Homélie de la fête de la Sainte Famille

4 janvier 2016

« Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »
Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »

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Texte de l’homélie :

Chers Frères et Sœurs,

Comme le disait Père Pierre-Marie au début de cette messe, la Sainte Famille de Nazareth nous est présentée comme un modèle. Et il est bon qu’au seuil de cette ère chrétienne, Jésus nous donne un modèle de personne à suivre, celui de sa propre personne, mais aussi un modèle de communauté, celui de la famille. En quoi cette famille de Nazareth est une famille qui nous aide ? et non pas qui nous juge ou qui nous donne des complexes parce qu’on n’est pas une famille aussi bien qu’elle : la Sainte Famille, il n’y en a qu’une !

Alors trois points peut-être : la première chose, c’est que Dieu est au centre. Ensuite, c’est une famille qui accepte de dialoguer, et puis c’est une famille où chacun est à sa place.

Dieu au centre de la famille

Alors, c’est beau de voir ce grand pèlerinage. Le texte grec nous dit qu’ils sont en « synode », ce qui veut dire « faire le chemin ensemble », donc ils marchent ensemble. Eh bien voilà ce que c’est mettre Dieu au centre : c’est marcher ensemble vers Dieu. C’est tellement important de voir que Dieu est le ciment des familles. Sans Dieu, la famille se défait.

C’est un peu comme la Tour Eiffel si vous voulez. Son sommet touche le ciel, et ses pieds touchent la terre, ce qui est à priori logique. Mais il y a quelque chose de particulier dans la Tour Eiffel : tout en haut, on trouve une petite plateforme centrale où on peut se retrouver facilement, et puis plus on descend, plus ça s’écarte, et il finit par y avoir quatre pieds assez distants les uns des autres. Eh bien voilà, quand on est en Dieu, quand on met Dieu à la première place, on est comme sur la plate-forme sommitale de la Tour Eiffel, on est dans un foyer, on partage, on communie.
Et puis si on s’éloigne de Dieu, si on s’éloigne du Ciel, on va se retrouver petit à petit au premier étage. On y trouve un grand restaurant, agréable, avec beaucoup de choses sympathiques, mais c’est un petit peu plus anonyme, il y a beaucoup de biens matériels.
Et si l’on s’éloigne encore, chacun peut se retrouver dans l’un des quatre pieds de la Tour Eiffel et arriver sur le Champ de Mars où on est gagné par la foule, perdu dans l’anonymat.
Alors, chacun suit sa vie dans un individualisme que l’on ne connaît que trop et d’où toute communauté, toute communion a disparu. Nos familles sont trop souvent comme cela. Nous avons perdu bien souvent cet art du vivre ensemble. Combien de familles se divisent ? Dans l’ensemble du territoire français, c’est une sur trois, à Paris une sur deux, c’est beaucoup…

Une famille qui prie, c’est une famille unie. Bien sûr, ce n’est pas magique. Mais ça aide beaucoup.
Pourquoi souvent nous ne prions plus en famille ? Parce qu’on a beaucoup de respect humain, peur de montrer cette dimension de foi devant ses proches. Peut-être aussi parce qu’on se laisse gagner par le rythme de notre société, par la télévision qui impose elle aussi son rythme, la profession, et c’est normal, internet pour lequel chacun est rivé à son propre écran.
Il faut pouvoir se dire : « je re-choisis », que rien ne nous soit imposé. La personne comme la famille doit choisir son mode de vie. Elle ne doit pas le recevoir d’une société qui peut être parfois vraiment destructrice de la dignité humaine et de la communion entre les hommes.

Pendant des siècles, on a prié le chapelet en famille. Alors peut-être aujourd’hui peut-on prier une dizaine, ou raviver la prière du soir, la bénédiction de la table… des choses toutes simples comme un Notre Père avant de passer à table pour nous, pour nos petits enfants, pour les gens à qui l’on peut conseiller de telles attitudes… Et le chapelet, encore une fois.
C’est magnifique de voir tant de famille le prier par le passé, et dans d’autres pays aujourd’hui où la pratique n’a pas été abandonnée, et de voir combien elles ont été unies, combien elles ont pu vivre cette communion, combien elles ont pu donner des vocations aussi. Ce n’est pas une prière d’imbéciles le chapelet.
Jean-Paul II disait « c’est ma prière préférée », et Dieu sait quel grand esprit il était.

Je vous donne un petit témoignage par rapport à ça. Quand j’étais en Argentine, nous organisions des journées pour les familles, et venaient quelques familles dites « recomposées ». Nous avons alors eu un très beau témoignage d’une de ces familles, justement où il y avait des enfants d’une fratrie et ceux de l’autre fratrie qui se retrouvaient dans un même lieu pour vivre, et cette vie était difficile, pleine de haine, de jalousie, toutes ces choses qui peuvent exister lorsqu’il y a eu des divisions et des blessures… Et cette famille recomposée a prié le chapelet et elle témoignait combien petit à petit avait pu naître une nouvelle affection, une nouvelle communion dans cette famille malmenée par la vie un petit peu, et comme quoi la Vierge Marie avait redonné cette grâce de la charité mutuelle, de l’amour mutuel. Marie jamais ne nous déçoit.

La famille et le nécessaire dialogue

Le dialogue est nécessaire, et pas seulement quand cela ne va pas. Dans l’Évangile, il nous est présenté ce dialogue qui arrive quand ça ne va pas. Jésus a fait sa fugue, les parents essayent de voir ce qui s’est passé. Bien évidemment, dans la Sainte Famille, le dialogue n’a pas dû manquer à toutes les étapes de la vie du Seigneur.

Marie et Joseph sont heurtés, blessés par l’attitude de Jésus, mais ils n’en restent pas à leur blessure. Marie aurait pu dire « viens, on rentre à Nazareth, tu as fait assez de bêtises comme cela ! ». Non. Elle pose une question, et elle écoute la réponse. C’est cela le dialogue, c’est cette écoute, en mettant parfois entre parenthèse une blessure. Le dialogue peut rétablir une communion. Par le dialogue, on va rechercher ensemble la vérité. La vérité et une, donc la vérité va nous unifier.
Nous pouvons peut-être nous défier d’une fausse conception du dialogue : croire qu’il résout tout. Le dialogue, ce n’est jamais gommer le mystère des êtres, ce mystère nous résiste ! Combien de parents pourraient dire comme l’évangéliste à propos de Joseph et de Marie : « Ils ne comprirent pas ce qu’Il leur avait dit. » Combien de parents ne comprennent pas leurs enfants ? Il faut cependant garder cette volonté absolue d’aimer l’autre, même s’il nous échappe, surtout s’il nous échappe. Jean Vannier évoquait un jeune tombé dans la consommation de drogue, et qui pour financer sa drogue était tombé dans un gang, puis dans la prostitution, et puis ce jeune tombe gravement malade. Sa mère obtient son adresse pour aller le visiter avant qu’il ne meure. Et alors, à son chevet, elle entend cette phrase terrible de son fils : « Tu as toujours voulu me changer, tu n’as jamais voulu me rencontrer. »

Aujourd’hui, Joseph et Marie rencontrent, certes douloureusement, mais rencontrent Jésus dans son mystère. Et aujourd’hui, ils sont plus proches de la vérité de son être qu’ils ne l’ont jamais été auparavant.

Chers frères et sœurs, c’est cela aimer en famille. Accepter de ne pas comprendre l’autre et maintenir inébranlable la volonté d’aimer.

La famille : chacun à sa place

« Il leur était soumis » nous dit le texte. Il y a un rôle pour chacun de ceux qui intègrent la famille : un rôle du père, un rôle de la mère, un rôle des enfants. Du rôle du mère et de la Mère, nous en avons beaucoup parlé les années précédentes avec les problèmes sociétaux que nous connaissons. Mais aussi rôle des enfants.
Les parents ne doivent pas jouer le rôle des enfants et les enfants le rôle des parents. On le sait bien, il n’y a que trop de confusions aujourd’hui à ce niveau-là. Des enfants qui supportent le poids excessif de la vie compliquée de leurs parents. Ou des parents qui se confient de manière déplacée à leurs enfants et prennent conseil auprès d’eux, alors que ce devrait être l’inverse.

Aidons ceux que nous connaissons à retrouver le sens du rôle de chacun dans la famille. Être un père, être une mère, c’est un sacrifice. Être éducateur c’est aussi un sacrifice. On voit tant de familles monoparentales, c’est un drame. Mais aussi tant de pères et de mères célibataires qui sont absolument exemplaires. Je me souviens en Argentine de ces mères de famille abandonnées par le mari mais qui avaient maintenu coûte que coûte le cap pour que les enfants reçoivent une bonne éducation, et qui gardaient pour elles leur chagrin pour ne pas le faire peser sur leurs enfants…

Aujourd’hui plus que jamais est nécessaire une solidarité entre les familles, les familles fortes, solides, et les familles plus fragiles. Il faut pouvoir aider ceux qui ont été plus malmenés par la vie. Cela demande inventivité, évidemment, discrétion et tact. Mais cela est si nécessaire.
Et c’est d’abord aux laïques à assumer cette pastorale des familles en difficulté, appuyés bien sûr sur l’Église et ses pasteurs. Regardons autour de nous, voyons ces familles qui pourraient avoir besoin de nous en ce sens.

Quel est le fruit de tout cela ?

Mettre Dieu au centre, vivre ce dialogue et ordre ? « Jésus croissait ». C’est la croissance. Chers Parents, chers éducateurs, vous avez à mettre au monde, de nouveau, vos enfants à chaque étape de sa croissance comme le dit Saint Paul : « Petits enfants que j’enfante à chaque moment dans la douleur. » Voilà. C’est le rôle de l’éducateur, c’est le rôle des parents. Pour qu’effectivement puisse naître cet homme nouveau que sont chacun de vos fils et de vos filles.
Demandons ces grâces à la Sainte Famille de Nazareth, et elle non plus ne nous décevra pas.

Amen !


Référence des lectures du jour :

  • Premier livre de Samuel 1,20-22.24-28.
  • Psaume 84(83),2-3.5-6.9-10.
  • Première lettre de saint Jean 3,1-2.21-24.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 2,41-52 :

Chaque année, les parents de Jésus se rendaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
Quand il eut douze ans, ils montèrent en pèlerinage suivant la coutume.
À la fin de la fête, comme ils s’en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents.
Pensant qu’il était dans le convoi des pèlerins, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.
Ne le trouvant pas, ils retournèrent à Jérusalem, en continuant à le chercher.

C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions, et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses.
En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement, et sa mère lui dit :
— « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »
Il leur dit :
— « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.

Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements.
Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.