Homélie du 4e dimanche de Carême (Laetare)

10 mars 2016

« Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. Allez chercher le veau gras, tuez-le ; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. »

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Texte de l’homélie :

Mon ministère m’appelle beaucoup à accompagner des jeunes vers le mariage et par conséquent à célébrer nombre de messes de mariage.
Je ne cache pas une certaine lassitude d’entendre souvent les mêmes textes. Vous avez sans doutes aussi la même expérience : entre la maison fondée sur le roc, les noces de Cana, « Aimez-vous les uns les autres », ou dans Saint Paul : « L’amour prend patience »…
À peu près 90% des textes de mariage sont choisis parmi ceux-là… Et, si ce n’était mon attachement à la liturgie, il me prendrait parfois l’envie – dans mes rêves les plus fous – de conseiller aux fiancés de choisir « Allumez le feu » de Johnny, histoire de changer de registre !

Toujours est-il qu’une fois, un couple – sortant des sentiers battus – a choisi le texte de ce jour : le Fils prodigue. J’ai trouvé ce choix absolument excellent pour une messe de mariage !
Vous l’avez compris, au cœur même de cette parabole, il y a le festin des noces, car la miséricorde, c’est l’alliance retrouvée. De fait, le signe des noces est là avec l’habit, la bague et la fête… Ce festin de noces illustre la miséricorde de Dieu.

Le fils aîné et le fils cadet : deux attitudes qui évoquent les écueils de la vie matrimoniale

À travers les figures de ces deux fils, il y a les deux grand écueils de la vie matrimoniale :

Partir vers d’autres horizons…

Le premier, on ne le sait que trop : « L’herbe est plus verte ailleurs ». Je suis avec mon père, mais déjà, de façon indélicate, je demande mon héritage, le considérant comme mort : on reçoit l’héritage à la mort des parents. Cette demande n’est pas dans l’ordre des choses. Le dépenser de manière désordonnée aussi.
J’aurai plus de bonheur loin de l’autre. Et, dans la vie matrimoniale, il peut arriver, au bout d’un certain nombre d’années, quand on a fait plus ou moins « le tour » de l’autre, de son caractère, que l’imprévu étant écarté (car on connaît ses réactions dans telle situation), la vie serait peut-être plus belle ailleurs.
Parmi nos contemporains, cette tentation est très présente. Nommons-la bien tentation.

Et l’on voit ici l’attitude du père : il remet le fils dans l’alliance, il lui refait goûter ce qui est bon dans cette dépendance du père, alors qu’il a voulu aller loin de lui, trouver un bonheur. Il avait trouvé un désordre, s’était désordonné à l’intérieur de lui-même, et ce n’est que quand il était réduit à toute extrémité qu’il retourné vers son père.

Dans la vie matrimoniale, pour sortir de cet écueil de la lassitude, certaines pensées peuvent traverser l’esprit : on croise un homme, une femme, s’imaginant avec lui ou elle, et cette idée devient désirable. Cela fait partie du combat spirituel de la vie matrimoniale, de même que dans la vie religieuse.
Ainsi, traverser ce combat-là, c’est à dire revenir à l’amour du Père, c’est revenir à la certitude intérieure que vous avez eue quand vous vous êtes choisis l’un l’autre. C’est elle qui va servir à traverser des épreuves, à passer par l’eau et le feu et à sortir dans l’abondance.

Vivre l’un à côté de l’autre sans amour…

Il est un deuxième écueil qui est plus pernicieux : le parallélisme matrimonial. C’est lorsque l’on fait « tout bien comme il faut » mais qu’en réalité, ce sont deux vies qui se vivent en parallèle.
Quel est le problème du fils aîné ? n’est-il pas plus grave que celui du fils cadet ? D’une certaine manière, il ne s’est jamais considéré comme fils, il n’a jamais considéré l’amour du père pour lui-même. La preuve, c’est qu’il dit qu’il « obéit » à tous les ordres du père, s’étant mis à la place du serviteur. Il se plaint de ne jamais avoir eu un chevreau pour festoyer avec ses amis ; il n’a jamais osé demander au père, ne s’étant pas mis dans un relation de confiance par rapport à lui. Ou, s’il y est rentré, il en est sorti et la dureté de cœur s’est installée.
Dans la vie matrimoniale, il peut arriver que les époux - tout en restant ensemble pour les enfants, la façade, le qu’en-dira-t-on, pour une certaine forme de fidélité – tiennent leur engagement, mais vivent des vies parallèles, et ne retrouvent pas cette confiance mutuelle, n’arrivent pas à y revenir, et choisissent l’accusation : « Ton fils que voilà »…

Le Tu qui tue… « Ton fils qui est parti avec ton argent et l’a dépensé avec les prostituées, et tu fais tuer le veau gras !… »
Transformer l’autre dans une liste de défauts peut être l’autre écueil de la vie matrimoniale qui n’est pas le moindre…

La miséricorde comme antidote contre la lassitude !

Ainsi, pour sortir de ces deux écueils, c’est le festin de noces, la célébration de la miséricorde qui nous recentre vers l’autre. Dans ce jubilé de la Miséricorde que le Saint-Père a institué, comme il est bon, chers époux, que vous puissiez découvrir l’un et l’autre comme une miséricorde pour votre vie : l’autre est une miséricorde, une grâce que j’ai reçue de la part du Seigneur qui me permet de cheminer et de traverser des épreuves, et de grandir tant humainement que spirituellement.

Alors, si je redécouvre la miséricorde, je retrouve la beauté de l’autre, je retrouve un certain émerveillement, parce que le jour du mariage n’est pas le sommet de l’amour matrimonial, contrairement à ce que l’on peut entendre ou penser… Ce n’est que le début à partir duquel on grandit dans l’amour.
Vous qui avez déjà un certain nombre d’heures de vol matrimonial, j’espère que vous vous aimez d’avantage que le jour de vos noces.

Mais, comment faire pour grandir dans l’amour sinon d’avoir un regard qui redécouvre dans l’autre ce qui est beau, une source d’émerveillement, alors que l’on peut, comme le fils aîné, voir dans l’autre comme un problème…

« Ton fils que voilà… »

… et tout son cortège de défauts. Oui, nous sommes faits de creux et de bosses, et ce n’est pas difficile de voir ce côté sombre, surtout si l’on a eu une éducation plutôt perfectionniste, ne laissant rien passer.

Quelle place pour la fête en famille ?

Il est beau de voir que ce texte que les fiancés ont choisi ce jour-là m’a beaucoup aidé à sortir des sentiers battus, mais aussi à revenir à ce qui fait le cœur du mariage, cette fête, cette célébration, et de vous poser la question : quelle est la place de la fête dans vos familles et dans votre couple.
C’est cette fête là qui célèbre l’union et l’engagement qui redonne le goût de la communion. La miséricorde avec le pardon qui va avec – il est vrai que la vie commune (matrimoniale ou communautaire) est l’occasion de se blesser – va faire que l’amour va circuler avec plus d’aisance et que l’on va arriver à poser un autre regard sur l’autre.

La miséricorde est un certain regard sur l’autre. Le regard du père sur le fils cadet l’a sauvé de lui-même,

« Je vais aller voir mon père et lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, traite moi comme ton serviteur »

À tel point qu’il ne peut pas mener jusqu’au bout le discours qu’il avait préparé : le père le coupe et ne lui laisse pas dire « traite-moi comme l’un de tes serviteurs ». Il reste fils.
De même, c’est dans le regard de l’autre que je redécouvre la beauté, la miséricorde qui m’est faite d’être avec lui, d’être avec elle.

Ainsi, on peut demander au Seigneur cette miséricorde qui guérit notre regard. Cela ne nous empêche pas de voir les défauts, les difficultés – quelle vie n’a pas ses tempêtes ! – mais il n’en demeure pas moins que c’est la miséricorde qui va résumer la vie matrimoniale, car elle résume aussi la vie de l’Église. Vous le savez, la famille est cette petite église domestique, et ce pilier de la grande Église qu’est la miséricorde est aussi au cœur même de vos familles, de votre couple.

J’ai trouvé intéressant que ces fiancés – désormais mariés, père et mère de famille – aient choisi ce texte, car il vous remet au cœur de cet engagement – vous, chers couples – et il nous remet nous aussi, comme religieux, au cœur de notre engagement parce que, d’une manière ou d’une autre, il n’y a qu’un seul engagement, c’est l’alliance entre Dieu et l’homme.
Vous êtes le signe visible de cette alliance par le sacrement du mariage, et nous comme religieux, nous le sommes aussi par le célibat consacré.

Cette alliance qui nous attend dans la Vie Éternelle où Dieu sera tout en tous,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Josué 5,9a.10-12.
  • Psaume 34(33),2-3.4-5.6-7.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 5,17-21.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 15,1-3.11-32 :

En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole :
« Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.”
Et le père leur partagea ses biens.
Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.

Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.
Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
Alors il rentra en lui-même et se dit :
“Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.”

Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers.
Le fils lui dit :
— “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.”
Mais le père dit à ses serviteurs :
— “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.” Et ils commencèrent à festoyer.

Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses.
Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait.
Celui-ci répondit :
— “Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.”
Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier.
Mais il répliqua à son père :
— “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !”
Le père répondit :
— “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” »