Homélie du 7e dimanche du temps ordinaire

20 février 2017

« En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés, ne vous arrive-t-il pas d’être impressionnés par la puissance du mal qui est à l’oeuvre, par exemple lorsque nous sommes témoins des horreurs perpétrées par DAECH, par la terreur occasionnée par des attentats, par la barbarie de certains faits divers, …

Face à tout cela, la parole de Jésus dans l’évangile ne vous paraît-elle pas un peu utopique, en dehors de la réalité ? Comme le disait Benoît XVI,

« En réalité, la proposition du Christ est réaliste car elle tient compte du fait que dans le monde il existe trop de violence, trop d’injustice, et que par conséquent on ne peut dépasser cette situation qu’en lui opposant un plus d’amour, un plus de bonté. Ce plus vient de Dieu : c’est sa miséricorde, qui s’est faite chair en Jésus et qui seule peut « déséquilibrer » le monde du mal vers le bien, à partir de ce « monde » petit et décisif qu’est le cœur de l’homme. (Benoît XVI 18 février 2007) »

Pour faire basculer le monde vers le bien, plutôt que de partir dans de grandes théories, Jésus nous invite à regarder quelle est notre attitude vis-à-vis de ceux qui nous font du mal ou qui disent du mal sur nous.

Une non-violence active

Tout d’abord, il faut se garder d’une mauvaise interprétation de ce passage d’évangile qui consisterait à se résigner devant le mal, à devenir les adeptes d’une non-violence passive. Jésus ne nous encourage pas à rester purement passifs et nous laisser manger par le monstre du mal, nous laisser écraser par le rouleau compresseur du mal. Il y a un instinct de conservation qui est sain. Il ne s’agit pas pour la petite brebis de se jeter dans la gueule du loup. D’ailleurs, lors de la passion, Jésus ne tendra pas l’autre joue mais invitera le garde qui l’a frappé à réfléchir :

« Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? (Jn 18, 23). »

Il ne faut donc pas prendre l’expression de Jésus (tendre l’autre joue) de façon trop littéraliste.

Déjà la loi du talion mettait une certaine limite au mal. Jésus va plus loin. Jésus nous invite à réagir mais pas dans la violence. Jésus nous invite à une non-violence active (comme le disait le pape François dans son message pour la journée de la paix de cette année 2017). Comme nous le voyons dans la première lecture, la non-violence active n’exclut pas la réprimande.

Dans son Message pour la paix du 1er janvier 2005, Jean-Paul II disait :

« Le mal ne se vainc pas par le mal : si l’on prend ce chemin, au lieu de vaincre le mal, on se fait vaincre par lui. (…)
La seule manière de sortir du cercle vicieux du mal pour le mal (cf. Rm 12, 17 ; 1 Th 5, 15), c’est d’accueillir la parole de l’Apôtre : ’Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien’ (Rm 12,21).
La logique de l’amour chrétien (…) va jusqu’à l’amour des ennemis : ’Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger : s’il a soif, donne-lui à boire’. (Rm 12, 20) »

On fait barrage au mal par le bien. Jésus nous enseigne à préférer l’injustice plutôt que de la commettre (1 Co 6, 7s), à absorber le mal plutôt que de le contrer.

Si l’on se durcit face au mal, cela le fait rebondir. C’est vrai notamment du domaine des paroles. Il est très facile de colporter le mal plutôt que de l’absorber comme une éponge. On nous dit quelque chose de mal, on a tendance à le répéter. Et du coup, cela fait boule de neige sauf s’il se trouve un cœur silencieux dans lequel vient s’enfouir cette parole mauvaise.

La non-violence active implique une certaine maturité, une attitude adulte où on ne se laisse pas guider par ses émotions « animales » (cf. 11 premiers chapitres de la Genèse).

Ne pas s’affronter mais s’unir pour affronter le mal

Le grand piège lorsque nous rencontrons une difficulté, c’est de s’affronter. Jésus nous invite à nous considérer comme les membres d’une même équipe qui veut gagner, pas comme des adversaires. Cela consiste à avoir une finalité constructive plutôt que d’aller vers l’affrontement. Le fait d’avoir de la considération pour l’autre, le fait de voir l’autre sous un jour positif, aident à sortir d’un conflit par le haut, pas en écrasant l’autre. Des spécialistes du mariage disent qu’une réponse positive à un commentaire négatif au cours d’une dispute est un indice d’un mariage plus long. Il y a une manière de s’unir, de collaborer pour affronter une situation difficile mais non pas affronter l’autre. Les couples qui disent « nous » pendant les conflits parviennent mieux à résoudre leurs différends et sont moins stressés, comparés à ceux qui utilisent le « Je/moi » et « Tu/toi ».
L’ennemi, celui qu’il faut combattre, n’est pas l’autre mais le mal.

Quand on a été blessé, le réflexe naturel est de réagir à partir de cette blessure. Quand quelqu’un nous a fait du mal, on a le regard davantage porté sur soi-même, sur le tort dont on a été victime que sur la personne de l’« agresseur ». L’amour donné par Jésus peut nous transformer à tel point que même si quelqu’un nous fait du mal, nous sommes encore en mesure de le regarder pour essayer de voir ce dont il peut avoir besoin, ce que nous pouvons faire pour lui. Il s’agit de cette maturité de l’amour dont parle Jean Vanier : on ne commence pas par regarder sa blessure ; on commence par regarder la détresse de notre agresseur. C’est précisément ce que Dieu a fait en nous aimant alors que nous étions encore pécheurs.

Jésus dépasse manifestement une certaine prudence humaine.

« Si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour devenir sage. Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » (1 Co 3, 18) « Le Seigneur connaît les raisonnements des sages : ce n’est que du vent ! »

Les consignes que donne Jésus sont d’abord d’ordre individuel mais elles s’adressent à ses disciples qui constituent un peuple (un peu comme dans la première lecture). Vivre tout seul ce passage de l’évangile est plus facile lorsque nous faisons partie d’un peuple où il y a une émulation mutuelle, où nous sommes soutenus par des frères et des sœurs qui désirent avancer dans le même sens. Nous pouvons ainsi entrer dans une spirale vertueuse où on n’ajoute pas le mal au mal. Quand on est tout seul, c’est beaucoup plus difficile.

Entrer dans cette spirale vertueuse ne va pas de soi. Cela implique de prendre sur soi et donc aussi d’être fortifiés dans nos motivations.

Où trouver la force pour vivre les exigences de Jésus ?

Foi en Dieu, vainqueur du mal par le bien : Un premier motif d’espérance, c’est que Dieu nous a déjà précédés dans la voie de l’amour des ennemis et qu’il nous appelle à lui ressembler. Si nous ne croyons pas en la résurrection des morts, en la victoire de Dieu sur le péché, le mal et la mort, il nous sera impossible d’aimer nos ennemis jusqu’au bout. Comme le dit très bien Aelred de Rielvaux, moine cistercien du XIIe :

« Rien ne nous encourage tant à l’amour des ennemis, en lequel consiste la perfection de l’amour fraternel, que de considérer avec gratitude la patience admirable du « plus beau des enfants des hommes » (Ps 44,3). Il a tendu son beau visage aux impies pour qu’ils le couvrent de crachats. Il les a laissés mettre un bandeau sur ces yeux qui d’un signe gouvernent l’univers. Il a exposé son dos au fouet, … »

Nous sommes donc invités à contempler Jésus mort et ressuscité. C’est d’ailleurs à cette lumière que le discours sur la montagne est audible.

Foi en la vie éternelle  : Si – face au mal – nous avons une réaction de défense, c’est bien parce que nous tenons à notre vie, à notre réputation, à nos biens. Mais Jésus nous révèle que nous avons une vie bien plus profonde, une réputation bien plus vraie (celle devant Dieu), des biens bien meilleurs (cf. épître aux Hébreux). S’il n’y a que cette vie, il ne faut surtout pas la perdre. De même s’il n’y a que ces biens matériels, … Mais s’il y a une autre vie, d’autres biens, … Alors se pose la question de la vie que nous voulons préserver : celle de la terre ou celle du Ciel ? Jésus ne nous promet pas un royaume terrestre mais le royaume des cieux qui certes peut déjà être en germe sur cette terre mais qui ne sera accompli que dans l’au-delà.

Foi en la grâce qui nous est déjà donnée : Nous sommes déjà rachetés, c’est pourquoi nous sommes capables de vivre les exigences que Jésus nous présente.

« Face aux nombreux drames qui affligent le monde, les chrétiens confessent avec une humble confiance que seul Dieu rend l’homme et les peuples capables de dépasser le mal pour parvenir au bien.
Par sa mort et sa résurrection, le Christ nous a obtenu la Rédemption et il a « payé le prix de notre rachat » (1 Co 6,20 ; 7,23), obtenant le salut pour la multitude. Avec son aide, il est donc possible à tous de vaincre le mal par le bien. (…) Même si le « mystère de l’impiété » est présent et est à l’œuvre dans le monde (cf. 2 Th 2,7), il ne faut pas oublier que l’homme racheté a en lui suffisamment d’énergies pour s’y opposer. »
(JP II, message pour la paix du 1er Janvier 2005)

Chers frères et sœurs, aller avec le sourire vers la personne qui a dit du mal de nous, qui nous a fait souffrir (volontairement ou non) demande toujours un effort. Demandons à la Vierge Marie de nous aider sur ce chemin. Elle a eu la grâce de pouvoir vivre ces paroles en particulier au pied de la Croix lorsque Jésus l’a invitée à prendre comme fils tous les hommes précisément au moment où Jésus mourait par la faute des hommes. N’hésitons pas à invoquer Marie pour mieux vivre ce passage d’Évangile !

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre du Lévitique 19,1-2.17-18.
  • Psaume 103(102),1-2.3-4.8.10.12-13.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 3,16-23.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5,38-48 :

En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Œil pour œil, et dent pour dent’.
Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.
Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.
Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.

À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! »
Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.’
Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.

En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ?
Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »