Homélie du cinquième dimanche de Carême

19 mars 2024

« Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs, chers jeunes

Ces derniers temps des décisions terribles ont été prises et inscrites dans notre constitution : sans nullement évacuer la détresse des femmes qui vivent une grossesse non désirée, était-il nécessaire d’inscrire cela dans le marbre de notre loi fondamentale ? D’autres lois se profilent plus inquiétantes encore : on ne veut plus ni de la vie, ni de la mort, on ne veut plus de ce qui nous dépasse. Pas plus qu’on ne veut de l’étranger ou du migrant qui depuis la Bible est le signe que nous ne sommes pas complètement chez nous sur la terre, que nous y sommes comme invités.

Sommes-nous à la recherche d’une vie sans limites ?

Tout ce qui nous rappelle nos limites, nous l’éliminons. Tout ce qui permettrait à Dieu de faire brèche au milieu de nous, nous l’oblitérons. Dieu doit rester à la marge. Je pensais à ces vers de Victor Hugo. Caïn a tué son frère Abel et pour ne plus rencontrer cet œil de Dieu, Caïn fait édifier autour de lui des murs de plus en haut, de plus en plus épais, pour établir une frontière définitive entre Dieu et lui :

« Bâtissons une ville avec sa citadelle, Bâtissons une ville, et nous la fermerons. ».
Alors Tubalcaïn, père des forgerons, Construisit une ville énorme et surhumaine.

Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ; Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. » La conscience, Victor Hugo

Pourquoi l’homme fait-il ceci, pourquoi faire de la mort de nos proches de l’euthanasie, une solution à leur problème et plus encore peut-être une solution à nos problèmes ? Pourquoi les Français se montrent-ils à 83 % favorables à l’euthanasie ? Il faut regarder ces chiffres en face même s’ils ne nous plaisent pas. Ces gens sont-ils d’une autre espèce que la nôtre ?

Je ne souhaite en rien exonérer la responsabilité des personnes qui pensent aux antipodes de notre foi chrétienne, en matière de vie naissante et finissante. La conscience de chacun, le bon sens devrait suffire à indiquer la voie droite. Cette vie je ne me la suis pas donnée, je ne peux ni me la retirer, ni la retirer à autrui.

Mais voilà : ces chiffres sont là, terribles… que manque-t-il à ces gens qui font de la mort la solution universelle ? si c’était qu’ils sont privés d’une lumière qui puisse démasquer ces monstres tapis dans la pénombre…, s’ils manquaient d’une force, d’une énergie, qui leur permette d’affronter les difficultés de la vie, s’ils étaient finalement privés de la grâce ?

Qu’est-ce que la grâce ?

Qu’est-ce que la grâce, sinon cette lumière surnaturelle, cette vie de Dieu en nous, bien plus encore, une sève, cette loi de Dieu inscrite dans nos cœurs que décrit Jérémie, loi qui nous permet de connaître Dieu, de voir le monde avec ses yeux :

« Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. »

Avec la grâce nous faisons le bien comme spontanément, naturellement. La morale n’est plus un fardeau dont on veut se débarrasser.

Sans cette grâce, que peut-on faire, sinon vivre le moins mal possible, ériger en idéal son égoïsme, rechercher son confort. Car sans la grâce, il n’y a pas de force de dépassement. Il peut y avoir un volontarisme, le pélagianisme comme le rappelle le pape François, qui s’épuisera tôt ou tard.

Pourquoi s’étonner que de telles décisions soient prises ?

Car si nous regardons bien, les gens sans la grâce étaient les païens : à côté de vertus magnifiques, il y avait des aveuglements absolus, sur certains pans de la vie morale. A côté du courage guerrier de Sparte, voisinait l’infanticide : les nouveau-nés difformes étaient précipités du haut d’une falaise. A Athènes, était érigé en principe d’éducation l’exploitation sexuelle des mineurs. A Rome, le père de famille, le pater familias, disposait du droit de vie et de mort sur sa famille, sur ses esclaves. Cet aveuglement était commun dans l’empire romain décadent, les jeux du cirque de plus en plus cruels… voilà un monde sans la grâce…
Le monde chrétien n’a pas toujours été beaucoup mieux, mais il a eu conscience au moins de ses turpitudes.

Cette résistance à Dieu, cette résistance à la grâce elle est terrible chez certains de nos contemporains. Elle est diabolique. Mais n’allons pas trop vite : cette muraille qui nous sépare de Die, combien aussi en sont victimes.

Combien aimeraient connaître la vérité ?

Combien souhaiteraient se repaître de cette vie nouvelle qu’est la grâce ?

Il y a eu un exemple de cette aspiration à la grâce, à la vérité il y a quelque temps, à la conférence des femmes à Pékin organisée par l’ONU. On imagine les théories qui circulent… promotion de la réduction des naissances tous azimuts etc… or quelques femmes envoyées par le Vatican, rencontrent dans les couloirs les féministes les plus acharnées, qui vont parfois jusqu’à considérer la grossesse comme une maladie. Un face à face a eu lieu entre une chrétienne et une féministe, leader particulièrement influente, Bella Abzug. Une femme chrétienne prend le temps en a parte de lui expliquer avec douceur et conviction tout à la fois, la véritable pensée de l’Église sur la sexualité, la transmission de la vie… et Bella écoute, profondément troublée. A la fin de l’exposé, elle s’écrie avec une sorte d’émerveillement surpris : « that is so ! » « c’est donc comme ça ! »

Un autre exemple est l’explosion du nombre des catéchumènes (collégiens et lycéens) : ils veulent croire qu’un autre est possible, que le royaume de la grâce existe, à côté de ce monde de froideur, de consumérisme, et parfois de violence.

Pourquoi évoquer ces épisodes ? car il nous faut le courage d’attaquer cette carapace qui résiste à la grâce, et qui enferme bien de nos contemporains. Or qu’ont fait les chrétiens avec le monde païen pour en venir à bout ? Ils ont vécu en fidélité avec la grâce qui les habitait, et cette grâce, ils l’ont rendue visible à travers leur vie !

La première des choses, c’est d’être profondément heureux d’être chrétien, de se mouvoir dans ce monde de la grâce : mesurons nous le bonheur quelles que soient les circonstances de notre vie, de pouvoir dire : « Réjouis toi Marie pleine de grâce », d’appeler Dieu : « notre Père »…

Autre point : la pureté des mœurs. Les Chrétiens réveillaient chez les païens cette soif de pureté enracinée en chaque cœur.

« Vous brillez au sein d’une génération pervertie, comme des foyers de lumière. » (Ph 2.15)

Or, qui n’est pas attiré par la lumière, aussi perverti soit-il ? Nous pouvons évoquer Jeanne d’Arc avec quelques jeunes, elle qui a su réveiller au milieu des hommes de troupe, la soif de pureté qu’ils portaient en eux, et le rayonnement de cette jeune fille perçait l’épaisseur de leur sensualité pour aller réveiller le cœur d’enfant…

Enfin, la charité, la charité fraternelle. Un monde sans la grâce, c’est un monde de solitude. Or que voyons nous y compris dans bien des familles ? chacun captivé par son écran… pour qu’il y ait charité, il faut d’abord qu’il y ait interaction entre les personnes. Une famille qui communique, qui parle, un groupe d’amis, qui sache échanger en profondeur, c’est aussi un signe de ce royaume de grâce. Et comme cela est attirant.

Pour terminer, cette il faut la payer, ne nous faisons pas d’illusion. Si cette forteresse païenne a pu se fissurer dans les premiers siècles de notre ère, c’est que beaucoup de Chrétiens avaient donné leur vie, comme le Christ aujourd’hui, comparé à ce grain qui meurt pour porter du fruit.
Nous ne savons pas quelle violence plus ou moins larvée notre monde pourra diriger contre le Christ, contre les Chrétiens. Nous savons simplement que l’hostilité nous attend, mais que notre témoignage de fidélité, de fermeté, d’humilité pourra en venir à bout. Ce fut la méthode de Dieu. Maxime le Confesseur dit :

« Seule l’immense kénose de Dieu a pu vaincre le cœur de l’homme. »

Que Marie nous accompagne, nous maintienne dans l’espérance : qu’elle nous permette d’en finir avec un pessimisme qui n’a rien à voir avec l’évangile. Il est appelé à porter du fruit, aussi automatiquement que le grain de blé tombé en terre fera naître un épi abondant. Et si notre monde n’était pas post chrétien, mais pré-chrétien…

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Jérémie 31,31-34.
  • Psaume 51(50),3-4.12-13.14-15.
  • Lettre aux Hébreux 5,7-9.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 12,20-33 :

En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. »
Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare :
— « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.
Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.
Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! »
Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.