Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs,
Vous savez, il y a un dicton qui nous aide un peu à comprendre les lectures de ce jour. On dit de l’argent qu’il est un mauvais maître et un bon serviteur. Et je crois que vraiment le diptyque des lectures - notamment la première et l’Évangile - l’illustre assez bien. Nous allons voir notamment dans le prophète Amos, dans la première lecture, la description d’un royaume qui est très prospère. C’est le royaume du Nord.
Vous le savez, Israël a été divisé en deux, le royaume du Nord et le royaume du Sud. Le royaume du Nord a bénéficié de longs règnes, d’une vraie prospérité. Les richesses se sont accrues. et parallèlement aux richesses, les disparités entre les personnes. Et ça se voit très bien par l’archéologie : il a été constaté par exemple qu’à une certaine époque, il y a des maisons qui deviennent beaucoup plus grandes que d’autres, et des maisons qui restent toutes petites, des masures. C’est-à-dire que certains se sont enrichis et les autres ont été laissés pour pauvres. Et il y a ainsi un vice, une nouvelle idolâtrie qui s’insinue dans le cœur des hommes : c’est l’amour de l’argent.
Cela a pour effet que ce peuple devient impatient face à la loi, impatient vis à vis des exigences du sabbat parce qu’il l’empêche de faire du négoce. Et vous voyez, c’est délicat quand on voit qu’à une époque, on l’appelait le sabbat « mes délices », alors que maintenant, on va l’appeler « mon poids » parce que justement, les délices, c’est désormais l’argent !
Qu’est-ce que posséder de l’argent produit en nous ?
Ce qui est intéressant, c’est que, par rapport à d’autres biens, l’argent va déclencher en moi un désir démesuré de convoitise parce qu’il peut tout acheter, ou presque tout. Il nous donne l’illusion de pouvoir être tout, autrement dit, d’être comme Dieu. Et c’est pour ça que l’argent est si dangereux. C’est pour ça qu’il est mauvais maître.
C’est pour ça que Saint Paul qui nous dit que l’amour de l’argent est une idolâtrie. Et c’est pour cela que, dans l’Évangile, le Seigneur n’emploie pas le mot d’argent, Il emploie le mot de mammon, le mammon d’iniquité, qu’on traduit maintenant « l’argent trompeur ».
Qu’est-ce que mammon veut dire ? Pardon de faire un peu ces allusions philologiques, mais c’est un mot Hébreu, Araméen, qui a la même racine que Emouna, qui veut dire « la foi », « le sol ferme ». Le mammon, c’est en quelque sorte l’argent sur lequel je peux m’appuyer aussi solidement que le Chrétien ou le Juif s’appuie sur la parole de Dieu. C’est celui qui a pris la place de Dieu.
Le mot mammon est apparenté au mot « Amen ». Ainsi, cette fermeté, ce sol ferme, ce penchant à vouloir un fondement en dehors de Dieu va oblitérer une certaine vision de Dieu. Il va nous faire disparaître la figure de Dieu Providence. Et c’est alors une terrible défiguration que nous vivons dans nos pays riches…
Nous n’avons pas besoin de Dieu, nous débrouillons très bien sans Lui. Bien sûr, il ne s’agit pas de louer la fragilité de l’économie des pays un peu plus précaires. Mais on voit malgré tout chez eux une référence à la Providence beaucoup plus constante, beaucoup plus vitale. Le visage de Dieu y est beaucoup plus véridique, il nourrit beaucoup le cœur.
Quels sont les remèdes ?
Retrouver la justice
Alors, la première de la conséquence de cette idolâtrie de l’argent - outre cette idolâtrie qui fait que Dieu disparaît comme providence - c’est qu’on va avoir l’idée fausser les balances, on va vouloir tricher. Je ne sais pas si vous avez fait attention, mais effectivement, on augmente les prix, on vend le déchet du blé, autrement dit, on vend des mauvais produits quitte à perdre une exactitude et une justice.
Cela peut nous parler dans notre propre expérience car nous aussi, nous avons vite fait de perdre cette exactitude et cette justice. Voici de petits exemples :
- si on est patron, est-ce qu’on paie toutes les heures supplémentaires ? Est-ce qu’on est attentif à cela ?
- si on est un employé, est-ce qu’on ne va pas abuser, parfois surabuser de la photocopieuse dans l’entreprise ? Est-ce que ces biens sont vraiment à moi ? Ou encore dérober tel ou tel bien de l’entreprise en supposant que personne ne verra rien…
Voyez-vous, j’ai été frappé par un autre exemple vécu dans ma famille. Certains, mon grand-père, notamment, avaient connu la guerre de 40. Il s’est toujours absolument refusé à faire du marché noir. Alors que tout le monde mourait de faim, en tout cas, était tenaillé par la faim, il a eu cette droiture au prix de la faim. Je pense que le Seigneur est un Dieu d’infinie miséricorde, mais Il est aussi un Dieu d’infinie justice et on en parle relativement peu.
Vous connaissez ces versets qui nous disent :
« Tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier centime. »
Un centime, c’est rien, ce n’est presque rien. En tout cas, ces petites pièces cuivrées que nous avons dans notre porte-monnaie dont nous voulons nous débarrasser, ce sont celles qu’il faudra donner pour payer jusqu’au dernier centime. Dans la mesure où nous en avons la possibilité, ce n’est rien bien sûr, mais ce type de négligence va nous empêcher de vivre cette belle qualité qui est une droiture et une droiture absolue.
Alors ça se travaille. Ça se travaille à chaque étape de la vie, mais c’est à ne pas négliger.
Retourner au désert
Deuxième remède après le désir d’exactitude, c’est peut-être un retour au désert. Qu’est-ce que c’est que le désert ? C’est plus qu’un pays : c’est un moment où les biens sont mis en commun. L’épisode de la manne l’illustre bien : vous vous en rappeler, on ne peut pas l’accumuler plus que ce qu’il faut. On a juste ce qu’il faut pour le jour présent et pour sa famille, mais pas davantage. Or, à partir du moment où le peuple s’installe, il peut accumuler.
Alors un peuple, par exemple les Récabites, une tribu, a voulu rester au désert en disant « Là on a un trésor. » Et il a été pour le peuple hébreu comme un signe de cet exode permanent dans lequel nous devons vivre. Pour reprendre les mots de Saint Paul :
« Comme si nous ne possédions pas ! »
Alors il y a une expression de ce retour au désert, c’est la dîme. La dîme, c’est donner 1/10 de son salaire. Nous sommes invités à le faire dans la mesure du possible. C’est inscrire économiquement cette primauté de Dieu, cette providence de Dieu et ce partage bien sûr avec ceux qui en ont besoin.
L’argent bon serviteur…
Voilà pour l’argent, mauvais maître. Maintenant, parlons de l’argent « bon serviteur ». Si l’on se réfère à l’Évangile, vous avez vu, que l’éloge que fait le Seigneur de ce gérant est quand même un très paradoxal. On s’en souvient, il commence par dilapider les biens de son maître. Ensuite, il essaye de s’en sortir avec des arrangements et des magouilles : il dilapide et il est magouilleur.
Troisième point : on peut aussi dire qu’il est paresseux, il ne veut pas travailler la terre.
Mais plus encore, quatrième point, il est menteur. Il faut avoir de l’audace pour faire l’éloge de quelqu’un comme ça, il faut vraiment être Jésus !
Comme on l’a entendu, ce gérant va convoquer les employés, il va rabaisser leurs dettes pour qu’il puisse ainsi berner le maître. Cependant, le gérant va faire d’eux ses amis. Donc, il est habile et c’est là-dessus que va porter le compliment du Seigneur ou en tout cas du maître.
Cela nous permet de mettre en lumière deux problèmes que l’on rencontre à mon avis chez les Catholiques. Tout d’abord, l’argent est si mauvais maître qu’on n’accepte pas qu’il soit bon serviteur. Or, si nous ne nous servons pas de l’argent, nous allons diminuer nos ambitions pour le Royaume.
Je vais prendre juste un exemple : ces derniers temps, dans un organe de presse catholique, on disait que l’art était le soft power de l’Église. Il faut bien se rendre compte que la splendeur de nos édifices. En ces Journées Européennes du Patrimoine, nous pouvons admettre que la splendeur de nos églises, la beauté de la culture européenne qui, pour une grande partie, vient de la culture chrétienne, a donné un prestige extraordinaire à l’Église.
Le Génie du Christianisme
C’est tout le motif de la grande apologie de Chateaubriand qui s’appelle le Génie du Christianisme, et qui montre à quel point le christianisme a été fécond artistiquement et combien il a pu ramener à lui des intellectuels, des gens cultivés dans le giron de l’Église, en montrant sa fécondité artistique et culturelle …
Cela ne s’est pas fait sans argent. Cela s’est fait parce que l’Église a été mécène. Et cela a montré que Dieu vaut les plus belles représentations, les plus belles musiques, les plus belles peintures, les plus belles sculptures, que Dieu ainsi transcende de tout.
Nous avons eu tendance parfois à être trop dans ce qu’on appelle le paupérisme, de revoir un peu nos ambitions à la baisse de peut d’être face à une église triomphaliste. Et on s’est trompé. On s’est complètement trompé. Le Saint Pape Paul VI disait : « Il faut prier sur de la beauté ».
A ce sujet, le curé d’Ars disait :
« Rien n’est trop beau pour Dieu »
C’est donc au cœur de la tradition de l’Église, et pour ça, il faut une puissance économique, à n’en pas douter. Le premier problème que je vois donc c’est celui-ci : réduire nos ambitions pour l’évangélisation, pour le royaume, parce que nous nous défions trop de cet argent. Mauvais maître et pourtant bon serviteur….
Le commandement de l’habileté
Deuxième problème que je vois pour les catholiques, c’est la méfiance concernant l’habileté. Que loue le Seigneur chez ce gérant ? C’est son habileté ! L’habileté, on peut se dire « oui, mais bon, ça dépend, il y en a qui sont habiles, d’autres pas ». Non, l’habileté est un commandement.
Le Seigneur nous le dit :
« Soyez simples comme des colombes et astucieux comme des serpents. »
Il ne nous laisse pas le choix, c’est dit. Or, sans rien révéler du secret de la confession, je peux assurer très personnellement qu’il y a bien peu de personnes qui s’accusent de manquer d’astuce ou d’habileté. Pourtant, dans la culture de l’entreprise, on se dénoncerait volontiers pour un manque d’habileté, pour un marché qu’on a laissé courir ou filer, ou encore pour une faute professionnelle qui a porté préjudice à l’entreprise par manque d’habileté. Mais de cela, on ne s’accuse pas pour l’Église ou ça n’est pas immédiat en tout cas.
Or, il nous faut acquérir cette habileté pour le Royaume.
Je constate aussi qu’assez généralement, les Chrétiens et les Catholiques prient très volontiers, agissent très volontiers avec beaucoup de générosité, mais il manque parfois une étape, c’est qu’ils ne pensent pas assez entre les deux. Prier, penser, agir. C’est ce qui fait que l’action est orientée, qu’elle est adaptée. L’action porte du fruit parce qu’elle est prudente justement.
C’est ce à quoi le Seigneur nous appelle quand Il nous demande d’être habiles.
Alors nous voulons bien être vertueux, mais d’une vertu, si je puis dire, toute pure, toute absolue. Il y a bien entendu les vertus de la générosité, de la pureté etc… Mais, et la théologie morale nous l’enseigne, il y a cette deuxième vertu, celle d’avoir du talent : d’être un bon sculpteur, un bon peintre, un bon politicien, un bon musicien ou que sais-je…
Or cette vertu-là, elle nous intéresse moins. Pourquoi ? Parce que c’est une vertu que nous partageons avec les fils de ce monde, autrement dit avec les fils de la ténèbre. Et nous voulons dire que « non, nous sommes de la lumière et que nous ne partageons rien avec ces gens-là ».
Je suis à dire « non, non, non, ça c’est de l’orgueil mon ami ». « Partage l’habileté avec eux et je te les donne en exemple ». Tu n’as pas le choix.
Certes, c’est un peu humiliant parce que le Seigneur nous dit quand même qu’ils sont meilleurs que nous.
Voilà, chers frères et sœurs, tout cela vous l’avez bien compris, cette parole nous est donnée pour que le Royaume progresse, pour qu’il puisse vraiment se diffuser et pour qu’il puisse transformer le monde qui nous entoure.
Soyons bien conscients, ayons cette clarté d’esprit que oui, l’argent est un mauvais maître, mais qu’il est aussi il est un bon serviteur. Dépensons-nous pour le Christ et le Royaume grandira,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Amos 8,4-7.
- Psaume 113(112),1-2.5-6.7-8.
- Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 2,1-8.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 16,1-13 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens.
Il le convoqua et lui dit : “Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.”
Le gérant se dit en lui-même : “Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte.
Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.”
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : “Combien dois-tu à mon maître ?”
Il répondit : “Cent barils d’huile.” Le gérant lui dit : “Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.” Puis il demanda à un autre : “Et toi, combien dois-tu ?” Il répondit : “Cent sacs de blé.” Le gérant lui dit : “Voici ton reçu, écris quatre-vingts.”
Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. »
Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande.
Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ?
Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »