Texte de l’homélie
« Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. »
Cette phrase de l’évangile de ce jour est difficile à entendre. Notre rêve est souvent que tout le monde vive parfaitement unis comme nous y invite saint Pierre :
« Vivez en parfait accord, dans la sympathie, l’amour fraternel, la compassion et l’esprit d’humilité. » (1 P 3, 8)
Mais cette invitation se heurte au mal présent dans le monde.
Dans ce passage d’évangile, Jésus nous met en garde contre une certaine naïveté : si vous faites le bien, tout ira bien. Ce serait méconnaître la puissance du mal à l’œuvre en ce monde.
Il y a une certaine manière de réagir qui voit tout en noir et ne fait qu’ajouter le mal au mal.
Dans un troisième point, je voudrais voir avec vous la voie étroite que nous ouvre Jésus.
Ne pas être naïfs : le mal est à l’œuvre
Jésus nous invite à ne pas être naïfs : il ne faut pas s’étonner des résistances à l’Évangile, des résistances qui peuvent être extrêmement violentes.
Des résistances à l’intérieur de nous
Ces résistances se produisent d’abord à l’intérieur de nous.
Saint Paul le décrit très bien :
« Ma façon d’agir, je ne la comprends pas, car ce que je voudrais, cela, je ne le réalise pas ; mais ce que je déteste, c’est cela que je fais… en fait, ce n’est plus moi qui agis, c’est le péché, lui qui habite en moi. … Ce qui est à ma portée, c’est de vouloir le bien, mais pas de l’accomplir. Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. Si je fais le mal que je ne voudrais pas, alors ce n’est plus moi qui agis ainsi, mais c’est le péché, lui qui habite en moi. »
Des résistances dans le monde qui nous entoure
Cette résistance est plus encore dans le monde qui nous entoure. Il y a une forme de naïveté qui minimise la présence du péché dans le monde. On imagine qu’en organisant bien le monde, en promulguant de bonnes lois, tout se passera bien. Bien sûr, il faut mieux organiser le monde, améliorer les lois, … On ne peut que saluer les progrès qui sont faits dans ce sens. Mais ce serait une illusion de penser que tout ira bien.
Le développement personnel est une très bonne chose mais cela ne résout pas tout. Dans la communication non-violente (CNV), que j’apprécie par ailleurs, il y a un fond de naïveté : si on s’y prend bien, il n’y aura plus de violence. C’est méconnaître la puissance du péché qui est à l’œuvre.
Nous voyons bien que dans notre société, il y a bien des choses qui relèvent du bon sens et que nous n’avons plus le droit d’exprimer. Nous voyons bien la puissance de certains lobbies qui justifient ou imposent des manières de penser et d’agir qui sont contraires à l’évangile, que ce soit dans le domaine du respect de la vie humaine ou concernant le mariage et la famille.
Des résistances qui vont jusqu’à la persécution
Si déjà nous pouvons faire l’expérience de la résistance à l’évangile et à la volonté de Dieu, c’est encore plus vrai pour nos frères qui sont martyrisés pour leur foi. Comme le disait très bien la lettre de Diognète à la fin du 2e siècle en parlant des chrétiens dans un contexte de persécution :
Le prophète Jérémie, dans la première lecture en fait l’amère expérience.
Comme le dit le psaume 34 :
« On me rend le mal pour le bien : je suis un homme isolé. »
ou le psaume 108 :
« Dieu de ma louange, sors de ton silence ! La bouche de l’impie, la bouche du fourbe, s’ouvrent contre moi : ils parlent de moi pour dire des mensonges ; ils me cernent de propos haineux, ils m’attaquent sans raison. Pour prix de mon amitié, ils m’accusent, moi qui ne suis que prière. Ils me rendent le mal pour le bien, ils paient mon amitié de leur haine. »
Saint Paul parle même du « mystère d’iniquité (qui) est déjà à l’œuvre » (2 Th 2, 7). Cela désigne l’emprise de Satan sur le monde, qui semble faire échec au dessein de la Providence et qui constitue un mystère pour les croyants.
Quelques tentations devant cet état de fait
Le découragement et l’inertie
Devant la puissance du mal à l’œuvre, nous pouvons tomber dans une forme de découragement qui peut nous conduire à une forme d’inertie : puisque nous n’y pouvons pas grand-chose, nous baissons les bras.
C’est un devoir pour nous de lutter contre le mal. Par exemple, ce n’est pas parce que la lutte contre les abus est difficile qu’il faut renoncer. Il faut bien sûr faire tout ce que nous pouvons pour éradiquer cette plaie … tout en ayant conscience que nous ne l’éliminerons jamais complètement. On ne peut rester indifférent et se laver les mains comme Pilate.
Une des tentations les plus fortes de notre époque pour nous chrétiens, c’est peut-être de ne plus oser affirmer nos convictions. Mais si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ?
La paix du chrétien n’est pas dans l’absence de combat.
L’auteur de l’épître aux Hébreux nous le dit :
« Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché. »
L’amertume traduite dans les paroles
Nous pouvons sombrer dans une forme d’amertume où nous voyons tout en noir. Paul VI, dans son exhortation à la joie avait ces mots toujours d’actualité :
Hélas, par nos paroles désabusées et critiques, nous pouvons ajouter le mal au mal. Nous devenons les grincheux de service.
C’est un peu la désespérance des disciples d’Emmaüs avant de reconnaître Jésus ressuscité :
« Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. » (Lc 24, 21)
La désespérance
Finalement, cela peut nous atteindre tellement profondément que nous perdons la foi en Jésus ressuscité, vainqueur du mal et de la mort.
Quelques réactions salutaires
Savoir cueillir ce qui va dans le bon sens
Ce sont quelquefois des gens improbables qui viennent nous aider, comme pour Jérémie. Il est sauvé grâce à Ébed-Mélek l’Éthiopien. Il va voir le roi pour lui dire :
« Monseigneur le roi, ce que ces gens-là ont fait au prophète Jérémie, c’est mal ! Ils l’ont jeté dans la citerne, il va y mourir de faim car on n’a plus de pain dans la ville ! »
L’auteur accumule volontairement les détails qui mettent en valeur la délicatesse du païen qui vient au secours du prophète, prenant mille précautions pour ne pas risquer de le blesser au cours de la remontée !
« Ebed-Mélek prit les hommes avec lui, se rendit au palais, ramassa sous le trésor de vieux chiffons et les fit parvenir à Jérémie dans la citerne au moyen de cordes. Ebed-Mélek, l’Ethiopien, dit à Jérémie : Mets-toi les vieux chiffons au dessous des aisselles, sur les cordes. Jérémie le fit. Ils hissèrent donc Jérémie avec les cordes et le firent remonter de la citerne. »
Paul VI, que nous avons cité tout à l’heure, continuait :
Accepter la coexistence du bon grain et de l’ivraie
La parabole du bon grain et de l’ivraie se conclut ainsi :
« Les serviteurs disent au maître : “Veux-tu donc que nous allions enlever l’ivraie ? Il répond : “Non, en enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ; et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier.” » (Mt 13)
C’est une épreuve et il faut de l’endurance. Nous sommes tendus vers le Royaume mais ce n’est pas pour tout de suite.
Il n’est pas défendu d’être un peu « politique »
Jésus nous invite à être « prudents comme les serpents, et candides comme les colombes » (Mt 10, 16). Il sait bien qu’il nous envoie comme des brebis au milieu des loups. Il nous faut voir ce qu’il est prudent de dire ou faire, même si cela implique de se contorsionner un peu. Il ne faut pas donner des bâtons pour se faire battre.
Fixer le regard sur Jésus
La lettre aux Hébreux dont nous avons un extrait dans la deuxième lecture est destinée à des chrétiens persécutés. Elle est tout entière une invitation à regarder Jésus :
« Frères, nous aussi, entourés de cette immense nuée de témoins, et débarrassés de tout ce qui nous alourdit – en particulier du péché qui nous entrave si bien –, courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi. Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice, et il siège à la droite du trône de Dieu. Méditez l’exemple de celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle hostilité, et vous ne serez pas accablés par le découragement. » (12, 1-4)
Paul VI terminait son exhortation à la joie ainsi :
Conclusion :
Il n’est pas de trop de venir à la messe chaque dimanche pour nous ressourcer dans le mystère de la résurrection de Jésus, vainqueur du péché et de la mort.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de Jérémie 38,4-6.8-10.
- Psaume 40(39),2.3.4.18.
- Lettre aux Hébreux 12,1-4.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 12,49-53 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli !
Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »