Homélie de la solennité du Christ, Roi de l’Univers

25 novembre 2014

« Alors les justes lui répondront : ’Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli’ ? »

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Texte de l’homélie :

On ne parle plus beaucoup du jugement dernier. Cette parabole à propos de ce roi qui reçoit les uns et les autres nous est donnée pour nous nous parler de Dieu Lui-même et nous sensibiliser au sujet du jugement dernier.

Peut-être en parle t-on moins parce que c’est moins vendeur, moins audible, « nous irons tous au Paradis » comme dit la chanson… Cette histoire de jugement n’est-elle pas finalement négative, puisqu’on dit : « Tu ne jugeras pas », « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés »…
Et si l’on y réfléchit bien, notre dignité ne réside t-elle pas dans le fait qu’il y a un jugement dernier ? Ne juge t-on pas les personnes responsables, même dans la société civile ? quelqu’un qui ne serait pas responsable en raison de problème psychiatriques ou d’un handicap mental ne pourrait pas subir un procès mais plutôt un traitement médical.
Ainsi, on juge des personnes que l’on estime responsables.

Alors, c’est pourquoi je me dis que le jugement dernier est l’affirmation de notre grande dignité, et cela donne à notre vie humaine une extraordinaire densité : ce que je fais ici-bas retentit dans l’Éternité. Pensons-nous parfois un instant que nous préparons notre éternité dès ici-bas, par nos actes ?
On le voit bien quand Jésus donne l’exemple secourir des personnes qui sont dans un état de fragilité : ceux qui ont faim, soif, nus, malades ou étrangers, ou en prison. Ainsi, ce que l’on fait pour ces personnes-là nous ouvre les portes de la vie éternelle, d’une manière ou d’une autre.

N’est-ce pas pour le moins original comme manière de juger ? en effet, on pourrait s’attendre à une autre forme de jugement : si vous avez beaucoup prié, jeûné, fait l’aumône… Mais, au chapitre 25 de son évangile, Saint Matthieu nous rappelle que ce sont les actes d’amour désintéressé que nous posons sur cette terre, dans cette vie, que nous emporterons avec nous.
J’allais même dire, il n’y a que ces actes-là que nous emporterons avec nous : les actes d’amour désintéressé.

En Espagnol, il y a un dicton très beau qui dit : « La mortaja no tiene bolsillo »

« Le linceul n’a pas de poche ! »

Autrement dit : d’une manière inéluctable, je laisserai tous les biens matériels que j’ai ici, je les laisserai tous. Je n’emporterai pas non plus tout ce qui n’a pas été amour dans ma vie. J’emporte uniquement ces actes d’amour désintéressé, et la personne qui est en état de fragilité me donne cette occasion de me dépasser, de sortir de moi-même, pour pouvoir être à l’écoute.

Mais, me direz-vous, il n’y a pas besoin d’être croyant, et encore moins catholique, pour faire des œuvres de bien ! et heureusement ! Dans notre société, les œuvres de bien sont encouragées : il y a beaucoup d’ONG, d’associations humanitaires qui n’ont pas de fondement religieux. Alors, en quoi sommes-nous différents ?

Prenons d’abord conscience que s’il y a des associations humanitaires qui n’ont pas de fondement religieux, c’est qu’au départ, il y a eu une évangélisation : l’espérance chrétienne a façonné notre continent, ainsi qu’un certain nombre de pays. Et même si aujourd’hui, les personnes impliqués ne sont pas forcément religieuses ou pratiquantes, cela a été rendu possible par rapport à ce qui existait avant.
Car, avant que le Christ n’arrive, à qui avait faim, était étranger, malade ou en prison, on posait la question : « est-ce toi qui as pêché ou sont-ce tes parents ? », comme Pierre lui-même pose la question à Jésus au moment du miracle de l’aveugle né. C’est comme s’il y avait une relation entre le fait d’être fragile et une éventuelle cause provoquée par des actes mauvais. Certes, cela se comprend bien dans le cas de la prison !

Ainsi, cette identification du Seigneur avec la personne pauvre, celle qui est en situation de souffrance ou de vulnérabilité, est très forte. Si d’autres font le bien et ne sont pas mus par la Foi, réjouissons-nous : c’est heureux ainsi !
Nous, comme chrétiens, quand nous nous approchons d’une personne en fragilité, nous avons conscience que c’est non seulement d’une personne humaine que nous nous approchons, mais aussi du Seigneur Lui-même :

« C’est à moi que vous l’avez fait. »

Identification avec le pauvre qui fait que des Vincent de Paul, des Mère Teresa se sont levés dans l’Église, et bien avant eux, un Saint Laurent – diacre et trésorier de l’Église naissante – qui, quand l’empereur lui demandait de donner les trésors de l’Église à l’Empire, est arrivé avec les aveugles et les estropiés, et les a présentés : « Voici le trésor de l’Église ! ».
Cela fait partie de la culture chrétienne depuis le début, entre autres avec cet évangile. L’identification du pauvre te du Seigneur a fait se surgir dans Son Église des hommes et des femmes qui se sont levés pour dénoncer l’injustice, qui se sont indignés…

Et aujourd’hui, je me demande si les paroles de Matthieu dans le chapitre 25 ne sont pas en danger de tomber dans l’oubli ? « Qui va sauver le soldat Matthieu 25 » ?
Non pas que personne ne continuerait à faire le bien, mais nous voyons bien en France des mouvements de repli et de peur.
Prenons un exemple : « J’étais étranger, et vous m’avez accueilli. » Cela n’a pourtant jamais été simple d’accueillir un étranger… et où en est-on aujourd’hui dans cette dimension d’accueil de l’étranger, sans être angélique ?
En ce qui concerne le pape François, on sent que cet évangile est central dans son pontificat. Il puise dans les trésors de l’Église, dans sa très grande tradition.

Chers jeunes, il est important que nous nous posions la question : « où en sommes-nous de notre implication au service des autres ? », car il en va non seulement de notre salut, de toucher quelque chose de la vie éternelle, mais aussi de la fécondité de notre vie ici-bas. Une vie est féconde, elle porte du fruit dans la mesure où elle rentre dans une logique de don, dans une forme de dés-appropriation, d’accueil et de compassion.

C’est bien là où notre vie porte du fruit. Alors, ne prétextons pas le manque de temps et de moyens pour contourner cette question essentielle de la mise en application de Matthieu 25.
C’est tellement central que Jésus Lui-même l’a choisi pour définir l’entrée dans le Royaume. Ce n’est tout de même par rien… il s’agit de notre destinée éternelle !
Cela a été porté par les Chrétiens depuis le début. Que d’autres le portent maintenant, réjouissons-nous en, mais nous le protons parce que c’est à Lui que nous le faisons, ainsi qu’à la personne concernée. C’est bien pour cela qu’il y a un lien entre l’Eucharistie et l’amour du plus pauvre. Comme le disait Charles de Foucauld :

« Dans l’Eucharistie, Jésus a pris la dernière place, personne ne pourra la Lui ôter… »

Ainsi, on voit un aller-retour entre cet amour du plus pauvre et cet de l’Eucharistie. Il y a un lien spirituel très fort.
Voici la réponse extraordinaire de Saint Vincent de Paul à une sœur posait lui la question : « Mon père, si un pauvre vient à sonner alors que je suis à la chapelle, que dois-je faire : dois-je la quitter pour aller lui ouvrir ?

« C’est ainsi que vous quitterez Dieu pour Dieu ! »

Dans notre chère France, nous avons encore à donner ce témoignage, cet engagement. Nous avons aussi à nous indigner lorsque nous voyons l’injustice à réagir, et à ne pas se dire que ce sera quelqu’un d’autre qui s’en occupera, et l’on passe comme le Lévite et le prêtre à côté de l’homme blessé au bord du chemin, alors que c’est le Samaritain qui s’arrête…

Demandons alors au Seigneur et à la Très Sainte Vierge de nous aider à prendre plus conscience – si nécessaire – de cette logique de don, de don gratuit que nous permet d’expérimenter la personne en fragilité. Et, rappelez-vous des conseils de Jésus :

« Quand vous invitez, n’invitez pas ceux qui peuvent vous retourner la pareille, mais allez par les chemins inviter les aveugles, les boiteux, les estropiés, invitez ceux qui ne pourront jamais vous rendre. »

Alors vous serez heureux, heureux de cette béatitude qui leur appartient aussi,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Ézéchiel 34,11-12.15-17.
  • Psaume 23(22),1-2ab.2c-3.4.5.6.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 15,20-26.28.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 25,31-46 :

Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
— « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres : il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite :
— ’Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! ’
Alors les justes lui répondront :
— ’Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? ’
Et le Roi leur répondra :
— ’Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. ’

Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche :
— ’Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. ’
Alors ils répondront, eux aussi :
— ’Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ? ’
Il leur répondra :
— ’Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. ’
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »