Homélie du Saint Jour de Pâques : dimanche de la Résurrection du Seigneur, solennité des solennités

5 avril 2021

« On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. »

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Texte de l’homélie

Beaucoup d’entre nous ont connu le deuil. Douleur… Ces jours aussi, il y a 2000 ans, les apôtres, Marie-Madeleine, les amis de Jésus étaient en deuil. Souvent au deuil peut se mêler la rancune, la rancœur : « pourquoi nous as-tu laissés ? » « pourquoi nous as-tu fait cela ? »

Quand j’étais enfant, je me souviens des réveils pour aller à l’école. Mon père entrait dans notre chambre, et allumait le grand lustre du plafond. Tous les rêves que notre sommeil avait échafaudés se retrouvaient à terre en un instant… une nouvelle journée d’école devenait la seule perspective…

Jésus ressuscité ne s’y prend pas tout à fait comme ça : Il s’avance dans cette grisaille morne du deuil, ne brise pas la pénombre d’un seul jet de lumière, Il s’y adapte, Il veut convertir patiemment les sensibilités et convertir patiemment les cœurs, les réveiller peu à peu. Il ne veut pas faire le grand victorieux, nous imposant une présence victorieuse à nous, trop prisonniers de notre chagrin, incapables de goûter cette présence…

Car vous le savez bien, il est des événements heureux qui ont bien lieu, mais qui ne nous rejoignent pas. Ils se passent dans d’autres pays, je peux juste en percevoir l’écho lointain, mais ils me restent étrangers… Vous connaissez sans doutes ces récits de ces stragglers, ces traînards, ceux qui à la fin de la deuxième guerre mondiale continuaient à se battre, parce qu’ils ne savaient pas que la guerre avait pris fin. L’événement de la paix avait bien eu lieu, mais il n’y avait personne pour l’annoncer. Et 30 après, on les retrouvait sur les îles du Pacifique, se cachant encore d’un éventuel ennemi…

Oui, Christ est ressuscité, et le grand défi c’est de l’annoncer ! Dans Sa tendresse pour les hommes, Il veut annoncer cette victoire à chacun, car Il veut aussi ressusciter un lien avec chacun, réveiller une amitié. Peu Lui importe d’être vivant s’Il ne rend pas la vie à l’amour et à l’amitié que nous Lui portons.

Oui Jésus d’une certaine façon veut nous dire :
« Mon amitié pour toi n’a pas été ensevelie dans la mort. Elle est toujours vivante, elle a même traversé la nuit du tombeau, elle continue de rayonner depuis de tombeau, pour que toujours un rayon puisse rejoindre ton cœur. Et même dans cette victoire de la Résurrection, je suis là aujourd’hui encore pour continuer à attester cette amitié pour toi. »
Dans la lumière, Il vient jusqu’à nous.

Voyons comment Jésus s’y prend : Marie-Madeleine, comme beaucoup de personnes dans le deuil, est tellement captivée par sa tristesse qu’elle ne peut plus s’en détacher, elle ne voit plus que la béance noire du tombeau, elle ne peut plus en détacher ses yeux. Alors, Jésus vient, lui envoie ses anges pour la préparer, puis Il apparaît comme ce jardinier. Enfin, Il prononce ce nom qu’Il a porté dans Son cœur à travers Sa mort et jusqu’à la Résurrection, ce nom prononcé avec amour à Marie qui lui permet de reconnaître son maître et son Seigneur, comme Il prononce le nom de chacun d’entre nous.

Avec Thomas, Jésus agit aussi avec douceur et le met en face de son doute, sans le brusquer. Il s’adapte et le visite jusque dans son doute pour le faire progresser et l’amener à Le reconnaître pour l’éveiller à la Bonne Nouvelle : « Je suis pour toujours avec vous. »

Puis les Pèlerins d’Emmaüs, eux qui sont déprimés, Jésus se joint à leur conversation et fait l’ignorant. « Que s’est-il passé à Jérusalem ? » « Tu est bien le dernier à ne pas le savoir ! ». Puis, peu à peu, Il les amène aussi à Le reconnaître dans les écritures et dans la fraction du pain.

Toutes ces rencontres sont symboliques de la rencontre que le Ressuscité veut instaurer avec chacun d’entre nous. Autrement dit, Il ne ressuscite pas pour une masse informe, pour une foule sans nom ; c’est une visite personnelle que fait Jésus à chacun d’entre nous en cette aube. Pierre va relever cela dans la première lecture :

« Il lui a donné de se montrer non pas à tout le peuple, mais seulement aux témoins que Dieu avait choisis d’avance. »

Oui, Jésus choisit ses témoins comme Il choisit Ses amis. Et Pierre va plus loin en disant :

« Nous avons mangé et bu avec lui ! »

Si je peux m’exprimer ainsi, Jésus de donne pas un sac de drive en nous laissant manger dans notre coin : Il mange avec nous, Il boit avec nous, et cela signifie qu’Il fait une alliance dans le langage biblique. C’est l’intimité profonde que procure le fait de se servir au même plat…

Chers frères et sœurs, voilà quelle est la délicatesse de Jésus pour nous, pour que cette résurrection soit réelle dans nos vies, et non pas un événement épisodique qui nous passerait par dessus la tête.

Tout cela c’est très bien, mais qui d’entre nous a rencontré Jésus ressuscité en chair et en os ? qui d’entre nous a mangé et bu avec lui, qui a échangé quelques bons mots avec lui, l’a traité vraiment comme un ami ?
Oui, il faut le reconnaître : il y a un abîme entre nos relations ordinaires d’amitié, d’affection et de famille, et la relation avec le Christ. Car l’amitié avec Lui ne se vit que dans la Foi, elle ne se perçoit que dans la foi…
Jésus nous invite à dépasser le simple niveau de notre sensibilité, pour le rejoindre au plus profond. Si nous en restons là, nous resterons immatures. Si nous n’allons pas jusqu’à la Foi, nous n’allons jusqu’au bout de nous-mêmes, nous restons prisonniers de nos impressions. Il nous dit : « Je veux que tu me choisisses avec tout toi-même, et ce tout toi-même passe par la Foi », et par la vie intérieure qu’évoque la deuxième lecture :

« Votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. »

Alors oui, la Résurrection du Christ nous oblige à grandir et à mûrir. Et il faut reconnaître que la pauvre Marie-Madeleine est un peu dépassée : quand Jésus arrive, elle veut lui entourer les pieds avec ses bras, l’embrasser et le retenir comme un être cher dont on veut prolonger la présence au milieu de nous, et Jésus lui dit : « Ne me retiens pas ! Ce n’est pas avec ta sensibilité que tu vas me trouver c’est avec ta Foi. Va jusqu’au fond de ton cœur, passe à travers une autre nuit qui est celle de la Foi mais à travers laquelle tu pourras toi-même devenir lumière. »

Une dernière chose : on pourrait nous dire des chrétiens qu’ils sont des illuminés ayant perdu quelqu’un de cher qui inventent qu’il est ressuscité comme ça ils souffrent moins. Une illusion utile à la vie, c’est bien souvent ce reproche ou du moins cette remarque que l’on fait aux Chrétiens.
Cela me rappelle un roman que j’avais lu au sujet d’un jeune noble qui, éperdument amoureux de sa jeune épouse, Véra, la perd la nuit même des noces : la douleur trop vive et toute l’alchimie de son imagination fait qu’elle est recréée et qu’elle arrive devant lui, pur fruit de cette folie, de ce délire…

Alors, quelle preuve allons-nous donner au monde que nous en sommes pas dans l’illusion ? quelle est la pierre que Celui qui est ressuscité d’entre les morts va nous donner pour nous affirmer : « C’est bien moi qui vous visite ! »
Ainsi, je me suis posé la question : il ne faut pas que celui qui est ressuscité soit complètement hors sol. Il me semble que cette pierre que le Ressuscité nous donne, c’est la joie de la Résurrection. Et cette fois, c’est nous-même qui la portons. C’est la preuve que nous avons rencontré en profondeur dans la Foi, malgré les de la sensibilité, Celui qui est revenu de la mort et des enfers. Et finalement, c’est l’amitié joyeuse que Sa résurrection suscite entre nous.

Voilà quelle est la preuve : Il nous a donné cette joie, à nous de ne pas nous la laisser dérober.
La pandémie, le monde actuel, tout est fait pur nous ôter cette joie et que nous ayons des l’air désespérés. On le sait bien, cette question est toujours la même : « Les Chrétiens sont-ils encore aujourd’hui le sel de la Terre ? Sont-ils encore ce plus, non pas à cause d’eux-mêmes, mais à cause de ce qu’ils ont reçu ? »

Voilà peut-être notre manière spécifique de vivre notre pâque cette année : Oui, nous sommes ces gestes du Ressuscité, c’est nous qui sommes Sa voix au milieu du Monde, c’est nous qui sommes Son cœur au milieu du Monde, c’est nous qui sommes cette joie offerte à nos frères qui sont proches et à ceux qui sont loin.

Puissent-ils vraiment et pleinement se manifester à travers nous pour le bien et le Salut du Monde,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 10,34a.37-43.
  • Psaume 118(117),1-2.16-17.22-23.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens 3,1-4.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20,1-9 :

Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau.
Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.