Homélie du 27e dimanche du Temps Ordinaire

9 octobre 2017

« Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

Sans doute avez-vous noté une différence très importante entre l’Évangile et la première lecture. Ces deux lectures nous parlent du soin du maître du domaine pour sa vigne, de Dieu pour son peuple : Dieu chérit vraiment son peuple.
Ces deux lectures nous disent aussi la déception de Dieu car la vigne ou les vignerons ne répondent pas à son attente.
La première lecture s’arrête là tandis que dans l’Évangile, on a pour ainsi dire un troisième acte : Dieu n’en reste pas là et il y aura un retournement de situation. La mauvaise volonté de l’homme est comme encadrée par l’amour de Dieu. L’amour de Dieu a le dernier mot. Si son plan A ne fonctionne pas, Dieu sait trouver un plan B. Car Dieu veut sauver tous les hommes.

Avec vous, je voudrais m’arrêter sur ces trois actes : l’amour attentionné de Dieu pour son peuple ; la non-correspondance à l’amour de Dieu ; l’entêtement – si je puis dire – de Dieu pour sauver son peuple.

Premier acte : Le propriétaire aime sa vigne et fait preuve de patience…

Dieu aime son peuple et exerce la patience.

Lorsque Jésus dit du maître qu’« il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde », nous voyons tous ses soins qu’ils déploie de façon à ce que sa vigne vive et se développe. Nous pouvons y lire les multiples prévenances de Dieu à notre égard, tous les aides qu’il nous offre pour aller vers le Ciel. On ne peut pas dire que Dieu n’ait pas investi dans cette vigne. Aurait-il pris tant soin de cette vigne si elle ne comptait pas pour lui ?

Il nous est bon de nous arrêter de temps à autre pour prendre conscience des bienfaits dont Dieu nous a comblés : il nous a donné la vie. À chacun il a donné un certain nombre de talents. Il ne s’est pas limité à nous donner la vie humaine mais sa propre vie par le baptême. Il nous donne sa Parole pour éclairer notre route. Il ne nous laisse pas seuls et désorientés ; il nous donne l’Église pour veiller sur nous.

À un certain moment la parabole se détache de la réalité. En effet:les vignerons humains ne plantent certes pas une vigne et n’en prennent pas soin par amour pour cette vigne, mais pour le bénéfice que celle-ci rapporte. Dieu ne fonctionne pas ainsi. Il crée l’homme, entre dans une alliance avec lui, non pas pour son propre intérêt mais au bénéfice de l’homme, par pur amour. Dieu a un amour purement gratuit et désintéressé ; il n’est pas un capitaliste qui veut un retour sur investissement pour s’enrichir. Les fruits qu’il attend de l’homme sont l’amour envers lui et la justice envers les opprimés : des choses, qui, toutes, concourent au bien de l’homme et non de Dieu.

L’amour de Dieu ne se limite pas à l’investissement du départ. Il accompagne chacun avec patience. Dans cette parabole, nous sommes frappés par sa patience à l’égard des vignerons. Il veut toujours croire qu’ils lui remettront le produit de la vigne. Dieu prend patience avec nous. Avant de nous demander de pardonner 70 fois 7 fois, c’est lui qui met cela en œuvre à notre égard. La patience est une grande expression de l’amour. Comme le disait Benoît XVI :

« Dieu lui-même se met entre nos mains, accepte de se faire comme un mystère insondable de faiblesse et manifeste sa puissance dans la fidélité à un dessein d’amour. » (Benoît XVI 2 octobre 2011)

Deuxième acte : Les vignerons ne veulent pas donner au propriétaire le fruit de la vigne

L’homme ne correspond pas à l’amour et à la confiance de Dieu à son égard.

Ici la parabole s’adresse d’abord aux pharisiens : ils détournent la gloire qui revient à Dieu par leur amour des titres de maître, père, par leur désir des premières places dans les synagogues et les salutations sur les places publiques (Lc 11, 43 ; cf. Mt 23). Hélas, nous ne sommes pas toujours indemnes de ce travers car nous pouvons nous laisser prendre par les applaudissements et les félicitations des gens. Nous ne sommes sans doute pas insensibles à notre réputation et à l’idée que les gens se font de nous.

Les vignerons s’occupent davantage de leurs intérêts personnels que des intérêts de Dieu et de ceux qui leurs sont confiés. Ils ne sont pas du tout désintéressés. Ce n’est pas propre aux pharisiens car, comme le dit saint Paul au début de l’épître aux Romains à propos des païens :

« Ils ne lui ont pas rendu la gloire et l’action de grâce que l’on doit à Dieu. » (Rm 1, 21)

L’homme a l’impression que Dieu est un concurrent, que Dieu va lui enlever quelque chose. Il a alors la tentation de l’indépendance : n’avoir de comptes à rendre à personne, sans réaliser que cette indépendance le rendra malheureux. L’une des plus grandes souffrances aujourd’hui n’est-elle pas la solitude ? Or ce que Dieu désire, c’est que nous soyons en communion avec lui et cette communion passe par le fait de reconnaître notre dépendance à son égard.

Cette parabole de Jésus est terriblement actuelle si on l’applique à l’occident et à la France en particulier : Jésus n’a-t-il pas été « jeté hors de la vigne », expulsé par une culture qui se proclame post-chrétienne, ou même anti-chrétienne. Les paroles des vignerons résonnent - peut-être pas à travers des paroles mais à travers les faits - dans notre société sécularisée :

« Voici l’héritier : allons-y ! tuons-le, nous aurons l’héritage ».

L’homme sécularisé veut être lui-même l’héritier, le patron. Sartre met ces terribles déclarations dans la bouche d’un de ses personnages : « Il n’y a plus rien eu au ciel, ni Bien, ni Mal, ni personne pour me donner des ordres. […] Je suis un homme et chaque homme doit inventer son chemin ». Ce que la sagesse antique évoque avec le mythe de Prométhée n’a pas disparu : l’homme pense pouvoir devenir lui-même « dieu », patron de la vie et de la mort.

Comme nous le savons, cette indépendance n’est pas seulement le fait de la société, elle est aussi notre fait à nous. Il nous arrive à nous-aussi de faire notre crise d’adolescence à l’égard du bon Dieu. Cette indépendance à l’égard de Dieu est une tentation pour chacun.

Troisième acte : Le retournement.

Dieu ne se laisse pas vaincre en amour.

Dans ce troisième acte, il y a deux aspects : l’un est tragique puisque les vignerons sont rejetés ; l’autre consolant et plein d’espérance puisque Dieu continue à prendre soin de sa vigne.

La dernière phrase de Jésus est terrible :

« Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit. »

Faut-il en conclure que le peuple d’Israël serait rejeté ?

Saint Paul nous assure que ce refus, annoncé par Jésus, ne sera pas définitif. Il permettra en réalité aux païens d’entrer dans le royaume (cf. Rm 11, 11.15). Il va plus loin encore : par la foi d’Abraham - qui constitue les prémices et la racine - tout le peuple juif est saint, même si certaines branches ont défailli (cf. Rm 11, 16). Une parabole n’est jamais un verdict, mais un appel à la conversion. Le souhait constant de Jésus est de sauver les hommes, non de les condamner. D’ailleurs l’annonce la plus importante ce n’est pas que le Royaume leur soit enlevé : ce qui compte c’est que, malgré les obstacles dressés par les hommes, le Royaume produise son fruit.
Il nous faut prendre l’avertissement de Jésus au sérieux : l’enfer est hélas une réalité (même si Dieu veut nous l’éviter à tout prix). L’endurcissement du cœur revient à de multiples reprises dans la Parole de Dieu. Avant cet endurcissement des pharisiens, il y a celui de pharaon. Peut-être connaissons-nous aussi des personnes qui s’enfoncent toujours plus dans une auto-justification et un endurcissement. Il y a un véritable enjeu dans notre vie : tout n’est pas gagné d’avance.

Il y a une différence essentielle entre le passage d’Isaïe et celui de saint Matthieu : le passage d’Isaïe se termine sur la menace de Dieu d’abandonner purement et simplement sa vigne. Le passage de saint Matthieu s’achève dans une grande espérance :

« N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : “La pierre angulaire qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire. C’est là l’œuvre du Seigneur, une merveille sous nos yeux !” »

Dieu est un habitué de ces renversements de situation.

Déjà, au livre de la Genèse, les fils de Jacob avaient dit à propos de leur frère Joseph « voilà le Bien-Aimé, tuons-le »… ils n’imaginaient pas que celui qu’ils voulaient supprimer était celui qui allait les sauver, eux et tout le peuple (Gn 37, 20). D’une certaine manière, Jésus annonce ici sa résurrection. En effet, cette citation du psaume 117 (versets 22-23) est souvent reprise dans le Nouveau Testament pour évoquer la résurrection qui succède à la mort de Jésus : Ac 4, 11 ; 1 P 2, 7. Si en Isaïe, la cause paraît désespérée, ce n’est pas le cas dans l’Évangile. Ainsi donc, Dieu ne va pas abandonner sa vigne.

Les paroles de Jésus contiennent une promesse : la vigne ne sera pas détruite. Dieu tient trop à son peuple, à sa vigne, pour l’abandonner si ses vignerons (qui peuvent être certains membres de la hiérarchie de l’Église) ne sont pas à la hauteur. Il trouve une autre solution pour sauver sa vigne. Si les canaux de sa grâce sont bouchés, il ouvre d’autres canaux pour communiquer son amour.
En effet, son amour est débordant. Alors qu’il abandonne à leur destin les vignerons infidèles, le maître ne se détache pas de sa vigne et la confie à d’autres serviteurs fidèles.

Demandons à Marie de nous aider à véritablement accueillir l’amour immense de Dieu pour chacun de nous. Demandons lui également la grâce de correspondre à cet amour. C’est alors que nous vivons du bonheur de la communion avec Dieu, d’un amour qui circule entre Dieu et nous,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 5,1-7.
  • Psaume 80(79),9-10.13-14.15-16a.19-20.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 4,6-9.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 21,33-43 :

En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Écoutez cette parabole :
Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage.
Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne.
Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième.
De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon.
Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : “Ils respecteront mon fils.”
Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : “Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !”
Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? »
On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. »
Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : ‘La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux !’
Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. »