Homélie du 17e dimanche du temps ordinaire

30 juillet 2018

« Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Quand on médite un passage de l’Écriture, c’est toujours bien de le resituer à l’intérieur même de l’Évangile. Ainsi, nous sommes au 6e chapitre de Saint Jean, celui que l’on appelle le « discours du Pain de Vie », et qui vient après le « discours du Fils », cette affirmation de la divinité du Christ et du lien avec le Père, au chapitre 5 :

« Qui me voit voit le Père… »

Ce passage de la multiplication des pains est central car c’est un des seuls qui est commun aux quatre évangiles, avec le baptême du Christ et les Rameaux.
Vous le savez, les évangiles sont un témoignage, ce n’est pas descendu directement du Ciel, et chaque évangéliste y ajoute les notes personnelles mais la majeure partie du passage et commun aux quatre évangélistes. Cela signifie bien l’historicité de cet événement de la multiplication des pains, qu’ils ont tous les autre vu comme très important.

Le peuple de Dieu appelé à une nouvelle démarche

Sans trop forcer le texte, on peut dire que c’est un moment capital car c’est fondation de l’Église : à travers ce passage, on voit bien une invitation à être dans un nouvelle démarche, un nouvel Israël. Quand on lit le Nouveau Testament, on voit différents moment où Jésus traverse la mer de Galilée, une grande foule le suit, il y a des signes ; Il gravit la montagne, la fête de la Pâque est proche… cela nous fait penser à Jésus comme un nouveau Moïse qui guide son peuple.
Saint Jean resitue cela comme l’accomplissement de la prophétie de l’Exode : le Bon Pasteur qui guide Son peuple, au point qu’il note qu’à cet endroit, il y avait beaucoup d’herbe : il conduit son troupeau là où il y a une nourriture.

Dans cette explication de l’Église, il y a cet accomplissement de l’Exode, et c’est le sens du baptême, sacrement initiatique : l’Église nous invite toujours à franchir les eaux pour aller vers les pâturages, sous la conduite du Christ, à monter sur la montagne, lieu par excellence de rencontre avec le Seigneur.

Jésus donne la nourriture vitale

Si l’on revient à la question de la foule nombreuse et de la nourriture : dans le même passage chez un autre évangéliste, on voit que Jésus fut touché de compassion en voyant toutes personnes qui cherchaient une parole. Il y a quelque chose à développer dans l’Évangélisation de tous ceux qui ne sont pas disciples du Christ : il y a une certaine soif, toujours comblée par quelque chose de matériel et de provisoire, mais il suffit d’un événement particulier pour réveiller, désensabler cette source qui habite dans le cœur de chaque homme.
Et quel est le rôle de l’Église si ce n’est de répondre à la soif spirituelle de nos contemporains, d’être cette source à laquelle on puisse s’abreuver ?

Ainsi, on voit que Jésus Lui-même est touché par ça, même si cette motivation est intéressée :

« Ils le suivaient parce qu’ils avaient vu de nombreux miracles… »
« Une grande foule Le suivait car elle avait vu les signes qu’Il accomplissait pour les malades. »

Au début, lorsque l’on s’approche du Seigneur, ce n’est pas toujours dans une foi absolument pure et exempte d’intérêt : cette démarche peut être très intéressée parce que l’on cherche à ne pas être seul et être avec d’autres, gagner son ciel…
Et nous, qui sommes du Seigneur, gardons-nous d’avoir un regard méprisant sur ceux qui s’approchent à tâtons, et Jésus emploie toute une pédagogie, tout comme Moïse avec le peuple d’Israël, et c’est la pédagogie de l’Église : répondre à la soif.

Faire asseoir là où il y a de l’herbe, les verts pâturages, le bon pasteur… puis, vient la question de nourrir.

Jésus ne craint pas la disproportion entre le besoin et les moyens…

« Cinq pains et deux poissons, qu’est-ce que cela pour tant de monde ? »

C’est une autre caractéristique de l’Église : il n’y a pas de proportion entre les besoins des fidèles et de l’humanité, besoin de rencontrer le Salut, d’ouvrir son cœur à une source de vie qu’est le Christ, et les moyens dont elle dispose pour répondre à cela. C’est encore plus vrai aujourd’hui, mais cela ne date pas d’hier : le christianisme est la religion de la disproportion.
Il n’y a pas de commune mesure entre ce que nous sommes et ce à quoi nous sommes appelés à devenir, et la différence entre les deux est le lieu du miracle, de la grâce. Et par le baptême, nous sommes incorporés au Christ, appelés à la sainteté par Lui :

« Devenez saints comme moi je suis saint. »

Et en même temps, on constate nos misères quotidiennes, nos manques de patience, voire nos addictions et nos comportements inappropriés…

En face de la pauvreté de l’Église en France, de ce petit reste, c’est beau de voir cette disproportion. Lorsqu’il était encore cardinal, Benoît XVI disait que l’Église serait faite de petites communautés, que le temps de la chrétienté de masse était révolu : elle serait désormais formée de petites communautés vivantes. D’où l’importance de ce lieu, de ce rassemblement des fidèles pour les nourrir et les envoyer dans ce monde.

Elle est le lieu de la grâce. Jésus lève les yeux vers Son Père, Lui qui est Le Fils.

« Ils mangèrent à leur faim et on ramassa les morceaux pour que rien ne se perde… »

On voit l’importance de cette nourriture et l’exigence de l’apporter est encore plus grande aujourd’hui dans notre société qui gave et ne nourrit pas. Pourtant, on peut être gavé tout en étant écœuré. L’accumulation des biens matériels, cette course au confort ne nourrit pas ; en nous, reste toujours comme une béance, comme un appel, une demande, une quête.
Beaucoup de nos contemporains l’ignorent mais certains l’écoutent, car il y a des moments où l’on sent qu’il n’y a qu’un transcendance qui pourra nous aider, particulièrement dans l’épreuve. Au moment des attentats que nous avons subi, 10 000 personnes sont venus à Notre-Dame, de tous horizons et de toutes religions, et pas seulement des croyants. On ne peut pas se contenter de ce qu’offre la société de consommation face à une telle absurdité.
Cet appel à la transcendance, à tourner les yeux comme le fait Jésus, pour qu’à notre tour, nous puissions lever les yeux et rendre grâce.
Voici la mission de l’Église, et c’est là toute la préfiguration de l’Eucharistie : nous sommes là pour être nourris. C’est un même repas que celui des Noces de Cana et c’est pour cela que dans certaines fresques, l’artiste a représenté la table des noces avec deux poissons. Vous le savez, le poisson se dit Ichtus, l’anagramme même de Jésus, Fils de Dieu Sauveur.
Cela nous rappelle le lien entre les Noces de Cana, cette multiplication des pains et l’Eucharistie. C’est le même repas, particulièrement dans l’évangile de Saint Jean.

C’est intéressant de voir ce lien : là où il y a l’Eucharistie, il y a l’Église, là où il y a l’Église, il y a l’Eucharistie : on célèbre un Dieu qui se donne dans la fragilité du pain et du vin. Car, s’il n’était pas simple de croire que 5 pains et 2 poissons allaient nourrir 5000 hommes – sans compter les femmes et les enfants – il n’est pas très simple non plus de croire que, sous les apparences du pain et du vin, Dieu est tout autant présent que dans le Royaume. C’est une certitude, mais ce n’est pas une évidence.

C’est la Foi qui nous permet de dire : « Mon Seigneur et mon Dieu ». C’est la Foi qui fait l’Église, ce vecteur pour nous encourager, cette communauté des croyants. Ce sont les apôtres eux-mêmes qui donnent à manger. Notre religion est celle de la disproportion car c’est celle de la médiation humaine :

« Donnez-leur vous-même à manger »

Ce texte de la multiplication des pains est central dans notre foi, car il nous rappelle qui nous sommes : l’Église rassemblée. Si l’Évangile était une chaîne de montagnes, ce serait un sommet aux neiges éternelles.
Demandons au Seigneur de nous redonner cette vraie dimension du peuple de Dieu en chemin, qui franchit les eaux, qui écoute la parole, est conduit vers les verts pâturages.
Nous sommes ce peuple de Dieu en route qui avance à tâtons, fait comme il peut dans la Foi, convaincus que, quand nous levons les yeux et rendons grâce en participant à l’Eucharistie, Dieu est avec nous, et que nous sommes avec Lui,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Deuxième livre des Rois 4,42-44.
  • Psaume 145(144),10-11.15-16.17-18.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens 4,1-6.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 6,1-15. :

En ce temps-là, Jésus passa de l’autre côté de la mer de Galilée, le lac de Tibériade. Une grande foule le suivait, parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait sur les malades.
Jésus gravit la montagne, et là, il était assis avec ses disciples.
Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche.
Jésus leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe :
— « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? »
Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire.
Philippe lui répondit :
— « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain. »
Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit :
— « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! »
Jésus dit :
— « Faites asseoir les gens. »
Il y avait beaucoup d’herbe à cet endroit. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes.
Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, il les distribua aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient.

Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples :
— « Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde. »
Ils les rassemblèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge, restés en surplus pour ceux qui prenaient cette nourriture.
À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde. »

Mais Jésus savait qu’ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul.