Homélie du 33e dimanche du temps ordinaire

16 novembre 2020

« À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

« À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. » (Mt 25, 29 ; cf. Mt 13, 12 ; Mc 4, 25 ; Lc 8, 18)

C’est un thème qui revient à plusieurs reprises dans l’évangile. En effet, il y a un vrai enjeu selon que l’on prend la spirale de la confiance ou de la défiance. Chers frères, voulez-vous prendre la spirale montante ou la spirale descendante ?

Ce matin, je voudrais lire cet évangile à trois niveaux différents : tout d’abord, le niveau le plus fondamental de la relation entre les personnes ; ensuite le niveau des idées ; et enfin à niveau plus viscéral, celui de la peur.

Niveau de la relation entre les personnes

Les talents n’ont pas leur finalité en eux-mêmes

C’est le niveau le plus essentiel. Il y a des manières de lire cette parabole qui conduisent à un contresens : le terme du chemin n’est pas de développer ses talents ; il n’y a pas besoin de l’évangile pour trouver cette vérité de sagesse universelle. Le terme du chemin est la relation avec le maître. Les talents sont une sorte de triangulation importante mais qui n’a pas sa finalité en elle-même. Il ne s’agit pas de faire fructifier ses talents de manière un peu égocentrique (cf. développement personnel avec ses ambiguïtés) mais pour servir et remettre le fruit à Dieu.

Les talents sont les biens du royaume

Il est bien de resituer cette parabole dans l’évangile : Jésus donne cette parabole avant d’entrer dans Sa Passion. Les talents, ce sont les biens du Royaume qu’Il confie à ses disciples. Dans les biens que Jésus confie à Ses disciples, on peut voir tous les biens qu’il nous a acquis par Son incarnation, par Sa mort et Sa résurrection.
L’Esprit Saint nous est donné justement pour faire fructifier ces biens :

« C’est de mon bien qu’il recevra et il vous le dévoilera. » (Jn 16, 14)

Il ne s’agit pas des dons naturels (issus de la création) mais des dons issus de la rédemption : la foi, l’espérance, l’amour, la grâce, la Parole de Dieu, les sacrements, … Il y a une perspective d’évangélisation. En confiant une telle « somme » à Ses disciples, Jésus leur dit ainsi leur grande responsabilité : ils sont les continuateurs de l’œuvre de Jésus, chacun selon sa capacité. On ne doit pas enterrer l’Evangile.
Or la Bonne Nouvelle elle est une « puissance de salut » qui doit se diffuser sous peine de devenir stérile. Le troisième serviteur a fait de la conservation. C’est un dépôt mort.

« Il est nécessaire de passer « d’une pastorale de simple conservation à une pastorale vraiment missionnaire » (PF Evangelii gaudium, n° 15)

La foi que tu as reçue, ce n’est pas comme un colis que tu dois remettre tel quel à l’arrivée au paradis. Elle doit au contraire s’enraciner en toi et porter des fruits de charité, de paix, de joie

Le but c’est la communion avec le maître

L’invitation ultime adressée aux deux premiers serviteurs est : “entre dans la joie de ton Seigneur”. Avec ces deux premiers serviteurs, la relation est fluide. Ils considèrent les talents comme leur bien propre : ils ne font pas d’opposition entre leurs biens et ceux du maître ; ils sont entrés dans l’intention du maître qui « leur confia ses biens » (il y a le mot confiance). Une grande liberté d’initiative leur est laissée. Car le maître n’a donné aucune consigne sur l’usage à faire des dons remis. Chacun est appelé à faire marcher son imagination. Il s’agit d’apprendre à travailler à l’œuvre d’un autre.
Il faut pour cela se décentrer de soi pour travailler de manière désintéressée à un projet plus grand. Comme le dit l’évangile de Jean, le maître n’est jamais jaloux du fruit que portent ses serviteurs :

« Je vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous produisiez du fruit et que votre fruit demeure. »

Le troisième serviteur considère le talent comme un bien étranger : il n’entre pas en communion. Il pense être quitte ; il se donne bonne conscience : je n’ai pas volé ; je ne dois rien à personne ; personne ne me doit rien.
Or on ne peut pas faire comme si nous n’avions pas reçu. Ce don entraîne une responsabilité, que nous le voulions ou non. Ses accusations s’adressent à la personne même de son maître : “Tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain.” C’est un « tu » accusateur.
Aussi, il ne faut pas s’étonner de la peine qui lui est infligée et qui ne consiste pas seulement à lui enlever son talent mais à le jeter “dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !”

Niveau des idées – justifications

Les deux premiers serviteurs ne sont pas retenus dans leur élan. Ils semblent agir avec une certaine spontanéité. Cela leur semble normal. Il ne se forment pas des nœuds dans la tête. C’est pour eux une évidence :

« Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. »

C’est un peu comme dans la première lecture : une spirale vertueuse se met en place. La femme se donne sans arrière pensée. Son mari la trouve parfaite, précieuse. Il peut lui faire confiance, il fait volontiers sa louange, … Elle fait son bonheur et c’est réciproque.

En revanche, le troisième serviteur aurait eu profit à entendre cette invitation de saint Paul :

« Ne brisez pas l’élan de votre générosité, mais laissez jaillir l’Esprit ; soyez les serviteurs du Seigneur. » (cf. Rm 12, 11)

Il a en effet de fausses idées qui le paralysent dans le don de lui-même : « tu es un homme dur … » Il se laisse mener par un sentiment d’injustice : « tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. »
Il s’est laissé gagner par une forme de suspicion comme Adam et Eve dans le jardin d’Eden. Sa perception du maître est déformée. Il se voit comme un esclave aliéné par un tyran. Il y a une conception de la justice étriquée. De fait, à la fin de l’histoire, on voit que l’appréhension du serviteur s’est révélée fausse car les deux premiers serviteurs se voient dire :

« Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. »

Le serviteur mauvais juge le maître comme les ouvriers de la première heure ou le fils aîné par rapport au fils prodigue. Il n’est pas du tout entré dans l’intention de son maître. Peut-être justifie-t-il ainsi sa paresse (qui est un péché capital). C’est en tout cas le qualificatif qu’emploie le maître : « Serviteur mauvais et paresseux ».

Le maître se plie en quelque sorte à l’image que les hommes se font de lui : “puisque tu croyais que j’étais ainsi (on remarquera pourtant que le maître “saute” l’adjectif “dur”) ne devais-tu pas, à plus forte raison travailler pour moi ?” Autrement dit : “ce que tu as été incapable de faire par amour, tu devais le faire quand même, si tu avais été logique avec l’image que tu t’es faite de moi. Ce que tu n’as pas fait à cause de la grâce, tu aurais dû le faire à cause de la loi.” Il faut être logique avec son légalisme !

Niveau plus viscéral de la peur

Quelle est cette peur qui anime ce troisième serviteur ? Pourquoi a-t-il eu peur ?

Peur de ne pas savoir comment s’y prendre, de ne pas y arriver ?

Peut-être est-ce une peur de l’échec ? Pour ne pas échouer, il ne fait rien mais c’est en même temps la meilleure manière d’échouer ! La peur l’a inhibé, complexé, paralysé. « La peur est une mauvaise conseillère. » comme l’on dit.

« Le trou creusé dans le sol par le « serviteur méchant et paresseux » (v. 26) indique la peur du risque qui bloque la créativité et la fécondité de l’amour. Parce que la peur des risques de l’amour nous bloque. Jésus ne nous demande pas de conserver sa grâce dans un coffre-fort ! Jésus ne demande pas cela, mais il veut que nous l’utilisions pour le bien des autres. » (Pape François, 16 novembre 2014)

Il pense que sa peur justifie sa paresse mais il n’en est rien. C’est normal d’avoir de l’appréhension, de voir le risque, de ne pas savoir quoi faire, … tous nous sommes appelés à affronter les sentiments qui nous habitent. Il faut bien sûr en tenir compte mais pas nous laisser manipuler par eux et ne pas nous laisser arrêter pour faire le bien. Le qualificatif concernant ce serviteur est assez fort : « serviteur bon à rien ».

Peur de se faire avoir, de se faire exploiter, … ?

De coup, il préserve jalousement son indépendance et ne veut surtout pas prendre le risque de la relation. Or c’est un honneur que le Seigneur nous fait de nous associer à son oeuvre, au service qu’il est venu accomplir lui-même auprès des hommes en la personne du Verbe.

Peur de se donner ?

En effet, se donner, c’est aussi se perdre … au moins pour un temps. C’est quelque chose qui revient souvent dans l’évangile :

« Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera. » (Mc 8, 35 ; Mt 10 ,39 ; Lc 9, 24 ; 17, 33 ; Jn 12, 25)

Conclusion :

En conclusion, demandons au Seigneur de nous arracher à toutes nos peurs, un peu comme Pierre qui n’hésite pas à s’adresser au Seigneur : « sauve-nous ». Que le Seigneur nous aide à ne pas nous laisser arrêter par des peurs qui nous empêchent de mettre les talents reçus à son service et à celui de nos frères.
Qu’il nous purifie de nos fausses justifications à ne pas nous donner.
Qu’il serait dommage de mener notre vie comme le mauvais serviteur qui a poursuivi son itinéraire de vie sans tenir compte du talent confié ! Cela aurait pourtant donné une couleur complètement différente à sa vie.

Laissons nous illuminer par l’exemple de Marie qui n’a pas eu peur de répondre à l’appel du Seigneur !

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Proverbes 31,10-13.19-20.30-31.
  • Psaume 128(127),1-2.3.4-5c.6a.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 5,1-6.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25,14-30 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « Un homme qui partait en voyage appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres.
De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître.

Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes.
Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit :
— “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.”
Son maître lui déclara :
— “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit :
— “Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.”
Son maître lui déclara :
— “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit :
— “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.”
Son maître lui répliqua :
— “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts.
Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix.

À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a.
Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !” »