Homélie du 19e dimanche du Temps Ordinaire

27 novembre 2012

« Moi, je suis le pain de la vie. Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais ce pain-là, qui descend du ciel, celui qui en mange ne mourra pas. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

vous aimez Astérix ? Qui d’entre nous n’a rêvé de la potion magique ? Une petite dose et on part au combat et aucun ennemi ne nous résiste ! Peut-être nous arrive-t-il de concevoir l’Eucharistie un peu comme une potion magique : comme le prophète Élie, nous avons bien des passages difficiles ; alors nous allons recevoir l’Eucharistie et nous reprenons notre route sans souci. Cela contient une part de vérité car l’Eucharistie est vraiment le pain de la route, le viatique qui nous est donné pour avoir la force d’aller de l’avant. L’Eucharistie est bien le pain de la route mais de la route qui conduit au ciel, pas d’une route qui se limite à un horizon terrestre.

Moïse donne plus que la manne, il donne la Torah

Le chapitre 6 de Saint Jean s’inscrit dans le contexte de la comparaison entre Moïse et Jésus, comme le souligne Benoît XVI dans son encyclique Le Pain de Vie. Jésus est le Moïse définitif, le « prophète » que Moïse avait annoncé dans son discours au seuil de la Terre sainte. Ce n’est donc pas un hasard si, à la fin de la multiplication des pains, les gens disent :

« C’est vraiment lui le grand Prophète, Celui qui vient dans le monde » (Jn 6, 14).

Moïse avait donné la manne, le pain du ciel. Dieu lui-même avait nourri Israël en marche avec le pain céleste. Pour un peuple dont un grand nombre souffrait de la faim et de la fatigue du labeur quotidien, ce fut la promesse des promesses, qui condensait d’une certaine façon tous les espoirs : la fin de toute misère, un don qui calmerait la faim pour tous et pour toujours.

Mais par la suite, Israël a pris de plus en plus clairement conscience du fait que la Torah, la Parole de Dieu indiquant le chemin et conduisant à la vie, était vraiment là le don fondamental et durable de Moïse, et que le signe distinctif d’Israël consistait à connaître la volonté de Dieu et ainsi le juste chemin de la vie. Le grand Psaume 119 [118] laisse éclater la joie et la gratitude pour ce don (Psaume 119 - Les « délices de la Loi »). En effet, la pensée juive, dans son évolution interne, est arrivée progressivement à la conclusion que le vrai pain du ciel est précisément la Loi, la parole de Dieu. Dans la littérature sapientiale, la sagesse, qui est accessible et présente dans la Loi, apparaît comme du « pain » (Pr 9, 5).

À Capharnaüm, Jésus fait remarquer aux Juifs qu’ils n’avaient pas vu la multiplication des pains comme un « signe ». Tout ce qui les intéressait, c’était de manger et d’être rassasiés (cf. Jn 6, 26). Ils voyaient le salut comme quelque chose de purement matériel, à savoir du bien-être en général. S’ils voient la manne seulement comme quelque chose qui les rassasie, on est obligé de constater que la manne n’était pas du pain céleste, mais du pain terrestre. Elle avait beau venir du « ciel », elle n’était qu’une nourriture terrestre, voire une nourriture de substitution, qui devait cesser dès qu’on avait quitté le désert pour des contrées habitées.

Or Dieu veut nous donner plus qu’une nourriture terrestre. Jésus ne vient pas d’abord pour améliorer notre vie terrestre. Il y a vraiment la perspective de la Résurrection, de la vie éternelle. L’homme a une faim plus grande, il a besoin de plus qu’une simple nourriture matérielle. Par la Torah, l’homme peut, d’une façon ou d’une autre, faire en sorte que la volonté de Dieu devienne sa nourriture (cf. Jn 4, 34).

Jésus donne plus que la Torah

La Torah est du « pain » venu de Dieu, mais elle nous montre, pour ainsi dire, seulement le dos de Dieu, elle est « ombre ». C’est parce qu’il a parlé avec Dieu lui-même que Moïse a pu apporter aux hommes la parole de Dieu. Cependant, lorsque Moïse demande à Dieu : « laisse-moi contempler ta gloire », il reçoit immédiatement la réponse suivante :

« Quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et je t’abriterai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. Puis je retirerai ma main, et tu me verras de dos, mais mon visage, personne ne peut le voir » (Ex 33, 18-23)

Même Moïse n’aperçoit que le dos de Dieu, car son visage, « personne ne peut le voir ». Les choses sont bien différentes pour Jésus. Comme le dit saint Jean dans le Prologue :

« Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaître » (Jn 1, 18)

Seul celui qui est Dieu voit Dieu - donc Jésus. Il parle véritablement à partir de la vision du Père. Jésus est la Parole qui vient de Dieu, à partir de la contemplation vivante et de l’union avec lui.

« Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde » (Jn 6, 33)

Lorsque les auditeurs ne comprennent toujours pas, Jésus répète, encore plus clairement :

« Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif » Jn (6, 35)

Une parole, on la lit, on essaie de la comprendre, voire d’y conformer sa vie. Mais Jésus va plus loin : il parle de chair à manger, de nourriture, c’est-à-dire d’assimilation profonde :

« Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »

Il évoque ici, très certainement, la Passion et la Croix.

Dans la rencontre avec Jésus, nous nous nourrissons pour ainsi dire du Dieu vivant lui-même, nous mangeons vraiment le « pain venu du ciel ». Dieu devient du « pain » pour nous, tout d’abord dans l’Incarnation du Logos. Le Verbe se fait chair. Le Logos devient l’un de nous ; Il se met ainsi à notre niveau, dans ce qui nous est accessible. Mais un autre pas est nécessaire au-delà de l’Incarnation du Verbe et Jésus l’exprime ainsi à la fin de son discours :

« Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie » (Jn 6, 51)

Au-delà de l’acte de l’Incarnation, Jésus se donne jusque dans la mort et dans le mystère de la Croix. Le discours sur le Pain de vie oriente le grand élan de l’Incarnation et du chemin pascal vers le Sacrement dans lequel coexistent à la fois l’Incarnation et la Pâque. Nous sommes donc invités à accueillir le corps de Jésus non seulement comme le lieu de la présence de Jésus, mais comme le signe de son offrande totale à son Père sur la Croix.

« C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien » (Jn 6, 63)

Ici, on ne revient nullement sur le réalisme de l’Incarnation. Mais la perspective pascale du sacrement est soulignée. C’est seulement par la Croix et par la transformation opérée par Elle que cette chair devient accessible pour nous et qu’elle nous entraîne nous-mêmes dans le processus de transformation.

Mieux recevoir Jésus dans sa Parole afin de mieux le recevoir dans son Eucharistie

Arriver à l’heure

On ne peut séparer la liturgie eucharistique de la liturgie de la Parole. Un premier point consiste tout simplement à arriver à l’heure de façon à être présent à la liturgie de la Parole dans son ensemble.

Accueillir profondément la Parole

L’Eucharistie est vraiment une nourriture dans la mesure où nous l’accueillons dans sa plénitude, pas seulement comme une potion magique. Elle implique de s’ouvrir à la volonté de Dieu sur nous.

Les Pères de l’Église aiment dire qu’il a été plus profitable pour Marie de recevoir le Christ dans son âme que de le recevoir dans son corps. Bien évidemment ils n’entendent en rien minimiser la grâce immense pour Marie d’avoir été la Mère de Dieu, de porter Dieu lui-même en son sein. Nous pouvons reprendre ainsi les versets de saint Luc :

Dans l’Évangile de Saint Luc (Lc 11, 27-28) : « Une femme éleva la voix au milieu de la foule pour dire :
’Heureuse la mère qui t’a porté dans ses entrailles, et qui t’a nourri de son lait !’
Alors Jésus lui déclara : ’Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu, et qui la gardent !’ »

… ou encore : « Qu’est-ce que le Seigneur a répliqué, pour éviter qu’on ne place le bonheur dans la chair ? ’Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent !’
Donc, Marie est bienheureuse aussi parce qu’elle a entendu la parole de Dieu et l’a gardée : Son âme a gardé la vérité plus que son sein n’a gardé la chair. (…)
Ce qui est dans l’âme est davantage que ce qui est dans le sein. » (Saint Augustin)

On pourrait appliquer cela à chaque chrétien qui reçoit le Seigneur en Son Eucharistie. Sans minimiser en rien le don immense de l’Eucharistie, nous pouvons dire qu’il nous est plus profitable de recevoir le Seigneur dans sa Parole que dans son Corps si auparavant nous ne l’avons pas accueilli dans sa Parole.

Saint Paul a des paroles très fortes à ce sujet :

« Celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur sans savoir ce qu’il fait aura à répondre du corps et du sang du Seigneur. On doit donc s’examiner soi-même avant de manger de ce pain et boire à cette coupe. Celui qui mange et qui boit mange et boit son propre jugement s’il ne discerne pas le corps. » (1 Co 11, 27-29)

Le Catéchisme de l’Église catholique le rappelle :

« Celui qui est conscient d’un péché grave doit recevoir le sacrement de la Réconciliation avant d’accéder à la communion » (CEC n° 1385)

  • Communion spirituelle
    Cela nous fait comprendre que certaines personnes, qui ne peuvent accéder à l’Eucharistie du fait de leur situation matrimoniale ou pour d’autres raisons, peuvent cependant vivre une communion plus intime avec le Seigneur du fait de leur désir de conformer leur vie à sa Parole. Nul doute que le Seigneur vienne les rejoindre…

Que Marie nous aide à avoir les dispositions les meilleures pour accueillir le Seigneur en son Eucharistie,

Amen


Références des lectures du jour :

  • Premier livre des Rois 19,4-8.
  • Psaume 33(32), 2-3, 4-5, 6-7, 8-9.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens 4, 30-32 ; 5, 1-2.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 6,41-51 :

Comme Jésus avait dit : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel », les Juifs récriminaient contre lui : « Cet homme-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire : ’Je suis descendu du ciel’ ? »
Jésus reprit la parole :
— « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire vers moi, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Tout homme qui écoute les enseignements du Père vient à moi.
Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père.
Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi a la vie éternelle.

Moi, je suis le pain de la vie. Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais ce pain-là, qui descend du ciel, celui qui en mange ne mourra pas.
Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »