Homélie du 1er dimanche de Carême

16 février 2016

En ce temps-là, après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, Il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, Il fut tenté par le diable.

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Texte de l’homélie :

Bien chers Frères et Sœurs,

Cette semaine, dans un grand quotidien national, a paru un sondage très intéressant réalisé auprès des collégiens de France. Plusieurs questions leur étaient posées à propos de leur religion, dont : « Te sens-tu attaché à ta religion ? » ou « Te sens-tu fier de ta religion ? ».
Les résultats étaient les suivants : 80% des jeunes musulmans répondaient à ces questions par l’affirmative, et à peine 1/3 des catholiques ou de ceux qui se disaient tels. 70% de ces jeunes musulmans interrogés se disaient aussi prêts à préférer les principes religieux à la loi de l’État si celle-ci s’opposait à ces principes quand à peine 1/3 des catholiques étaient prêts à obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes…

Chers frères et sœurs, cela nous pose des questions par rapport à notre religion. Notre catholicisme serait-il devenu une religion faible comme on parle d’une pensée faible, une religion soluble dans l’eau ?
Il est important que nous voyions pourquoi nous avons à nous préoccuper de ce résultat, non pas pour revenir à une espèce de repli identitaire, non, rien à voir. L’Évangile n’est jamais cela. Il est toujours au service du monde. Mais pour voir comment notre foi a perdu de sa vigueur et de son énergie ! Qu’est-ce que c’est que cela, sinon baisser les bras devant l’adversité ? Voilà pourquoi il est important de se demander comment redonner cette vigueur à nos convictions, à notre religion, à notre attachement au Christ.

Et bien, justement, ce temps du Carême est un temps pour nous fortifier.
Et comment se fortifie la foi ? Jésus nous en montre aujourd’hui l’exemple par l’épreuve, par la tentation. Il s’agit de défendre notre attachement à Dieu par-delà toutes les séductions qui peuvent se présenter à nous. Oui, aujourd’hui, le Christ nous montre le chemin pour savoir comment être l’homme fort comme le dit l’Évangile. Il gagne le désert pour cela. Il y est poussé par l’Esprit. La tentation, ce n’est pas l’effet simplement d’une faiblesse, c’est l’effet d’une vie spirituelle intense, d’une vie qui se laisse guider par l’Esprit comme le fut la vie du Christ.

Il nous faut donc affronter cette tentation si nous voulons devenir forts. Lui, le Christ, part au désert. Vint le Démon, et le terrain est libre devant lui pour l’annonce de l’Évangile.
Il est très curieux de voir les premiers moines, dans les premiers temps du Christianisme, allaient au devant de la tentation en allant au désert. Le désert, quel était ce lieu ? C’est le lieu où habitaient les démons. Et les moines, ces hommes de Dieu, allaient au désert pour débusquer le démon de sa tanière pour lutter avec lui, pour le vaincre, pour rendre ainsi un service immense à l’humanité. Voilà en quoi ils se mettaient dans les traces du Christ.
Ces hommes, en même temps, se fortifiaient par la lutte, par la douleur du combat spirituel parfois. L’un d’eux disait : « Verse le sang, reçoit l’Esprit. »
Verse le sang de ton combat spirituel pour recevoir l’Esprit de force du Ressuscité sur qui la mort n’a plus aucun pouvoir.

Chers Frères et Sœurs, il ne s’agit pas d’une époque révolue, d’une espèce de légende dorée qui n’aurait plus rien à voir avec nous. Il nous faut retrouver le sens de cette lutte spirituelle, coûteuse parfois mais si féconde ! Le sens aussi du jeûne. Pourquoi ? Car le jeûne va faire apparaître nos faims justement. Remarquons que c’est au bout de quarante jours que le Christ est tenté. Il Lui a fallu attendre ces quarante jours pour que se manifeste cette faim se manifeste à Lui, pour que le Démon joue de cette faim, et essaye de détourner le Christ de sa mission.

Et nos jeûnes à nous ? Jeûnes de distractions, de nourriture, de boisson, de télévision, etc, vont faire bien souvent apparaître des nécessités plus cachées, plus ou moins dissimulées, plus ou moins avouées ou avouables, mais qui font en nous comme un travail de sape en cachette, si elles ne sont pas combattues, affrontées et vaincues.

Chers Frères, en Occident, nous ne sommes guère habitués à connaître la frustration, la faim. Bien souvent, la plupart de nos désirs peuvent s’accomplir en un clin d’œil avec oh combien de facilité ! Nous ne sommes plus habitués à ce petit pincement de l’estomac que nous appelons la faim. Mais différer une satisfaction immédiate, c’est cela qui me fortifie.
Le Père Daniel Ange disait : « Résister, c’est exister. » Et l’Écriture nous dit :

« Vous n’avez pas résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché ! »

Quelle parole audacieuse ! Quelle parole virile au bon sens du terme. Quelle parole de force pour nous motiver !
Pardonnez-moi mon mauvais côté littéraire qui ressort, mais j’aimerais partager avec vous ma lecture du moment : je suis en train de lire Le Meilleur des Mondes de Huxley, vous le connaissez certainement. Dans ce roman, il s’agit pour les administrateurs de ce monde nouveau et parfait de créer une nouvelle génération. Certains de ces citoyens sont employés à éduquer les enfants. Et ils ont comme consigne de répondre immédiatement à tous les désirs de ces enfants qui sont élevés en batterie, et non pas dans leur famille, pour être sûrs qu’ils s’intègrent parfaitement à ce monde nouveau et qu’ils n’aient aucune personnalité.
Voilà par quoi notre monde d’aujourd’hui peut être menacé, sans mettre les choses au pire, mais soyons attentifs à ces mécanismes qui existent parfois dans notre société.

Chers Frères et Sœurs, cela s’appelle être du monde, c’est-à-dire que nous sommes comme des pièces dans un grand engrenage, dans une grande machine qui va nous mouvoir sans que nous ayons cette personnalité, sans que nous ayons cette liberté intérieure, sans que nous ayons cette spiritualité qui nous permette d’être dans le monde et non du monde.

Et le Christ, Lui, justement, à travers Son jeûne, nous montre à quel point Il n’est pas du monde, à quel point, comme Il le dit Lui-même, Il vient d’en haut.
Nous voyons à la fin de l’Évangile de Marc que le Christ, à la fin des tentations, est au milieu des bêtes sauvages et servi par les anges. C’est-à-dire qu’Il est Seigneur et maître du monde. Seigneur, et maître de toutes ces forces animales qui peuvent habiter notre monde et en même temps servi par les anges.
Cette seigneurie, cette royauté, le Seigneur veut nous la transmettre, mais Il ne nous la donnera que si nous marchons à Sa suite, que si nous entrons dans un combat spirituel réel, authentique, vigoureux.

Il est un autre motif pour lequel la tentation nous fortifie. Nous voyons le Christ dans le désert, et Il est ici vulnérable, exposé, mais Il est fort en même temps. Parce qu’Il repose à l’ombre du Puissant, à l’abri « des ailes du Très-Haut » comme dit le psaume que nous avons chanté. Il fait là l’expérience de cette protection de Son Père qui toujours l’accompagne. Mais Il en fait l’expérience de manière intérieure. En Lui se révèle la force du Père.
Pourquoi ? Parce qu’Il a fait de la volonté du Père Sa nourriture, comme Il l’a dit à ses apôtres :

« Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé. »

Et Il est tellement habité par cette volonté du Père que les Paroles que Dieu a données dans cet Ancien Testament, elles Lui viennent à la bouche spontanément.

« Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ! »
« Ce n’est pas seulement de pain que se nourrit l’homme, mais de toute Parole qui vient de la bouche de Dieu. »

Voilà pourquoi le Christ est fort : parce qu’en Lui vit la Parole du Père, en Lui vit la volonté de Dieu.
Voilà pourquoi, nous aussi, dans notre Carême, nous sommes invités à nous rapprocher de la Parole de Dieu pour qu’elle nous fortifie. Non pas simplement pour éclairer notre intelligence ou pour passer un moment pieux, devant le Saint Sacrement ou avec notre Bible. Non. Mais pour que nous assimilions la Bible, et pour que la Parole en nous se fasse chair, se fasse vigueur, se fasse force.

Voilà aussi le sens de la deuxième lecture de Saint Paul :

« La Parole n’est pas loin, elle est auprès de toi, elle est dans ton cœur, elle est dans ta bouche pour que tu la mettes en pratique. »

Un dernier point, chers Frères et Sœurs : pourquoi ce temps du Carême nous fortifie-t-il ?
En luttant contre le mal, en affrontant ces tentations, Jésus fait une expérience très particulière. Il est dit à la fin de l’Évangile d’aujourd’hui :

« Le Démon, ayant épuisé toutes les tentations se retira de Jésus. »

Bien sûr pour revenir aux temps marqués : « Ayant épuisé toutes les tentations ». Les tentations, les œuvres du Diable ne sont pas inépuisables. Nous pouvons le vaincre. Il est important de ne pas donner au mal un caractère d’infini. Le Mal est fini, seul le Bien est infini.
Justement, ces mêmes pères du désert que je citais au début, quand ils avaient vaincu un démon, avaient la ferme conviction que ce démon retournait à l’Enfer et cessait de tourmenter la terre. Et ainsi, ils rendaient un service au monde.
Il nous faut nous appuyer sur cette conviction que notre combat spirituel est fécond pour le monde.

Que Dieu nous apporte toute Son aide par Sa miséricorde. Jean-Paul II disait magnifiquement :

« Qu’est-ce que la miséricorde ? C’est une limite historique imposée au Mal »

Le Mal a une limite imposée par Dieu. Voilà pourquoi il est important que nous entrions dans ce combat pour purifier le monde de ce mal. Voilà pourquoi la tentation nous rend plus fort.

Nous pouvons terminer simplement en nous posant cette question : Plus forts pour quoi ?
Plus forts pour annoncer l’Évangile. Ces quarante jours au désert précèdent immédiatement le temps de mission du Christ en Galilée. C’est comme un grand noviciat, un grand temps de préparation qui le prépare à la mission. C’est vrai pour nous aussi : nous devons voir la tentation et l’épreuve parfaitement liées à notre mission d’annoncer l’Évangile.
Alors oui, nous serons forts pour porter ce flambeau de la foi, pour être fort au milieu des ténèbres d’un monde bien souvent perverti et pour y briller comme des enfants de lumière.
Que la Vierge Marie nous y aide,

Amen !


Référence des lectures du jour :

  • Livre du Deutéronome 26,4-10.
  • Psaume 91(90),1-2.10-11.12-13.14-15ab.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 10,8-13.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 4,1-13 :

En ce temps-là, après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
Le diable lui dit alors :
— « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
Jésus répondit :
— « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. »

Alors le diable l’emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre.
Il lui dit :
— « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit :
— « Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »

Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit :
— « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui fit cette réponse :
— « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »

Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.