Homélie du 23e dimanche du Temps Ordinaire

10 septembre 2019

« Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés, voulez-vous (voulons-nous) être les disciples de Jésus ?

Apparemment oui, car vous avez préféré venir à la messe plutôt que de faire la grasse matinée ou bien des activités de loisirs.
Dans l’évangile de ce jour, Jésus se retourne vers les grandes foules qui Le suivent et leur dit comme un refrain : celui qui ne me préfère pas à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, ne peut pas être mon disciple ; celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple ; celui qui ne renonce pas à tous ses biens ne peut pas être mon disciple…

On ne peut pas accuser Jésus de démagogie ! Il ne dit pas : « mettez-vous à ma suite et tous vos problèmes seront résolus, tout sera facile. »
Puisque nous avons le désir d’être disciples de Jésus, je vous propose d’entrer davantage dans cet évangile exigeant en m’arrêtant sur trois points :

  • D’abord, Jésus veut des gens décidés ; Jésus n’aime pas les velléitaires.
  • Ensuite nous regarderons de plus près les trois points déterminants que Jésus nous indique.
  • Enfin, nous verrons ce qui peut nous aider à vivre cet évangile.

Jésus veut des gens décidés

Il est bon de resituer ce passage d’évangile dans son contexte : de grandes foules suivent Jésus. Elles sont certainement intéressées par les miracles qu’Il a faits mais sans doute aussi par les paroles de Jésus qui trouvent un écho dans leur cœur.
Mais il ne suffit pas d’être séduits par Jésus. Il ne suffit pas de suivre le mouvement ! Comme le dit le pape François :

« Suivre Jésus ne signifie pas participer à un cortège triomphal ! »
(Pape François, 8 septembre 2013)

Pour parler de la cohabitation, le Père Manaranche prenait l’image du chewing-gum : on étire quelque chose autant qu’on le peut. Le mariage, c’est différent car on ne laisse pas les choses se faire : on prend une décision.
Il en va de même de votre vie chrétienne : il faut vraiment s’engager. On ne peut pas se contenter d’une sorte de neutralité. On ne peut être un disciple dilettante. On ne peut pas pratiquer notre foi comme une activité de loisir. On ne peut pas être comme les vagues de la mer (cf. St Jacques). On ne peut pas se contenter d’une vie honnête. Jésus n’a pas voulu que nous soyons des chrétiens à moitié.
Dans l’Apocalypse, il est dit :

« À l’Ange de l’Église de Laodicée, écris : “Ainsi parle l’Amen, le Témoin fidèle et vrai, le Principe de la création de Dieu. Je connais ta conduite : tu n’es ni froid ni chaud - que n’es-tu l’un ou l’autre !
Ainsi, puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche." » (Ap 3, 14-16)

L’Évangile de ce jour contient deux petites paraboles. Il s’agit de la construction d’une tour et d’un roi qui part en guerre. La tour, c’est certainement une tour de guet comme il y en avait dans les vignes. Cela permettait de surveiller pour protéger la vigne des voleurs.
Ce sont donc deux images guerrières. D’un côté, c’est plutôt l’aspect défensif ; de l’autre côté, c’est plutôt l’aspect offensif.

Dans notre vie chrétienne, il y a un vrai combat. Ceux qui s’imaginent que la vie chrétienne n’est pas un combat se trompent. Il y a besoin d’un effort patient pour devenir celui que Dieu veut. Si nous ne choisissons pas la croix, nous serons des chrétiens avortés comme ces fleurs qui, faute de se nouer, ne peuvent porter du fruit.

Comme le disait le pape Benoît XVI :

« Saint Paul a utilisé, dans ce contexte, l’image des olympiades et des athlètes engagés pour les olympiades (cf. 1 Co 9, 24-25).
Il dit : pour arriver finalement à la médaille – à cette époque une couronne –, ils doivent suivre une discipline très dure, ils doivent renoncer à de nombreuses choses, ils doivent s’entraîner dans le sport qu’ils pratiquent et faire de grands sacrifices et renoncements, car ils ont une motivation, cela en vaut la peine. »
(Benoît XVI, 25 mars 2010)

Les trois points déterminants que Jésus nous indique

Quand on prend une résolution : il faut commencer par s’asseoir et voir si elle est réaliste.
C’est comme pour le mariage : on s’assoit pour voir si cette union a quelques chances de durer, pour savoir si on est décidé à surmonter les difficultés qui pourront se présenter…

Il ne faut pas rester dans le vague : le fait d’être disciple se traduit dans des choses très concrètes. Jésus attire notre attention sur trois points déterminants puisqu’il y a le refrain : « ne peut pas être mon disciple ».

Ce qui est spécifique du disciple, ce n’est pas de « faire le bien et éviter le mal ». Cela, tous les hommes sont appelés à le faire car tous ont une conscience, même si elle n’est pas toujours bien éclairée.
Ce qui est spécifique du disciple, c’est de mettre Jésus à la première place.

Dans les liens affectifs, donner la priorité à Dieu

La traduction qui nous est offerte parle de « préférer ». Le premier commandement reste le premier. L’amour du prochain est essentiel mais il ne se substitue jamais à l’amour de Dieu.
L’amour de Jésus n’exclut pas l’amour des autres choses mais l’ordonne. Dieu a-t-il vraiment la première place ?

« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » (Mt 10, 37)

Cette priorité donnée à Dieu se traduit de plusieurs manières :

  • dans la fidélité à notre conscience, en recherchant avant tout la volonté de Dieu ; nous pouvons être pris dans nos liens affectifs comme dans un filet. Jésus nous veut à la fois libres et fidèles.
  • dans le temps que je consacre à Dieu : je ne peux pas prétendre que Dieu est important s’il n’a quasiment aucune place dans mon emploi du temps.

Il est évident que Jésus n’est pas contre l’amour des parents et des frères et sœurs. C’est même un commandement que d’honorer son père et sa mère :

« Dieu a dit : Honore ton père et ta mère. Et encore : Celui qui maudit son père ou sa mère sera mis à mort. » (Mt 15, 4 ; Ep 6, 2)

Saint Luc le rappelle un peu plus loin dans son évangile (Lc 18, 20).
Saint François de Sales l’explique bien aux épouses qui seraient tentées de délaisser leur vie conjugale et familiale pour aller prier à l’église. Il y a un discernement à faire qui n’est pas toujours facile.

Cette priorité vaut également pour « sa propre vie ». La tendance actuelle est de rechercher son développement personnel, son épanouissement… Ce n’est pas mauvais en soi ; il n’est pas défendu de développer les talents que le Seigneur nous a accordés, bien au contraire. Mais cette recherche légitime doit être subordonnée à la recherche de la volonté de Dieu, à l’amour de Dieu.
Renoncer à soi-même, c’est opérer une révolution copernicienne où c’est Jésus qui est au centre et non plus nous-mêmes :

« Le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. » (2 Co 5, 15)

Prendre sa croix et suivre Jésus

C’est là aussi un point important car c’est la deuxième fois que Saint Luc en parle dans son évangile :

« Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. » (Lc 9, 23-24)

On ne peut être disciple de Jésus si l’on fuit toujours la difficulté et la souffrance. La valeur suprême qui guide nos choix ne peut pas être d’éviter la souffrance. Bien entendu, il ne s’agit pas de rechercher la difficulté ; il ne s’agit pas de courir derrière la souffrance mais de l’accueillir lorsqu’elle survient.

Comme Saint Pierre et les autres apôtres, nous achoppons tous sur la question de la Croix. À trois reprises Jésus l’a annoncé : il faut que le Christ souffre, qu’Il meure. Mais le troisième jour, Il ressuscitera. Il y a là un certain mystère qui ne s’éclaire que le matin de Pâques.
Le saint curé d’Ars s’exclamait :

« La croix ! la croix ! C’est elle qui donne la paix au monde ; c’est elle qui doit la porter dans notre cœur. Toutes nos misères viennent de ce que nous ne l’aimons pas.
C’est la crainte des croix qui augmente les croix. Une croix portée simplement et sans ces retours de l’amour-propre qui exagèrent les peines n’est plus une croix, une souffrance » (p.185).

« C’est la crainte des croix qui est notre grande croix. » (p.180).

Prendre sa croix, ce n’est pas seulement une consigne d’ordre moral. C’est surtout l’acceptation du scandale de la Croix, une conversion profonde à la manière d’agir de Dieu qui nous déroute. C’est entrer dans la sagesse de Dieu qui nous déconcerte, entrer dans un lieu de communion avec Jésus…

Vous avez remarqué que Jésus ne demande pas simplement à ses disciples de porter leur croix mais il ajoute : « pour marcher derrière moi ».
Permettez-moi une autre citation du curé d’Ars :

« Nous nous plaignons de souffrir ! Nous aurions bien plus de raison de nous plaindre de ne pas souffrir, puisque rien ne nous rend plus semblables à Notre Seigneur que de porter sa Croix !…
Je ne comprends pas comment un chrétien peut ne pas aimer la croix et la fuir ! N’est-ce pas fuir en même temps Celui qui a bien voulu y être attaché et y mourir pour nous » (p.184).

En portant sa croix le chrétien fait l’expérience d’une communion plus étroite avec celui qui a bien voulu souffrir et mourir pour nous.

Le détachement des biens matériels

Saint Luc insiste particulièrement sur le danger des richesses. Un peu plus loin dans l’évangile, il rapporte l’épisode du jeune homme riche et conclut :

« Le voyant devenu si triste, Jésus dit : "Comme il est difficile à ceux qui possèdent des richesses de pénétrer dans le royaume de Dieu ! Car il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu." » (Lc 18, 24-25)

Dans le chapitre 16, il montre que les biens doivent être subordonnés à la relation avec les autres.

« Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre.
Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. » (Lc 16, 13)

L’argent donne une certaine sécurité mais c’est une fausse sécurité. Jésus montre combien est pitoyable le raisonnement de l’homme riche, dont le domaine avait bien rapporté :

« “Je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.”
Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?”
Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. » (Lc 12, 19-21)

Comme pour cet homme, il nous est difficile d’accepter le manque et l’inconfort, notamment dans notre société de consommation où nous avons tant de sollicitations.

Ce qui peut nous aider à vivre cet évangile

Qu’est-ce qui peut nous aider à vivre cet évangile ? Voici quelques pistes :

Ne jamais perdre de vue la finalité :

Les renoncements n’ont pas leur but en eux-mêmes. Nous ne sommes pas masochistes. Nous pouvons reprendre l’image classique des athlètes qui consentent des efforts pour gagner. C’est aussi notre cas sur un autre plan.

« Les renoncements sont possibles et, à la fin, ils deviennent également beaux s’ils sont une raison et si cette raison justifie ensuite également la difficulté du renoncement. » (Benoît XVI, 25 mars 2010)

« Le disciple de Jésus renonce à tous les biens parce qu’il a trouvé en Lui le Bien plus grand, dans lequel tout autre bien reçoit sa valeur et sa signification plénières : les liens de famille, les autres relations, le travail, les biens culturels, et économiques… » (Pape François, 8 septembre 2013)

Compter sur la grâce de Dieu

Il ne faudrait pas se méprendre sur les deux petites paraboles que Jésus donne sur la tour et l’homme qui va en guerre. Jésus nous invite à nous décider, à faire un vrai choix et à y mettre toutes nos forces. Mais Jésus ne nous dit pas : « tu y arriveras tout seul avec tes propres forces. »
Suivre Jésus n’est pas réaliste si l’on ne compte que sur ses propres forces.

Suivre Jésus n’est pas réaliste si l’on ne compte que sur ses propres forces.

Les apôtres en avaient bien conscience à la fin de la rencontre avec le jeune homme riche :

« —“Qui peut être sauvé ?”
Jésus répondit :
— “Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu.” »

Il ne s’agit pas de rabaisser l’évangile à quelque chose d’humainement possible.
Ce n’est pas par nos forces mais par la grâce de Dieu que tout cela sera possible.
Mais pour cela, il faut faire confiance à Dieu. Il s’agit de s’appuyer sur Sa grâce et Son amour selon les paroles du psaume 90 que nous avons entendues :

« Rassasie-nous de ton amour au matin,
que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains ; oui, consolide l’ouvrage de nos mains. »

C’est dans la faiblesse que se manifeste la puissance de Dieu (cf. 2 Co 12, 9).

Cela implique de ne compter que sur le Christ, ne rien Lui préférer. À un certain moment, il faut accepter de ne plus maîtriser les choses : on ne sait pas exactement où cela va nous mener mais on s’abandonne entre les mains de Dieu : « ma grâce te suffit. »

S’appuyer sur l’exemple des saints et sur nos frères

Qu’il est précieux d’avoir l’exemple de personnes en chair et en os comme nous qui ont déjà osé ce chemin et qui n’ont pas été déçus !… Cela nous aide à ne pas nous décourager.

Aujourd’hui nous rappelons aussi la Nativité de la Vierge Marie. Sa vie n’a pas toujours été facile mais il est beau de voir qu’Elle ne S’est pas découragée. Il ne faut pas hésiter à L’invoquer.

En conclusion je vous propose de reprendre la vie d’un saint qui vous parle plus particulièrement, de vous laisser enseigner par sa vie et de lui demander son intercession afin que nous soyons de vrais disciples de Jésus,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Sagesse 9,13-18.
  • Psaume 90(89),3-4.5-6.12-13.14.17ab.
  • Lettre de saint Paul Apôtre à Philémon 1,9b-10.12-17.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 14,25-33 :

En ce temps-là, de grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit :
« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.
Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.

Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ?
Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui “Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !”

Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ?
S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix.

Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »