Homélie du 24e dimanche du temps ordinaire

17 septembre 2018

« Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. »

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Texte de l’homélie :

Bien souvent, on rencontre des personnes qui commencent à lire la Bible et s’en détournent finalement car quelque chose les choque. C’est souvent le cas avec l’Ancien Testament, avec l’image d’un dieu guerrier à la tête du peuple d’Israël qui porte l’Arche d’Alliance. Il est au milieu d’eux.
Avec notre prétendue sagesse d’homme post-moderne, nous jugeons ces écrits bibliques comme dépassés : « Ce n’est pas dans ce dieu que je veux croire. »

Quand quelque chose nous choque dans la Parole de Dieu – et ce que nous dit le Seigneur aujourd’hui est vraiment choquant – c’est toujours une invitation à aller plus loin. Plus loin que notre émotion, plus loin que notre sensibilité plus ou moins heurtée, plus loin surtout que notre ignorance, car derrière cette sensibilité heurtée, il y a beaucoup de méconnaissance de la Parole du Seigneur et de Se voix.
Aujourd’hui, Jésus nous invite très clairement à aller plus loin. Il invite Pierre, et ainsi toute l’Église - car c’est sur lui qu’Elle est fondée comme on l’a vu quelques chapitres auparavant – à sortir d’une logique simplement humaine, d’une victoire et d’un perfectionnisme humains, où ce serait seulement les forts, les beaux, les sages qui l’emporteraient.
C’est intéressant de voir que dans la vie de Pierre, comme dans la vie de l’Église, il y a des grandes fulgurances, une perception extraordinaire de Dieu….

« Tu es le Fils du Dieu vivant ! »

… et en même temps, des très grandes déceptions, de très grandes incompréhensions :

« Passe derrière moi Satan ! »

Cela arrive dans la vie de l’Eglise, dans la lecture de la Parole de Dieu, mais aussi dans notre propre vie quand on doit rentrer dans un chemin d’humilité, de fragilité, où la santé ne répond plus, où les amis, la famille ne sont pas au rendez-vous, où la vie professionnelle devient compliquée… Une forme de violence, de colère peut s’emparer de nous, parce que nous nous sentons mis de côté, que nous vivons une impuissance, une injustice. Nous sommes alors dans une situation d’épreuve ; et le synonyme d’épreuve, c’est la tentation. C’est dans l’épreuve que nous sommes tentés. Ce n’est pas quand tout va bien pour nous, quand notre vie professionnelle est une réussite, quand notre corps nous répond au doigt et à l’œil, ce n’est pas quand nous sommes entourés d’amis fidèles et valorisés par notre famille que l’épreuve arrive. C’est quand la Croix du Seigneur arrive dans notre vie qu’arrive aussi la tentation, quand l’incompréhensible, quand l’injuste arrive qu’arrive aussi la colère et le rejet de Dieu.

Combien on a vu d’enfants prier pour la guérison d’une grand-mère ? La logique de la nature fat que l’on va vers une fragilité de plus en plus grande, jusqu’à cette grande vulnérabilité qu’est la mort, et voilà que cette grand-mère n’a pas survécu et que cela est vécu comme une injustice, ces personnes ne sont plus retournées au Seigneur.

De ce point de vue-là, notre Foi est unique : il n’y a pas d’autre Foi semblable dans toutes les religions de l’humanité. Il n’y a rien qui puisse se comparer au passage que nous venons d’entendre, où Pierre perçoit la divinité du Christ. A travers cet homme qui avait multiplié les pains et déjà accompli des miracles, il avait perçu une transcendance, quelque chose de Dieu. Et suite à cela, Jésus fait l’annonce de Sa passion, sortant ainsi Pierre de sa zone de confort. Il le fait à plusieurs titres, car tout d’abord, on approche de Césarée de Philippe - métropole païenne érigée par Philippe, fils d’Hérode le Grand, en l’honneur d’Auguste, comportant un énorme temple dédié au dieu Pan. Pierre est là comme Juif « observant » : il n’est pas à Jérusalem, mais dans un lieu avec des pratiques inconnues. Et ce n’est pas pour rien que Jésus fait cette annonce-là à ce moment-là. Dans la Bible, les lieux sont très importants.

C’est là où Pierre a le moins de repères. Lui, qui comme tout bon Juif, pense que Jésus va sauver Israël de l’occupant, et voilà qu’au contraire, Jésus le sort de sa zone de confort, et lui dit :

« Il faut que le Fils de l’homme souffre, soit rejeté, crucifié et tué, et le troisième jour, qu’Il ressuscite… »

Quand on regarde notre vie, soit elle est absurde, soit elle est mystère… Le mot mystère vient du Grec muo qui signifie « caché ». Il y a quelque chose de caché dans notre vie qui nous échappe, et la réponse au mystère, c’est la Foi. Elle nous permet de discerner le mystère là où, au contraire, les situations nous semblent absurdes, là où la violence et colère commencent à poindre dans notre cœur, parce que ce n’est pas comme nous nous voudrions.

« Passe derrière-moi Satan ! »

Jésus dit à Pierre : « Au lieu de me montrer la route à suivre, au lieu de te mettre devant moi, passe derrière moi et deviens disciple. » Voilà ce que cela signifie. Passe derrière moi, ne sois pas orgueilleux, pensant que tes plans, tes manières de voir, tes pensées sont mieux que les pensées de Dieu. Rentre dans un accueil, ouvre l’oreille…

Cela nous fait penser à obéir qui vient du latin : obaudire qui signifie écouter. Obéir et écouter, c’est pareil.
Dans des situations où nous sommes confrontés à un absurde, où la logique humaine n’a plus sa place, nous sommes invités à écouter. Quand arrive l’injustice et l’absurde dans nos vies - aux antipodes de ce qui est impeccable et valorisé par la société – nous ressentons bien sûr de la violence en nous.
Lorsqu’on nous enlève ce qui nous est le plus cher, ce qui nous tient le plus à cœur, on ressent une profonde douleur. Mais, le Seigneur nous demande d’aller plus loin, comme à travers ce passage qui nous choque et nous demande un effort de compréhension.

C’est une grâce de ne pas s’arrêter à sa colère et à sa violence.

« À qui irions-nous Seigneur ?

C’est une vraie question : « Qui pourrait donner sens à ce qui est absurde comme tu le fais ? qui, comme Toi, a épousé l’absurde pour le transformer en mystère ? »
Il n’y a aucune autre philosophie sur terre qui prétend dire ce que je viens de dire, si ce n’est celle retranscrite par les disciples de Jésus.

Et quand, dans ce qui nous paraît absurde, on a fait l’expérience d’une présence, notre bonheur cesse d’être fragile. Quand on te bénit car tout va bien pour toi, dit le psaume, c’est un bonheur fragile : il suffit d’un grain de sable, d’un pépin de santé, d’un licenciement pour que des vies basculent. C’est un bonheur fragile. Quand, dans ta propre vulnérabilité, tu as fait l’expérience d’une présence, ton bonheur est établi en Dieu.

C’est un chemin, une pédagogie que le Seigneur nous demande de suivre. Il y aura trois annonces de la Passion dans l’Évangile ; et au cœur de la Passion même, Pierre dit par trois fois : « Je ne connais pas cet homme »., et pleure ensuite amèrement. Il lui faudra la Résurrection, il lui faudra toucher les plaies du Christ ressuscité, rentrer dans cette logique nouvelle…

« Mon Seigneur et Mon Dieu ! »

Il lui faudra lui-même épouser la Croix, jusqu’au bout :

« Quand tu seras âgé, un autre te mettre la ceinture pour te conduire là où tu ne veux pas aller… »

« Pierre, m’aimes-tu ?

Il y a dans la pédagogie du Seigneur une progression dans l’amour. Au début, on veut un amour qui nous rende la pareille, un peut comme s’il était « sous conditions ». C’est bien d’être avec un homme qui sera la libérateur d’Israël ; c’est valorisant d’être les disciples du Fils du Dieu vivant, mais aux côtés d’un homme sur une croix, c’est affligeant…
Mais voilà, d’une manière ou d’une autre, notre vie doit suivre ce chemin.

Frères et sœurs bien-aimés, à travers ombre et lumière, à travers des moments de colère mais aussi de fulgurance, nous sommes appelés à rentrer dans ce chemin. Et si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que nous voulons rentrer dans ce chemin, qui n’est pas à la manière humaine, qui nous emmène plus loin que nos calculs, un chemin qui fait de nous des témoins d’un dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Lecture du Livre d’Isaïe 50,5-9a
  • Psaume 116(114),1-2.3-4.5-6.8-9
  • Lecture de la Lettre de saint Jacques 2,14-18
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 8,27-35 :

En ce temps-là, Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples :
— « Au dire des gens, qui suis-je ? »
Ils lui répondirent :
— « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. »
Et lui les interrogeait :
— « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Pierre, prenant la parole, lui dit :
— « Tu es le Christ. »
Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne.

Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite.
Jésus disait cette parole ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches.
Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre :
— « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit :
— « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera.