Homélie du 4e dimanche de l’Avent

6 janvier 2015

L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. »
À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

Sans doute gardez-vous en mémoire des moments décisifs de votre vie : par exemple le moment de votre demande en mariage, pour nous cela peut être le moment où l’on a demandé à entrer dans la communauté…
Ces moments restent souvent gravés dans notre mémoire. Ainsi en est-il de l’annonciation que nous relate l’évangile de ce jour. Cette scène de l’Annonciation nous est bien connue. De multiples œuvres d’art la représentent.

Cet événement est tellement énorme qu’on a eu à cœur de le situer dans un lieu précis. A Nazareth, dans la basilique de l’Annonciation, construite à l’endroit même où aurait habité Marie, une petite plaque est fixée sur l’autel de la salle qui ressemble à une grotte pour commémorer le lieu où Marie reçut un message de l’ange Gabriel lui disant qu’elle allait concevoir et enfanter un fils et qu’elle lui donnerait le nom de Jésus (Lc 1, 31). L’inscription latine dit : Verbum caro hic factum est (Ici, le Verbe s’est fait chair).

Avant d’aller plus loin, encore une petite question : l’annonciation est une fête de Marie ou une fête du Seigneur ? … Des deux. C’est d’abord une fête du Seigneur. C’est pourquoi dans une première partie, je m’arrêterai brièvement sur l’initiative que Dieu a eue de cet événement. Mais c’est aussi une fête de Marie, c’est pourquoi notre regard se porte d’une façon particulière sur Marie. Dans une deuxième partie, nous verrons comment l’attitude de Marie peut nous aider à adhérer nous aussi à la volonté de Dieu sur nous.

L’initiative de Dieu

Dans la première lecture, nous voyons David qui, avec générosité, veut faire quelque chose pour Dieu. Il veut lui construire une maison. Mais n’est-ce pas une façon dont on pourrait se mettre au dessus de Dieu, dont on inverserait les rôles. Le prophète Nathan est donc envoyé pour lui dire :

« Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j’y habite ? (…) Le Seigneur te fait savoir qu’il te fera lui-même une maison. »

Nous sommes invités à bien distinguer entre les œuvres pour Dieu et les œuvres de Dieu.
Le dessein de Dieu a quelque chose de vraiment mystérieux comme se plait à le proclamer saint Paul dans la deuxième lecture qui est la conclusion de l’épître aux Romains : « Oui, voilà le mystère qui est maintenant révélé : il était resté dans le silence depuis toujours, mais aujourd’hui il est manifesté. » La virginité de Marie dit bien que l’initiative vient de Dieu. Nous sommes appelés, comme Marie, à répondre par la foi (cf. Dei Verbum). Ce n’est pas à nous de dire comment cela devrait être.
Il nous revient d’accueillir le mystère de Dieu et son action comme ils se présentent.

L’Église a toujours célébré Marie comme la toujours vierge. Il ne s’agit en aucun cas d’un désaveu de l’expression sexuelle de l’amour humain. La conception virginale manifeste en premier lieu l’initiative absolue de Dieu dans l’Incarnation. « Ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » dit l’ange à Joseph au sujet de Marie (Mt 1, 20 : car Joseph a lui aussi son annonciation).
D’autre part, la conception de Jésus par l’Esprit Saint « sans semence d’homme » (Latran) dans le sein de Marie signifie que c’est vraiment le Fils de Dieu, la deuxième personne de la Trinité, qui vient dans notre humanité. Ceux qui ont du mal à croire en la virginité de Marie ont aussi du mal à croire en la divinité de Jésus.
Dieu qui a réalisé le miracle inouï de l’incarnation ne pouvait-il pas aussi réaliser celui de l’incarnation virginale.

Le « oui » de Marie

  • Marie est toute disponible. C’est pour cela que Dieu a pu s’adresser à elle : « tu as trouvé grâce auprès de Dieu ».
  • Mais cela ne veut pas dire qu’elle accepte tout sans réfléchir. Il est beau de voir son réflexe lorsque l’ange vient la saluer : « elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation ».
    Aussitôt, elle cherche le sens, la signification de cette salutation. Il ne s’agit pas simplement d’un travail intellectuel. Elle veut saisir la portée des paroles qui viennent de lui être dites car elle pressent que ces paroles sont loin d’être anodines. Et voici la nouvelle inouïe : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ».
  • Marie pose une question. Ce n’est pas une fin de non recevoir qui manifesterait une incrédulité. A la différence de Zacharie lorsque lui est annoncée la naissance de Jean-Baptiste, la question de Marie manifeste son désir de collaborer à ce dessein de Dieu. Elle veut savoir comment exécuter cette volonté. A priori, elle est d’accord mais elle ne voit pas encore bien ce que Dieu attend d’elle : « Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? »
    Là encore Marie n’est pas naïve. Mais surtout, elle n’est pas écervelée. Marie n’est pas du genre de ces personnes qui ne mesurent pas la portée de leurs engagements. Cela fait penser aux enfants à qui ont demande quelque chose : ils sont partis avant même de bien comprendre ce qu’on attend d’eux : « Va chercher du pain », l’enfant y part sans se demander s’il doit prendre de la monnaie. La promptitude n’est pas la précipitation.

Avant de dire « oui », Marie veut comprendre à quoi cela l’engage. Non pas parce qu’elle hésiterait à s’engager mais parce qu’elle veut s’engager avec toutes les fibres de son être. Elle ne voudrait pas d’un engagement à moitié. Pour cela, elle a besoin de mieux comprendre ce que Dieu attend d’elle. Ainsi Marie ne répètera pas l’expérience d’Abraham : la promesse tardant à se réaliser, Sarah lui mit Agar entre les bras !
L’ange lui répond. La réponse de l’ange est particulièrement éclairante : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, et il sera appelé Fils de Dieu. »
Car Dieu ne veut jamais nous extorquer notre « oui ». Il nous veut vraiment libres. C’est aussi parce qu’il s’agit d’un engagement fait en toute liberté qu’elle aura la grâce d’aller jusqu’au bout de ce « oui » dans toutes les difficultés, notamment au pied de la Croix. Par la suite, Marie ne reviendra jamais sur ce « oui » : « Que votre oui soit oui ». Marie n’est pas comme les vagues de la mer qui vont et viennent.

  • Marie délibère : la délibération de Marie semble très rapide. A partir du moment où elle a la lumière suffisante sur ce que Dieu attend d’elle, elle acquiesce à sa demande. Bien entendu, elle ne mesure pas toutes les conséquences de son engagement. Heureusement que Marie n’est pas restée à tergiverser en voulant mesurer, maîtriser, tous les tenants et aboutissants.
    Cela peut nous paraître très simple. Pourtant que de questions se seraient pressées dans notre esprit :
    • d’abord dans sa relation avec Joseph. A première vue, les plans de Marie sont bouleversés : l’ange la trouve alors qu’elle est « accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ». Que va-t-il advenir de cette relation ? Puisque c’est Dieu qui le demande, il saura bien s’en occuper. D’ailleurs Joseph aura lui aussi son annonciation.
      Dans nos décisions, il y a tellement de choses auxquelles nous sommes attachés. Comme il nous en coûte de tout remettre entre les mains de Dieu. Ces moments de décision sont souvent l’occasion de voir ce qui est le plus important dans notre cœur, ce qui a la priorité. Ici, clairement, pour Marie, c’est Dieu qui a le primat sur tout. « Messire Dieu premier servi ».
    • mais aussi dans la relation avec les autres : que vont penser les gens ? Marie savait bien qu’immanquablement, cela ferait jaser (et d’ailleurs, cela fait encore jaser aujourd’hui) : avoir un enfant sans rapport avec un homme ! Dans cette décision, Marie se trouve dans une totale solitude. A qui peut-elle expliquer ce qui est arrivé en elle ? Qui la croira lorsqu’elle dira que l’enfant qu’elle porte dans son sein est l’« œuvre de l’Esprit Saint » ? Cela n’est jamais arrivé avant elle et n’arrivera jamais après elle. Cette peur du regard et du jugement des autres aurait peut-être suffit à nous arrêter.
      Combien de peurs nous paralysent ? Peur du regard et de la réaction des autres, peur du changement ou de l’inconnu, peur de ce que Dieu va nous demander…
    • Il faut aller encore plus loin. Marie connaissait certainement ce qui était écrit dans le livre de la Loi, à savoir que si la jeune femme, au moment des noces, n’était pas trouvée vierge, elle devait être amenée à la porte de la maison de son père et lapidée par les hommes de sa ville (cf Dt 22, 20 s). Elle risquait donc la lapidation. De nos jours nous parlons volontiers du risque de la foi, entendant, en général, par cela, le risque intellectuel ; mais pour Marie il s’agit d’un risque bien concret !

Carlo Carretto, dans son petit livre sur la Vierge Marie, raconte comment il arriva à découvrir la foi de Marie. Vivant dans le désert, il avait appris de quelques-uns de ses amis Touaregs qu’une jeune fille du campement avait été promise en mariage à un jeune homme, mais étant trop jeune, elle n’était pas encore allée habiter chez lui. Il avait mis en relation ce fait avec ce que Luc dit de Marie. C’est pourquoi repassant, deux ans après, dans ce même campement, il demanda des nouvelles de la jeune fille. Il remarqua chez ses interlocuteurs un certain embarras et plus tard l’un d’eux, venant à lui en grand secret, fit un signe : il passa sa main sur la gorge avec le geste caractéristique des arabes quand ils veulent dire : « Elle a été égorgée. » Elle avait été découverte enceinte avant le mariage et l’honneur de la famille exigeait cette fin. Alors il repensa à Marie, aux regards impitoyables des gens de Nazareth, aux clins d’œil, il comprit la solitude de Marie, et cette nuit même il la choisit comme sa compagne de route et comme éducatrice et modèle de sa foi.
Pour nous aussi, dans le contexte culturel où nous vivons, la fuite de la souffrance apparaît souvent comme le critère suprême des choix. Il nous appartient de faire de notre vie une recherche de Dieu et non une fuite de la souffrance.

  • Marie dit : « oui ». Je ne résiste pas à l’envie de vous citer saint Bernard qui nous présente Marie juste avant ce « oui ». « Tu l’as entendu, ô Vierge, tu concevras et enfanteras un fils, non d’un homme — tu l’as entendu — mais de l’Esprit Saint. L’ange, lui, attend ta réponse : il faut qu’il retourne vers celui qui l’a envoyé. Nous attendons nous aussi, ô notre Dame. Accablés misérablement par une sentence de condamnation, nous attendons une parole de pitié. Or voici : elle t’est offerte, la rançon de notre salut. Consens : nous sommes libres. Dans le Verbe éternel de Dieu nous avons tous été créés ; mais hélas, la mort fait son œuvre en nous. Une brève réponse de toi suffit pour nous recréer, de sorte que nous soyons rappelés à la vie…
    Ne tarde plus, Vierge Marie, donne ta réponse. Ô notre Dame, prononce cette parole que la terre, les enfers, les cieux mêmes attendent. Vois : le Roi et Seigneur de l’univers, lui qui a « désiré ta beauté » (Ps 44,12), désire avec non moins d’ardeur le oui de ta réponse. A ton consentement il a voulu suspendre le salut du monde. Tu lui as plu par ton silence ; tu lui plairas davantage à présent par ta parole. Voici que lui-même de là-haut t’interpelle : « Ô la plus belle des femmes, fais-moi entendre ta voix » (Ct 1,8 ; 2,14)… Oui, réponds vite à l’ange, ou plutôt, par l’ange au Seigneur. Réponds une parole, et accueille le Verbe ; prononce ta propre parole, et conçois le Verbe divin ; émets une parole passagère, étreins le Verbe éternel…

« Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole. »

Marie s’offre alors à l’action de Dieu dans une collaboration active : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. » Le mot qui exprime le consentement de Marie, et qui est traduit par fiat ou par « qu’il me soit fait », est à l’optatif (génoito) dans le texte grec original. Il n’exprime pas une acceptation résignée, mais un vif désir, comme si Marie disait : « Je désire de tout mon être, ce que Dieu désire ; que s’accomplisse promptement ce qu’il veut. »

Cette semaine prenons un moment pour contempler Marie et demandons-lui son aide pour que nous apprenions à dire « oui » comme elle. Demandons-lui de nous apprendre le sens des vraies priorités, à nous abandonner entre les mains de Dieu plutôt que de nous laisser conduire par nos peurs, à chercher Dieu plus qu’à fuir la souffrance à tout prix. Le « oui » à Dieu ouvre à tellement de bonheur pour nous mais aussi pour ceux qui nous entourent !

Amen.


Références des lectures du jour :

  • Deuxième livre de Samuel 7,1-5, 8-12, 14.16.
  • Psaume 89 (88), 4-5, 27-28, 29-30.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 16, 25-27.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 1,26-38 :

L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une jeune fille, une vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie.

L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. »
À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.
L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.
Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus.
Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il règnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. »

Marie dit à l’ange :
— « Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? »
L’ange lui répondit :
— « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, et il sera appelé Fils de Dieu.
Et voici qu’Élisabeth, ta cousine, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait : ’la femme stérile’.
Car rien n’est impossible à Dieu. »

Marie dit alors :
— « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. »
Alors l’ange la quitta.