussaint : la première consiste à applaudir très fort les exploits des saints qui sont auprès de Dieu ; la deuxième consiste à « monter dans la brouette », c’est à dire de se décider à être saint à notre tour.

Ces cinquante dernières années, L’Église nous a clairement invités à passer de la première manière à la seconde. Le Concile Vatican II a parlé clairement d’un appel universel à la sainteté. Ce sera mon premier point. Ensuite j’essaierai de voir brièvement avec vous ce qu’est la sainteté. Dans un troisième point, nous verrons qu’un élément essentiel est l’espérance : c’est la petite sœur espérance qui tire en avant ses deux grandes sœurs, la foi et la charité.

Nous sommes tous appelés à la sainteté

Peut-être êtes-vous frappés par l’attitude du pape François : autant il est miséricordieux pour tous ceux qui sont aux périphéries, autant il sait être exigeant pour ceux qui sont à l’intérieur de L’Église. Il y a une cohérence profonde dans cette attitude : la mission aux périphéries n’exige rien moins que la sainteté pour tous ceux qui se trouvent à l’intérieur de L’Église.

En cela le pape François s’inscrit dans la continuité du pape Jean-Paul II qui écrivait au n° 31 de sa lettre Apostolique Novo Millennio Ineunte pour le nouveau millénaire : « si le Baptême fait vraiment entrer dans la sainteté de Dieu au moyen de l’insertion dans le Christ et de l’inhabitation de son Esprit, ce serait un contresens que de se contenter d’une vie médiocre, vécue sous le signe d’une éthique minimaliste et d’une religiosité superficielle. Demander à un catéchumène : ’Veux-tu recevoir le Baptême ?’ signifie lui demander en même temps : ’Veux-tu devenir saint ?’’ » (Novo millenio ineunte, n° 31)

Jean-Paul II était lui même l’héritier du Concile Vatican II qui parlait d’un appel universel à la sainteté (Lumen gentium 40). Cela signifie que la sainteté n’est pas réservée à quelques-uns mais qu’elle est offerte à tous les baptisés.

Comme le dit très bien Georges Weigel, biographe de Jean-Paul II et de Benoît XVI :

« Si la médiocrité ne fut jamais à la hauteur des exigences du salut, elle est pour ainsi dire frappée d’interdit par la détresse d’un monde à la dérive. Elle nous pousse à nous rapprocher sans cesse du Christ pour ne plus nous contenter de Le suivre « de loin » comme Pierre après l’arrestation de Jésus : alors nous agirons non pas en « sauveurs » mais en « sauvés », et le regard fixé sur Jésus, nous pourrons marcher sur les eaux. (…) Le catholicisme pratiqué à la façon d’une activité de loisir est aussi dangereux qu’inepte. Un catholicisme à plein-temps – un catholicisme qui, ainsi que l’a enseigné le concile Vatican II, irrigue toute la vie et appelle chaque membre de l’Église à la sainteté et à œuvrer à la mission – est le seul catholicisme possible au 21e siècle. »

Ce premier point consiste à croire vraiment à la grâce que nous avons reçue lors de notre baptême. Devenir saint, c’est devenir ce que l’on est déjà par le baptême. Comme le dit saint Jean dans la 2e lecture : dès à présent nous sommes enfants de Dieu.

Les voies de sainteté adaptées par la charité

Encore faut-il s’entendre sur ce que nous appelons la sainteté. C’est d’abord Dieu qui est saint (c’est ce que nous chantons au Sanctus repris du prophète Isaïe). Être saint, ce n’est pas faire des choses extraordinaires comme des lévitations, des guérisons miraculeuses, des exploits hors du commun, … Être saint, c’est vivre profondément uni à Dieu. Être saint, ce n’est pas d’abord faire des choses spectaculaires, c’est avoir un cœur qui ressemble à celui de Dieu. La sainteté, c’est la charité vécue pleinement, c’est laisser Dieu transformer notre cœur de pierre en cœur de chair pour nous permettre d’aimer Dieu et nos frères de toute notre force, de tout notre esprit et de tout notre cœur.

« Il ne faut pas se méprendre sur cet idéal de perfection comme s’il supposait une sorte de vie extraordinaire que seuls quelques « génies » de la sainteté pourraient pratiquer. Les voies de la sainteté sont multiples et adaptées à la vocation de chacun. Je remercie le Seigneur, qui m’a permis de béatifier et de canoniser ces dernières années de nombreux chrétiens, et parmi eux beaucoup de laïcs qui se sont sanctifiés dans les conditions les plus ordinaires de la vie. Il est temps de proposer de nouveau à tous, avec conviction, ce « haut degré » de la vie chrétienne ordinaire : toute la vie de la communauté ecclésiale et des familles chrétiennes doit mener dans cette direction. Il est toutefois évident que les parcours de la sainteté sont personnels, et qu’ils exigent une vraie pédagogie de la sainteté qui soit capable de s’adapter aux rythmes des personnes.  » (Novo millenio ineunte, n° 31)

Un saint n’est pas un « petit saint ». Il ne faut pas s’imaginer les saints comme des personnes qui n’ont aucune aspérité, qui seraient en quelque sorte inodores et sans saveur. C’est avec ce qu’ils sont (leur humanité concrète avec leur caractère, leur psychologie, …) que des hommes et des femmes sont devenus des saints. C’est dans ce sens que Jésus nous donne les béatitudes. Elles nous indiquent dans quelle direction nous devons marcher pour devenir saints.

Le saint ne part pas battu dans la lutte contre le mal et le péché : il espère et est en mission

La sainteté comporte une lutte contre le mal et le péché. Saint Jean le dit très bien dans l’Apocalypse lorsqu’il parle de la grande épreuve. Il est évident qu’il ne va pas de soi de vivre les béatitudes. Le saint vit cette lutte en lui et autour de lui.

Le pape François n’hésite pas à nous secouer dans sa lettre sur la joie de l’évangile. Il y parle de la «  psychologie de la tombe, qui transforme peu à peu les chrétiens en momies de musée » (EG n° 83). Voilà ce qu’il dit encore :

Les maux de notre monde – et ceux de l’Église – ne devraient pas être des excuses pour réduire notre engagement et notre ferveur. Prenons-les comme des défis pour croître. » (EG n° 84)

« Une des plus sérieuses tentations qui étouffent la ferveur et l’audace est le sens de l’échec, qui nous transforment en pessimistes mécontents et déçus au visage assombri. Personne ne peut engager une bataille si auparavant il n’espère pas pleinement la victoire. (…) Même si c’est avec une douloureuse prise de conscience de ses propres limites, il faut avancer sans se tenir pour battu, et se rappeler ce qu’a dit le Seigneur à saint Paul : « Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse » (2 Co 12, 9).
Le triomphe chrétien est toujours une croix, mais une croix qui en même temps est un étendard de victoire, qu’on porte avec une tendresse combative contre les assauts du mal.
 » (EG n° 85)

Cette fête de la Toussaint est une invitation à l’espérance, une espérance pas seulement pour nous-mêmes mais aussi pour les autres. La sainteté ne consiste pas à travailler à son salut de façon égoïste. Peut-être connaissez-vous l’histoire du petit cordonnier d’Alexandrie ?

Le grand saint Antoine, l’ermite fondateur de toutes les communautés de moines, n’avait qu’un désir : devenir un saint, progresser en sainteté. Or, un jour, il apprend qu’il y a, à Alexandrie, un petit cordonnier plus avancé que lui en vie chrétienne. Étonné, il va le trouver pour connaître son secret. Il lui pose un certain nombre de questions pour voir s’il est meilleur que lui dans la prière, dans la pauvreté, … jusqu’au moment où il découvre ce qui fait la différence :

« Tu vis dans cette ville de perdition, Alexandrie, cela ne te fait rien ? Demande saint Antoine.
— Oh si ! Répond le petit cordonnier. Cela, je peux vous le dire, cela me rend malade. Souvent je n’en dors pas. Et cela me rend tellement malade que je dis à Dieu : " Écoutez, mon dieu, vous vous en supplie, faites-moi peut-être descendre vivant en enfer, mais que ceux-ci soient au moins sauvés. "
Alors, saint Antoine se retire, discrètement, en se disant : « Je n’en suis pas encore là. Moi, je ne peux pas. »

La sainteté, c’est être travaillé par le désir du salut des autres  !

En conclusion, chers frères et sœurs, voulez-vous monter dans la brouette ? Croyez-vous qu’il y a en vous l’étoffe pour faire de vous un saint ? A l’école des Béatitudes, êtes-vous décidés à grandir dans la charité ? Connaissant la puissance de la mort et de la résurrection de Jésus, forts de votre espérance, êtes-vous prêts à relever les défis de la lutte contre le mal, le péché et l’indifférence ?

Que Marie, la reine de tous les saints, vous accompagne dans votre chemin de sainteté !

Amen.


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Apocalypse 7,2-4.9-14.
  • Psaume 24(23),1-2.3-4ab.5-6.
  • Première lettre de saint Jean 3,1-3.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5,1-12a :

En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :
« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux !
C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.