Homélie du 7e dimanche du Temps Ordinaire

22 février 2022

« Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »

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Texte de l’homélie

Si nous voulons - et nous sommes venus pour cela - recevoir la grâce de Dieu, si nous voulons évangéliser, c’est-à-dire répandre autour de nous cette grâce que Dieu nous communique, il faut avoir bien en tête ce que le Seigneur est venu nous apprendre, nous annoncer.

La Genèse, dans son début décrit la condition de l’Homme. L’homme sans Dieu, l’homme qui a rompu le lien et qui n’a pas d’intimité avec Lui est pris dans le cercle de la violence. Et la conséquence immédiate de cette dissociation avec Dieu, de cette désobéissance avec Dieu et de cet éloignement de Dieu est décrite dans le texte, avec le cercle de la violence. Ça commence par le meurtre fratricide d’Abel par Caïn, et puis au fil des chapitres suivants, on nous dit : « La violence se multipliait, se multipliait jusqu’à ce que ce soit devenu insupportable. » Un vrai déluge, et, en la personne de Noé, au chapitre neuf, on a ce petit verset que j’aime citer en Hébreu parce qu’il a une allitération absolument extraordinaire qu’on peut pas l’oublier car elle fait répondre les sons entre eux. En Français également, ce sont les mêmes mots qui reviennent qui sont pris dans un sens et qui sont tournés dans l’autre :

« Celui qui verse le sang de l’homme, par homme son sang sera versé. »

D’autres philosophes comme Hobbes par exemple, formule ainsi la même idée en disant : « L’homme est un loup pour l’homme. »

Et à la fin de la révélation, on retrouve la même parole lorsqu’au moment de la passion, Jésus reprend Pierre qui est en train de tirer son épée du fourreau pour essayer de Le défendre et d’empêcher qu’Il soit arrêté. Le Christ lui dit alors :

« Qui prend l’épée périra par l’épée périra. »

Dans ce cas, Jésus vient briser le cercle vicieux de la violence qui régit tous nos actes humains, brisant ainsi la tentation que nous avons de partager l’humanité en bons et méchants.

Et jésus non seulement le proclame, comme ici dans cet enseignement de base qu’est le sermon sur la montagne. Il donne ici la catéchèse de base que toute personne qui se réclame de la Foi chrétienne doit connaître. Et comme l’explique bien René Girard, Jésus vient mettre fin à la violence par son sacrifice. Il vient rompre ce comportement de réciprocité : « tu me fais mal, je te fais mal, je te rends la monnaie de ta pièce… ». Il met un terme à ce comportement mimétique.

Et aujourd’hui, dans notre vie chrétienne, nous célébrons l’Eucharistie. L’Eucharistie est justement une invitation à participer, à célébrer et à proclamer Sa mort et Sa résurrection. Il nous est ainsi possible de nous séparer de ce comportement de violence, de cette mise à mort.
Aujourd’hui, nous l’entendons d’une manière concrète dans l’enseignement qui nous est donné.

Mais malheureusement, cet enseignement nous le considérons comme utopique, impossible à appliquer, peut-être parce que nous avons oublié de laisser la parole de Dieu travailler en nous et de réfléchir à ce qu’elle veut dire profondément.
Un homme a approfondi ce mystère : un moine qui a d’abord été un jeune homme fort et grand athlète, qui, au cours d’une fête dans son village natal de Russie, s’est bagarré avec un autre jeune homme non moins athlétique. Il l’a tellement tabassé que le jeune homme est mort quelques jours après des conséquences de ses blessures. Mais, quelques jours plus tard, il a été touché au cours d’une procession par une parole qui venait de la Vierge et il est ainsi devenu moine au Mont Athos.
Il a vécu des combats terribles mais il a compris cette centralité du message de Jésus.

Et voilà ce qu’il dit dans diverses citations :

« Là où il n’y a pas d’amour pour les ennemis et les pêcheurs, l’esprit du seigneur est absent. »
Ou encore : « Le critère de la vraie foi, de la communion avec Dieu, signe authentique de l’action de la grâce, c’est l’amour des ennemis. »
Et encore : « Ceux qui haïssent leurs frères et les rejettent sont amputés dans leur existence. Ils n’ont pas connu le vrai Dieu qui est amour, embrassant tout. Ils n’ont pas trouvé la voie qui mène à Lui. »

Et il va même dire que le critère pour savoir, pour discerner si ce sont des vraies grâces que l’on a reçues, c’est de savoir si on porte de l’amour à nos ennemis. Si après un état spirituel considéré comme une contemplation divine ou une communion avec Dieu, si on a pas l’amour des ennemis, et par conséquent pour toute la Création, c’est un indice certain que cette contemplation n’a pas été authentique.
Voilà donc le point de vérification si nous sommes disciples du Christ ou non.

Mais, soyons honnêtes, on réduit cette phrase a de bons sentiments, utopiques, mais pas réalisables, soyons sérieux. Pourtant, comme Jésus nous Le présente, comme Il Le voit, Dieu est bon, Dieu répand Ses grâces sur toute chair. Il donne Ses bienfaits, Il donne la pluie et le soleil aux bons comme aux méchants. Et dans l’Evangile d’aujourd’hui il est dit bien :

« Il est bon pour les ingrats et les méchants. »

C’est-à-dire qu’Il n’entre pas dans ce mimétisme de cette réciprocité de rendre le mal par le mal, de cette volonté de rétablir l’équilibre et de s’affirmer. Non, Dieu n’a pas besoin de s’affirmer : Il est. Et Dieu donne du fond de Son cœur ce qu’Il a décidé de donner, Il n’est pas dans ce jeu ce faux dialogue. Dieu donne Sa grâce parce que toute Sa création et Son œuvre, toutes les créatures sont Ses enfants chéris. Et s’ils sont dans le mal, Lui qui est père, Il pleure, il prie, il invite. Mais Il ne saurait à Son tour se faire prendre dans le piège de la violence.

Et effectivement, on voit notre ami Saint Silouame prier profondément, inviter le pêcheur à se convertir, bien sûr, mais il n’est pas là à vouloir le mâter, le faire plier, l’emporter sur lui.

Nous n’entendons pas la parole du Christ, nous la ridiculisons même… Regardez comme on prend cette phrase de Jésus :

« Si on te frappe sur une joue, présente l’autre joue. »

Et on voit bien qu’on la comprend comme si c’était un conseil stupide de réagir comme un faible, comme de ne rien voir et de ne rien entendre face au mal, ce qui est grave. Et nous savons aujourd’hui plus que jamais le scandale que cela est de dire qu’on n’a pas vu un mal se produire, qu’on n’en a pas entendu parler.

Mais, nous oublions de réfléchir. Nous oublions de laisser la parole de Dieu nous enseigner nous travailler. D’ailleurs, si Jésus nous parle en paraboles d’ailleurs, c’est justement pour nous faire réfléchir, un peu comme ces sages de l’Orient, les maîtres zen par exemple, qui ont des petites phrases qui sont des vraies énigmes et qu’il faut des mois, des années ou peut-être une vie pour en pénétrer le sens. Nous avons besoin de laisser travailler notre cœur, de l’ouvrir.
Et Jésus nous donne la solution à cette phrase d’une manière concrète, en acte : Il a bien été frappé sur une joue par un serviteur lors de Son interrogatoire chez le grand-prêtre. Et qu’a-t-Il fait ? S’est-Il défendu avec violence en vociférant et en se défendant ? Non, Il répond seulement :

« Pourquoi me frappes-tu ? ai-je mal parlé ? »

Il lui tend un autre côté, c’est-à-dire qu’Il l’invite à désarmer, à aller chercher en lui l’homme bon, celui qui peut réfléchir au sens de ce qu’il a fait. En effet, cela n’a pas de sens, ce n’est pas juste et si c’est un homme bon, cela peut l’inviter à reprendre la bonne position, à revenir dans le bien et dans la justesse. Et si cela ne fonctionne pas, le conseil suivant est juste après dans le texte :

« Aimez vos ennemis. »

Et si ce n’est pas possible, priez pour eux, pleurez pour eux. D’ailleurs, Saint Silouane comme tout bon moine russe qu’il est avec ce don des larmes, a compassion qui sait être touché au cœur, et qui sait être malade parce que l’autre est dans le mal et dans la violence.

Et ensuite, Jésus insiste :

« Ne jugez pas, ne condamnez pas, mais pardonnez. »

Vous savez bien que c’est vraiment pour cela que Jésus est venu, que c’est pour cela qu’Il a vécu Sa passion. En Hébreu, pardonner c’est « délier ». Condamner c’est enfermer quelqu’un dans son mal, le réduire à son mal, on le sait bien.

L’autre jour au cours d’un témoignage de jeunes adolescents qui réfléchissaient sur le pardon, il a été employé l’expression « on pardonne quelqu’un ». Il ne disait pas « on pardonne à quelqu’un » parce qu’on pardonne une personne. Quand on pardonne « à » quelqu’un, on laisse notre vision s’obscurcir par le mal qui l’a fait.
Il nous faut prier, il nous faut aimer les ennemis. C’est cela apporter le feu sur la terre.

Vous connaissez bien ce passage du livre de la Sagesse que Saint Pierre reprend :

« Si tu aimes ton ennemi, si tu bénis celui qui te maudit, c’est comme amasser des charbons ardents sur sa tête ! »

Et Saint Silouane le dit dans à sa manière :

« « Aimez vos ennemis » est le reflet dans le monde du parfait amour de Dieu Trinité et constitue la pierre angulaire de tout notre enseignement. C’est l’ultime synthèse de toute notre théologie, c’est la force d’en haut, c’est cette surabondance de vie que le Seigneur nous a donné. C’est le baptême de l’Esprit-Saint et du feu.
Cette parole : « si vous aimez les ennemis » est le feu que le Seigneur est venu porter sur la terre ! »

Et vous vous rappelez que Jésus dit :

« Combien j’ai hâte que cela se réalise… »

Combien a-t-Il a hâte que nous le laissions travailler notre cœur. Il faut nous asseoir !
Nous faisons aujourd’hui un acte de vie spirituelle en venant à la messe et ne pouvons pas nous contenter d’attendre dimanche prochain pour renouveler un tel acte. Il nous faut nous asseoir, il nous faut regarder nos comportements, il faut regarder comment nous pouvons ne pas nous laisser lier par le mal mais apprendre à le délier. Cela demande un travail intérieur et cela ne demande pas simplement d’avoir juste de bons sentiments.

Nous avons une pédagogie dans la Bible qui est extraordinaire, une pédagogie dans la prière de l’Eglise qui reprend la prière des psaumes, où l’on voit toute cette fureur, ce cri devant le mal qui nous oppresse, et qui laisse sortir la colère, mais qui s’adresse au Seigneur.
Dans tous les psaumes nous voyons apparaître tout ce que nous ressentons parce qu’ils n’ont pas été écrits pour mettre un couvercle pour protéger les bons les gentils dans un déni de la réalité. Il s’agit d’ affronter la réalité et de rentrer dans ce chemin qui passe du combat contre le mal, et c’est ainsi que commencent les psaumes pour arriver à la louange, parce qu’au milieu du psaume, Dieu règne. Et dans chaque psaume - qu’il soit de détresse, qu’il soit de cette haine qui peut quelquefois habiter notre cœur mais exprimée au Seigneur pour en être délivré - on revient vers Lui :

« Mais toi Seigneur, tu es mon rocher, tu es mon refuge ! »

Rappelez-vous aussi cette phrase dans ce même enseignement de base de Jésus : il faut demander, il faut supplier pour que notre cœur et notre chair aussi comprennent cette parole de Dieu.

Et dans cet enseignement de base :

« Demandez et vous recevrez. »

Et si nous, humains, qui sommes bons et mauvais à la fois nous savons donner des choses bonnes à nos enfants, combien plus le Père donnera l’Esprit Saint à ceux qui le Lui demandent.
Et l’Esprit Saint est là dans cet amour de père.

Pour terminer cette saison dans cette demande, reprenons encore une parole de Saint Silouane, cette figure du Mont Athos :

« Le seul critère pour discerner les grâces n’est autre que l’amour des ennemis. Le Seigneur est humble et doux, Il aime Sa créature.
Là où est l’esprit du Seigneur, là règne infailliblement l’humble amour des ennemis et la prière pour le monde. Et si tu n’as pas cet amour, demande-le au Seigneur qui a dit : « Demandez et l’on vous donnera. Cherchez et vous trouverez. ! » Il te l’accordera. »

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Premier livre de Samuel 26,2.7-9.12-13.22-23.
  • Psaume 103(102),1-2.3-4.8.10.12-13.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 15,45-49.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 6,27-38 :

En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.

Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »