Homélie du 30e dimanche du Temps Ordinaire

28 octobre 2025

« Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »

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Texte de l’homélie

Frères et sœurs,

Quand on lit l’Évangile, c’est toujours bien de le re-situer dans son contexte. Ainsi, nous sommes dans un contexte de pédagogie, où Jésus forme Ses apôtres, Ses disciples. Et déjà depuis un certain nombre de dimanches, nous avons entendu soit des récits de miracles, soit des paraboles. On se rappelle bien sûr les paraboles de la miséricordeparce qu’on est dans Saint Luc, soit des indications concernant le rapport à l’argent, avec le gérant qui était injuste.
Bref, c’est toute une pédagogie que le Seigneur veut enseigner et transmettre à Ses disciples, et par l’occasion, nous transmettre à nous aussi.

De quoi s’agit-il Aujourd’hui ? Il s’agit de deux hommes qui montent au Temple. Il y a plusieurs formats de lecture évidemment : il s’agit tout d’abord de cette comparaison : nous, nous sommes des gens bien et les autres ne sont pas des gens bien. Mais ce n’est pas sous le registre de la comparaison que j’aimerais méditer avec vous cette partie du texte évangélique.
Au fond, n’y a-t-il pas une manière de pratiquer la religion qui éloigne de Dieu ?
De quoi s’agit-il alors ?

Notre cher pharisien a un vrai problème, non pas simplement parce qu’il se compare aux autres. J’allais dire, c’est tellement humain, nous aussi nous nous comparons et voici le résultat : « Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console ! »
Mais, ce n’est peut-être pas là le cœur même du sujet de cette parabole. Au fond, la manière de pratiquer la religion du Pharisien, n’est-ce pas blasphématoire ? Pourquoi ?

Pourquoi ? Parce qu’il y a une partie – et peut-être il faut y être particulièrement attentif – dans la prière que le Pharisien adresse à Dieu. Il est au Temple, le lieu du Dieu Un, du Dieu unique, et il dit :

« Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes. »

Lui aussi se voit unique en opposition avec les autres. Il est seul face au Seul, il est unique face au Dieu unique. Là, il y a un problème. Quand l’homme se pense unique face à un Dieu unique - c’est-à-dire quand l’homme se pense totalement autonome, autocentré, non dépendant - là il y a un problème. Il y a un problème parce que nous sommes face à une idolâtrie.

Rappelez-vous le début de l’Évangile de Saint Luc avec les récits des tentations. Je vous le disais, il y a une manière de pratiquer la religion qui éloigne de Dieu, mais il y a aussi une manière de lire la parole de Dieu qui est démoniaque. Rappelez-vous les tentations :

« Va au sommet du Temple et jette-toi d’ici en bas et les anges te porteront sur leurs mains. »

Ce n’est pas que chez le Pharisien : il y a parfois en nous cette attitude de se croire supérieur à Dieu. Alors on ne le dit pas avec ces mots, ça parce que « ça ne fait pas bien » et parce que peut-être on ne le pense pas vraiment, mais il y a cette tentation de se penser autoréférencé. On se pense seul face au seul. On pense que notre chemin est l’unique…

Dans un autre registre complètement différent, peut-être avez-vous pris conscience que les djihadistes, quand ils commettent un attentat et qu’ils sont pris vivants, ils ont un signe de reconnaissance : un index levé vers le ciel. Cela signifie avec force l’unicité : il n’y a pas la place pour deux. Un, c’est-à-dire « mon chemin est le bon, ma lecture du texte sacré est la bonne, ma manière d’envisager la politique est la bonne »…

Il n’y a pas que les djihadistes. Bien avant eux, vous vous rappelez dans les temps tellement troublés de la Seconde Guerre Mondiale, la devise du Troisième Reich : « Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer », « un peuple, un empire, un chef ». « Un ».
Se penser comme un, n’est-ce pas aussi la tentation de la Tour de Babel ? « Un seul chemin pour aller vers Dieu »… On va construire une tour qui mène jusqu’au ciel et il n’y aura que ce chemin-là…

Comme le cher pharisien qui pense qu’il n’est pas comme les autres, il se pense tellement différent qu’il se pense unique, alors qu’il est dans le Temple, et que face au Temple, ou le lieu du Dieu unique, au contraire, il doit s’accueillir comme dépendant, comme pauvre, tout comme le fait le publicain.

Oui frères et sœurs bien-aimés, c’est intéressant que nous-mêmes nous puissions déterminer en nous et débusquer en nous ce qui pourrait être de cet auto-référencement. Le pape François a beaucoup dénoncé ça : une Église auto-référencée, une Église qui se centre sur elle-même, qui n’a qu’elle-même comme centre d’attention, centre de valeur, qui ne reconnaît pas les autres.
Alors qu’une religion, qu’est-ce que c’est ? Une religion c’est une langue, c’est une manière d’envisager personne et événement. Une religion, c’est quoi ? C’est une vision du monde.

Et vous le savez, en hébreu, les mots sont des mots-valises, c’est-à-dire des mots qui comportent d’autres significations. Et le mot « langue », en hébreu, c’est le même mot pour dire « rivage ». Rivage, ça veut dire qu’il y a deux berges, deux rivages, que ce soit d’une mer, que ce soit d’un lac, que ce soit d’une rivière. Et ce que je vois de mon côté, de cette berge, de ce lac, de cette rivière, ce que je vois de mon côté, l’autre peut le compléter parce qu’il voit de son côté à lui. Un seul côté ne rend pas compte de toute la réalité.
Donc, oui, nous voyons notre religion, en tout cas, la manière habituelle de pratiquer une religion équilibrée, quelle que soit la religion. Parce que le fait de cet auto-référencement, de se penser comme le seul face au seul, a traversé toutes les religions, toutes les religions. Et ça a donné, que ce soit dans le cas des religions ou de l’athéisme, c’est tout pareil : des bains de sang.

Vous vous rappelez la phrase du Pape au moment de la Saint-Barthélemy :

"Chaque goutte de sang protestant glorifie Dieu."

On se voyait comme unique.

Pourtant, il y a aussi des tendances dans notre société, dans notre Église, une forme de raidissement qui préfère le temps passé, où « avant, c’était mieux ».

Alors que une manière équilibrée de pratiquer la religion, une manière humble, une manière attentive aux autres. Et bien n’est-ce pas plutôt le collecteur d’impôts, c’est-à-dire le « collabo », lui qui donnait à l’Empire romain les ressources nécessaires pour maintenir son invasion, son occupation.

Lui au contraire, il prie, il commence tout pareil : « mon Dieu »… Mais il se tient à distance.
Et c’est intéressant, il se tient à distance, c’est-à-dire que il a, il se découvre créature face au créateur, n’osant même pas lever les yeux vers le ciel, se frappant la poitrine.
Il voit sa religion comme un lieu de contact, de relation, de relation humble, d’être attentif à la réalité de l’autre :

« Montre-toi favorable au pécheur que je suis. »

Cette phrase-là aussi, tous nous pouvons la dire. Et celui qui rentre dans sa maison justifié, c’est-à-dire ajusté à Dieu. C’est c’est bien la signification de celui qui est justifié : c’est celui qui est ajusté à Dieu. C’est bien le deuxième et non pas le premier qui se positionnait comme unique face au Dieu unique.

Alors pour nous, c’est très certainement une manière de réfléchir sur notre manière de pratiquer la religion et de débusquer ces formes de toute-puissance, parce qu’il s’agit bien d’idolâtrie. Qu’est-ce que l’idolâtrie si ce n’est de mettre quelque chose ou quelqu’un ou une idée à la place de Dieu. Et c’est en nous et autour de nous. Il y a en nous un combat intérieur pour débusquer l’idolâtrie.
Le cher pharisien qui se croyait hors de tout soupçon, au contraire, l’exemple même de la manière de pratiquer la religion, est finalement idolâtre, il blasphème : « Je ne suis pas comme les autres ». « Moi, je suis unique ». « Moi, je suis le seul ».

Alors, frères et sœurs bien-aimés, demandons cette grâce au Seigneur dans cette Eucharistie d’être attentif précisément à ce que nous dit l’apôtre Saint Paul dans la deuxième lecture :

« e Seigneur lui m’a assisté. Il m’a rempli de force pour que par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout des nations.
Il m’a arraché de la gueule du lion. Le Seigneur m’arrachera encore de tout ce qu’on de tout ce qui pourrait me nuire. »

Oui, il y a un combat spirituel à mener en nous. Et l’apôtre Saint Paul l’a certainement vécu comme tous ceux qui suivent le Christ.
Le fait de ne pas avoir de combat spirituel, c’est en général le signe qu’on n’a pas de vie spirituelle tout court. Mais plus on a une vie spirituelle - et c’est le cas de nous qui sommes ici présents - plus on ressent la distance entre l’absolu de Dieu et l’humilité de la créature. Plus on ressent aussi comme une blessure au fond, ces manques d’accueil de notre condition humaine. À peine nous osons lever les yeux vers le Seigneur pour que nous puissions supplier sa grâce.

Frères et sœurs bien-aimés, oui, le pharisien et le publicain parlent de nos sociétés, parlent de nous aussi, parlent aussi de la manière de se connecter avec le Seigneur, parlent d’une religion qui est aussi plurielle.

Vous le savez, nous fêtons cette année les 60 ans d’un document – un peu technique - du concile Vatican II qui s’appelle Nostra Ætate. Ce document est en Latin et est plutôt connu de ceux qui étudient la théologie et qui sont inclus dans le combat pour une vraie manière d’entrer en religion avec les autres religions, d’être entré en dialogue. Et dans ce document, justement, on reconnaît que les autres ont aussi quelque chose à nous apprendre. On reconnaît que même les non-croyants ont quelque chose à nous apprendre. Et il y a des semences du Verbe, c’est le terme employé dans le concile, aussi dans d’autres religions.

Religion, ça veut dire relier, relier, relier la terre et le ciel, relier les hommes entre eux, relier le corps et l’âme. Mais en aucun cas la religion - quand elle est pratiquée comme celle du pharisien - peut nous dissocier, nous opposer, nous éloigner d’autres.
Oui, ayons assez d’humilité pour accueillir de la part des autres, parfois d’autres confessions ou sans confession, ou d’autres aussi spiritualités, parce que dans l’Église catholique, il y a beaucoup de formes de spiritualité. Jésus nous dit :

« Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père. »

Ayons assez d’humilité pour dire : « Toi, quelle est ton expérience de Dieu ? »

Ou aussi pour ceux qui ne sont pas croyants : « la manière dont toi tu vis dans ma religion, c’est le Saint-Esprit qui agit ».
Je vous donne un exemple. Vous vous rappelez après les attentats de Charlie Hebdo, drame dont on a fêté les 10 ans donc, puis ensuite les attentats de du Bataclan, c’est une année tellement difficile et douloureuse. Charlie Hebdo - qu’on ne peut pas suspecter d’être un sous-marin du Vatican – affichait cette Une après les attentats est restée dans la mémoire de tous. Et cette une nous enseigne : « tout est pardonné. »

« Tout est pardonné ! »

C’est un enseignement d’un média auquel nous ne sommes peut-être pas abonnés, mais ça nous enseigne. Comme nous enseigne aussi cette cet article publié dans le journal Le Monde d’un homme qui avait perdu son épouse au Bataclan, et le titre était : "Vous n’aurez pas ma haine".

"Vous n’aurez pas ma haine !"

Une religion comme un rivage, comme un pont. Et j’aime beaucoup cette phrase que l’on attribue au pape Benoît XVI en réponse à la question : « Combien y a-t-il de chemins pour aller vers Dieu ? »
Ce saint homme à qui on avait fait une tellement mauvaise réputation parce que toute sa génération avait fait partie des Jeunesses hitlériennes, parce que c’était son époque. Mais c’était sans compter sur la finesse de son intelligence. Il dit : « Il est autant de chemins que de personnes pour aller vers Dieu. »

« Autant de chemins que de personnes pour aller vers Dieu. »

Autant de chemins que de personnes pour s’ajuster au Seigneur.
Puisse cette parole faire de nous les témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à son admirable lumière,

Amen !

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Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Ecclésiastique 35,15b-17.20-22a.
  • Psaume 34(33),2-3.16.18.19.23.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 4,6-8.16-18.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 18,9-14 :

En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts).
Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’
Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’
Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »