Homélie du 23e dimanche du temps ordinaire

8 septembre 2015

« Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,

Dans l’Évangile, Jésus fait-il ce qu’on lui demande ?
Pas exactement : on lui demande d’imposer la main mais Jésus fait autre chose. D’abord, il le prend avec lui à l’écart. Ensuite, il fait des gestes et prononce une parole qui ne correspond pas à ce qui était demandé.

Pourquoi cette mise à l’écart ? Pourquoi ces gestes et cette parole ?

L’Église a toujours vu dans les gestes apparemment étranges que Jésus accomplit sur le sourd-muet (il lui met les doigts dans les oreilles et lui touche la langue) un symbole des sacrements grâce auxquels il continue de « nous toucher » physiquement pour nous guérir spirituellement. Pour cette raison, lors du baptême, le prêtre accomplit sur la personne qui reçoit le baptême les gestes que Jésus accomplit sur le sourd-muet : il lui met le doigt dans les oreilles et lui touche le bout de la langue, en répétant la parole de Jésus : Effata, ouvre-toi !
Les sacrements comportent un geste et une parole. Dieu pourrait nous prendre pour ses enfants sans qu’il soit besoin de verser de l’eau sur la tête en disant : « Je te baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit ». Il pourrait aussi nous pardonner nos péchés sans passer par un prêtre.
Au-delà de la surdité physique, nous pouvons avoir à l’esprit notre surdité par rapport à la Parole de Dieu et notre mutisme dans la louange et notre témoignage.
Dans l’absolu, Jésus aurait pu se contenter d’imposer la main. S’il l’a fait ainsi, c’est pour nous donner un enseignement. Essayons ensemble de mieux comprendre la manière de faire de Jésus. Pour cela, je vais suivre l’évangile en 5 étapes.

« Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule »

S’il l’emmène à l’écart, c’est peut-être parce qu’avant de parler, il faut se reconnecter à son intériorité. Sinon, on parle pour ne rien dire. Jésus veut rétablir la communication avec lui avant même de la rétablir avec les autres personnes. Jésus veut avoir une relation personnelle avec cette personne. Il ne va pas parler d’elle à la troisième personne comme il arrive quelquefois quand on considère qu’une personne ne comprend pas. Au départ, les gens lui amènent ce sourd. Pourtant, il n’est pas paralysé. Mais cela donne l’impression que l’on s’occupe de lui à la troisième personne.

Au-delà de la surdité physique, c’est la relation avec les autres qui est profondément affectée. On dit souvent que c’est beaucoup plus difficile pour les personnes sourdes que pour les personnes aveugles. Par exemple, quand elles voient les gens rigoler, elles peuvent facilement s’imaginer que c’est à leurs dépends. Les personnes sourdes se sentent beaucoup plus facilement mises à l’écart et marginalisées que les personnes aveugles. Elles sont en dehors des discussions. Qu’il est difficile d’interpréter l’attitude des autres !

En emmenant le sourd à l’écart, Jésus évite que le regard des autres ne vienne parasiter la relation. De même en est-il de notre relation à Dieu. Si nous souffrons de surdité vis-à-vis de la Parole de Dieu – et qui peut prétendre ne pas être un peu sourd d’oreille à ce sujet ? - Dieu nous emmènera avec lui à l’écart, dans une relation personnelle.

Jésus « lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue »

C’est très concret ; cela traduit une grande proximité. Je ne sais pas si vous aimeriez que quelqu’un fasse de même avec vous. Vous auriez peut-être peur d’attraper une maladie… Jésus ne le guérit pas de loin, en général. Il touche précisément les parties du corps qui sont en cause dans la surdité et le mutisme. Il s’agit de nous laisser rejoindre par Jésus là où nous sommes malades.

Puisque la communication à distance est difficile, Jésus part du sens du toucher. La part d’interprétation est moins grande. Quand le wifi ne fonctionne pas, il faut mettre le câble !
Dans les sacrements, il y a une proximité très grande du Christ. Les sacrements sont dans le prolongement de l’incarnation du Christ. C’est ainsi qu’on ne peut pas baptiser à distance. On ne peut pas se confesser par mail, par téléphone ou par skype.

« Puis, les yeux levés au ciel, il soupira »

« Au moment d’opérer la guérison, Jésus cherche directement sa relation avec le Père. Le récit dit en effet que « les yeux levés au ciel, il soupira » (v. 34).
L’attention au malade, le soin de Jésus pour lui, sont liés à une profonde attitude de prière adressée à Dieu.
Et l’émission du soupir est décrite à travers un verbe qui, dans le Nouveau Testament, indique l’aspiration à quelque chose de bon qui manque encore (cf. Rm 8, 23). (…)
En Jésus, à travers sa personne, est présente l’action guérissante et bénéfique de Dieu. (…) Dans l’action guérissante de Jésus, la prière a un rôle évident, à travers son regard élevé vers le ciel. La force qui a guéri le sourd-muet est certainement provoquée par la compassion pour lui, mais elle provient du recours au Père. Ces deux relations se rencontrent : la relation humaine de compassion avec l’homme, qui entre dans la relation avec Dieu, et devient ainsi guérison. » (Benoît XVI, audience générale du 14 décembre 2011)

Le fait de lever les yeux au ciel et de soupirer nous parle de la prière du Christ à son Père. Le geste de lever les yeux au ciel est sans ambiguïté : Jésus ne guérit que grâce au pouvoir que lui donne son Père. Cette prière toute simple, c’est celle des hébreux gémissant de peine quand ils étaient esclaves du Pharaon d’Égypte (Ex.2 :23-25).

Quant au soupir, à en croire le vocabulaire, il s’agit plutôt d’un gémissement : celui que poussait Israël en esclavage en Égypte, chez les païens (discours d’Étienne, Actes 7, 34, citant l’épisode du buisson ardent) ; celui que poussera jusqu’à la fin des temps la création captive en attente de sa délivrance (Rm 8, 22).
Le « soupir » que Jésus émet au moment de toucher les oreilles du sourd nous dit qu’il participait de manière intense à leur malheur, qu’il en portait le poids.
Jésus parle de nous à son Père. C’est l’intercesseur par excellence.

Jésus « lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : "Ouvre-toi !" »

Après s’être tourné vers son Père, Jésus s’adresse directement à la personne malade. Dieu respecte infiniment chaque personne. Il ne force pas la porte. Il déblaye tout ce qui se trouve devant la porte et qui empêche la porte de s’ouvrir. Mais à un certain moment, c’est à la personne elle-même d’ouvrir la porte.

« Cette petite parole « effatà - ouvre-toi », résume toute la mission du Christ. Il s’est fait homme afin que l’homme, rendu par le péché sourd et muet intérieurement, devienne capable d’écouter la voix de Dieu, la voix de l’Amour qui parle à son cœur, et qu’ainsi il apprenne à parler à son tour le langage de l’amour, à communiquer avec Dieu, et avec les autres. » (Benoît XVI, 9 septembre 2012)

Cette surdité, c’est la coupure de toutes les voies d’accès jusqu’à moi, jusqu’à mon cœur.
Cela peut-être la peur de « l’ennemi » qui me pousse à relever le pont-levis pour me sentir en sécurité dans mon donjon ou ma tour d’ivoire. Nous pouvons quelquefois nous fermer en raison de l’offense ou de la souffrance. Dieu veut nous donner la grâce du pardon. Mais personne ne peut ouvrir la porte à notre place.

« Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. »

La description de la guérison me paraît elle-aussi très évocatrice : les oreilles s’ouvrent ; la langue se délie.

  • Le sourd n’avait pas les oreilles bouchées mais les oreilles fermées. C’est comme si une porte dont on avait perdu la clé a été ouverte à nouveau. Peut-être cela nous arrive-t-il vis-à-vis de la Parole de Dieu ? Nos oreilles se trouvent comme fermées. Cela peut être dû à une forme d’orgueil ou d’égocentrisme. Il y a peut-être des choses que nous n’avons pas envie d’entendre : de ce fait, nous mettons des filtres. L’oreille ouverte est signe de docilité. C’est la mission du Serviteur que nous présente Isaïe :

« Dieu mon Seigneur m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus. La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire. Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé » (Is 50, 4-5).

  • Sa langue était comme liée. Elle avait comme un lien qui l’empêchait d’être libre. Combien de liens peuvent inhiber notre parole, notamment la peur de ce que pensent les autres, la peur de paraître ridicule, d’être objet de moquerie ou d’être incompris. Dans le mutisme on peut voir une paralysie du don de soi. Peut-être ai-je l’impression que je ne pourrais rien apporter aux autres. Je me déprécie. J’ignore la valeur que je possède, le trésor qui est en moi. Et donc, je ne le fais pas valoir.

Peut-être notre prière de louange s’est-elle tarie ? Peut-être aussi sommes-nous inhibés pour parler de notre foi ?

En conclusion, je vous propose 2 choses :

  • prendre, aujourd’hui ou dans les jours qui viennent, un vrai moment à l’écart avec le Christ pour vivre un moment d’intériorité qui lui permette de vous parler, de vous dire ce qu’il a envie de vous dire.
  • demander au Seigneur dans la prière de vous délier la langue afin que vous puissiez vivre davantage dans la louange en disant les merveilles de Dieu dans notre vie et en partageant aux autres ce qui vous fait vivre.

« Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange ».

Tant de gens n’ont pas de sens à leur vie. Quel dommage de ne pas leur partager ce qui nous fait vivre !

Amen.


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 35,4-7a.
  • Psaume 146(145),6c.7-8.9a.9bc.10.
  • Lettre de saint Jacques 2,1-5.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 7,31-37 :

En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole.
Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler et supplient Jésus de poser la main sur lui.
Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue.
Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement.
Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient.
Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »