Homélie du 23e dimanche du temps ordinaire

10 septembre 2018

« Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! »
Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement.
 »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Avec Père Étienne, c’est une page d’histoire de la communauté qui se tourne. Il est arrivé en 1946 avant même que la communauté ne soit reconnue par l’évêque de Beauvais et a assisté à l’érection canonique de la Congrégation. Il a connu le comte Biver sans qui notre Congrégation n’existerait pas. Il a vécu les aléas de la vie de la communauté mais a gardé le cap. Il y a 27 ans, à 64 ans, il est parti avec enthousiasme pour fonder la communauté en Alsace sous la direction de Père André.
Étant donné qu’un certain nombre de personnes sont venues pour rendre hommage et prier pour Père Étienne, vous me permettrez de parler de lui pendant cette homélie. Nous avons gardé les lectures du dimanche, sauf la deuxième lecture (Rm 12, 5-16b) qui nous semblait correspondre davantage à ce que notre frère a essayé de vivre. À partir des lectures qui nous sont proposées, j’aimerais relever 3 choses. _ D’abord, Dieu est sensible à la souffrance des gens. Ensuite dans l’Évangile, nous voyons Dieu agir pour soulager cette souffrance. Enfin, la deuxième lecture nous sensibilise d’une manière particulière à la communion fraternelle.

Dieu est sensible à la souffrance des gens

Dans la première lecture, le prophète Isaïe nous parle d’une vengeance de Dieu très particulière. Isaïe commence ainsi :

« Dites aux gens qui s’affolent : ’Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. »

En entendant ces paroles, nous pourrions nous attendre à ce que Dieu sorte son fouet pour châtier les coupables. Mais Isaïe continue ainsi :

« Il vient lui-même et va vous sauver.’ Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. »

La revanche de Dieu, c’est de nous sauver. Dieu ne se venge pas de nous, il ne prend pas sa revanche contre nous, mais contre le mal qui nous atteint, qui nous abîme ; sa revanche c’est de nous rendre notre dignité.
C’est ce qu’il dit aussi par la bouche du prophète Osée :

« Vais-je les livrer au châtiment ? Non ! Mon cœur se retourne contre moi ; en même temps, mes entrailles frémissent. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme : au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer. » (Os 11)

Comme nous le voyons sans cesse dans la Bible, Dieu ne peut rester indifférent aux souffrances de ses enfants. Nous le voyons lorsque Dieu interpelle Moïse du buisson ardent :

« J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre spacieuse et fertile, vers une terre ruisselant de lait et de miel, vers le pays de Canaan. Et maintenant, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël. » (Ex 3)

Dans l’évangile, on dit que Jésus soupire. « L’émission du soupir est décrite à travers un verbe qui, dans le Nouveau Testament, indique l’aspiration à quelque chose de bon qui manque encore (cf. Rm 8, 23). »
(Benoît XVI 14 décembre 2011)

En fait, il s’agit donc plutôt d’un gémissement parce que notre souffrance ne laisse pas Dieu indifférent. Comment mieux dire la bonté de Dieu à notre égard ! Père Etienne était sensible à cette bonté de Dieu. Le souvenir de son père de la terre l’avait certainement aidé à avoir confiance en Dieu. En effet, il se souvenait avec émotion de son père qui l’emmenait par la main et qui était très bon. À une telle école, Père Etienne était profondément touché par la souffrance des gens. Il avait coutume d’exprimer ce qu’il ressentait à travers des formules toutes faites qui nous amusaient par la manière dont il les déclamait : « mon cœur saigne ! »

Dieu veut soulager cette souffrance

Dans l’évangile, Jésus ne reste pas inactif à l’égard de ce sourd qui a du mal à s’exprimer.

« Il l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, prenant de la salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : Effata !, c’est à dire : Ouvre-toi !" »

L’Eglise a toujours vu dans ces gestes apparemment étranges que Jésus accomplit sur le sourd-muet un symbole des sacrements grâce auxquels il continue de « nous toucher » physiquement pour nous guérir spirituellement.
Pour cette raison, lors du baptême, le prêtre accomplit sur la personne qui reçoit le baptême les gestes que Jésus accomplit sur le sourd-muet : il lui met le doigt dans les oreilles et lui touche le bout de la langue, en répétant la parole de Jésus : Effata, ouvre-toi !
Comme prêtre, Père Etienne a souvent accompli ces gestes par lesquels Jésus vient nous sauver. Combien se souviennent d’avoir été baptisés par lui !

On ne peut pas dire que Père Etienne était passionné par les grandes études ou les grandes discussions théologiques. Il n’était pas non plus un conférencier renommé. Mais il n’a pas prétexté de ses limites dans certains domaines pour ne rien faire. Il a au contraire déployé les dons qui étaient les siens et avec lesquels il a fait beaucoup de bien. Sa grande ferveur apostolique lui a fait surmonter les difficultés qu’il a rencontrées dans les études.
C’est une des raisons qui nous a fait choisir la deuxième lecture que nous avons entendue, un extrait du chapitre 12 de l’épître aux Romains :

« Frères, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, et membres les uns des autres, chacun pour sa part. Et selon la grâce que Dieu nous a accordée, nous avons reçu des dons qui sont différents.
Si c’est le don de prophétie, que ce soit à proportion du message confié ; si c’est le don de servir, que l’on serve ; si l’on est fait pour enseigner, que l’on enseigne ; pour réconforter, que l’on réconforte.
Celui qui donne, qu’il soit généreux ; celui qui dirige, qu’il soit empressé ; celui qui pratique la miséricorde, qu’il ait le sourire. »

Ce qui est beau, dans une communauté en particulier et dans l’Eglise en général, c’est lorsque chacun peut déployer ses dons sans prendre ombrage de ceux des autres, sans tomber dans la jalousie et la concurrence.
C’est ainsi que Père Etienne a pu développer son talent pour entrer en contact avec ses ouailles notamment les jeunes. Beaucoup de témoignages ont relevé sa bonhomie, sa bonté, son sourire, sa bonne humeur, sa gentillesse, sa simplicité, … Cette attitude l’a aidé à se faire adopter comme curé d’Ottmarsheim après des années où il a été curé de Sempigny – Pont-l’Evêque.

Il n’était pas à court d’imagination pour rejoindre les jeunes par de multiples initiatives. Outre les colonies de vacances qu’il a organisées pendant des années avec les moyens du bord, il a aussi été aumônier de divers mouvements comme le MRJC, le MEJ, … Il a mené un apostolat avec une religieuse des Filles de la Charité, à la maison familiale de Beaulieu-les-Fontaines, au Home de Carlepont, à l’Arche de Verpillières, à Dreslincourt et dans bien d’autres lieux encore.

Dieu appelle ses enfants à la communion fraternelle

L’évangile de ce jour met le doigt sur une autre dimension de la vie chrétienne à laquelle Père Etienne était sensible : la communion fraternelle.
En effet, Jésus ne vient pas guérir un handicap quelconque : c’est celui de la surdité et du mutisme. Le sourd-muet ne pouvait communiquer avec les autres, écouter leur voix et exprimer ses propres sentiments et ses besoins. C’est un handicap qui nous isole beaucoup des autres. Les études montrent que la souffrance du sourd dépasse celle de l’aveugle, en raison de son plus grand isolement. Les personnes sourdes ou malentendantes, du fait de leur handicap, souffrent de se sentir marginalisées. Elles souffrent de la difficulté à communiquer avec les autres.

La parole ’Effatà’ signifie : ’Ouvre-toi’.

« Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia. »

Comme le disait Benoît XVI à propos de ce sourd-muet :

« La guérison a été pour lui une ’ouverture’ aux autres et au monde, une ouverture qui, en partant des organes de l’audition et de la parole, impliquait toute sa personne et sa vie : il pouvait enfin communiquer et donc être en relation d’une façon nouvelle.
Mais nous savons tous que la fermeture de l’homme, son isolement, ne dépend pas seulement des organes des sens. Il y a une fermeture intérieure qui concerne le noyau profond de la personne, celui que la Bible appelle ’le coeur’. C’est lui que Jésus est venu ’ouvrir’, ’libérer’, pour nous rendre capable de vivre pleinement la relation à Dieu et aux autres. » (Angélus du 9 septembre 2012)

Dieu est tellement heureux quand ses enfants vivent dans la communion. Père Etienne y était particulièrement sensible. Il aimait citer en latin le début du psaume 132 : « Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum. »
« Oui, il est bon pour des frères de vivre ensemble et d’être unis ! » (Ps 132, 1)

De fait, Père Etienne n’aimait pas les conflits. Par son humour et ses bons mots, il savait désamorcer des situations tendues. Il s’ingéniait à mettre de l’huile dans les relations entre les personnes. La deuxième partie de la lecture extraite de l’épître aux Romains décrit bien ce qu’il désirait vivre :

« Soyez unis les uns aux autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les autres. Ne ralentissez pas votre élan, restez dans la ferveur de l’Esprit, servez le Seigneur, ayez la joie de l’espérance, tenez bon dans l’épreuve, soyez assidus à la prière. (…)
Soyez joyeux avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent.
Soyez bien d’accord les uns avec les autres ; n’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble. »

Père Etienne aimait faire rire et s’y employait aussi bien par ses paroles que par ses mimiques. Les témoignages reçus à l’occasion de son décès nous disent combien il aimait la relation avec les gens. Quelqu’un nous dit par exemple : les rencontres avec lui étaient « un réel moment de partage, de sincérité et de convivialité. Je garde un souvenir joyeux de Père Etienne un grand blagueur. »
« Le père Etienne me laisse dans le cœur sa joie et son humour. » « Nous garderons de lui le souvenir de son accueil toujours chaleureux et rempli de bonté et de douceur. » « Il nous a beaucoup marqués par son écoute, sa bienveillance et ses bons conseils. »

En conclusion, par cet évangile du sourd-muet et ce rappel du Père Etienne, le Seigneur nous invite à une petite consultation sur l’état de notre surdité et notre mutisme. Voici donc quelques questions qui peuvent nous aider à un petit check-up :

  • Ne serions-nous pas un peu sourds par rapport aux besoins de ceux qui nous entourent ?
  • Où en sommes-nous de l’ouverture de notre cœur à tous et plus particulièrement à ceux que nous côtoyons ?
  • Le Seigneur ne nous appelle-t-il pas à faire quelques démarches pour renouveler cette affection fraternelle (cela peut être par exemple un mot d’excuse et de pardon) ?

En tout cela confions-nous, comme le faisait Père Etienne, à la Vierge-Marie. Elle est discrète mais bien présente !

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Lecture du Livre d’Isaïe 35,4-7a
  • Psaume 146(145),6c.7-8.9a.9bc.10
  • Lecture de la Lettre de saint Paul apôtre aux Romains 12, 5-16b : « Frères, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, et membres les uns des autres, chacun pour sa part. Et selon la grâce que Dieu nous a accordée, nous avons reçu des dons qui sont différents. Si c’est le don de prophétie, que ce soit à proportion du message confié ; si c’est le don de servir, que l’on serve ; si l’on est fait pour enseigner, que l’on enseigne ; pour réconforter, que l’on réconforte.
    Celui qui donne, qu’il soit généreux ; celui qui dirige, qu’il soit empressé ; celui qui pratique la miséricorde, qu’il ait le sourire.
    Que votre amour soit sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez unis les uns aux autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les autres. Ne ralentissez pas votre élan, restez dans la ferveur de l’Esprit, servez le Seigneur, ayez la joie de l’espérance, tenez bon dans l’épreuve, soyez assidus à la prière.
    Partagez avec les fidèles qui sont dans le besoin, pratiquez l’hospitalité avec empressement. Bénissez ceux qui vous persécutent ; souhaitez-leur du bien, et non pas du mal. Soyez joyeux avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. Soyez bien d’accord les uns avec les autres ; n’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble. »
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 7,31-37 :

En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole.
Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler et supplient Jésus de poser la main sur lui.
Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue.
Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! »
Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement.

Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient.
Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »