Homélie du troisième dimanche de Pâques

24 avril 2023

Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.

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Texte de l’homélie

Les disciples avaient imaginé un déroulement de l’histoire et ce n’est pas passé comme cela.

« Nous espérions … »

À vrai dire, nous désirons tous un chemin qui va plutôt vers la réussite. Il est toujours compliqué de se confronter à l’échec.

Il est intéressant de voir comment Jésus vient les rejoindre. Il ne leur apparaît pas en leur disant simplement : « c’est bien moi, ne soyez plus tristes ». Dans les récits qui suivent la résurrection de Jésus, trois éléments reviennent de manière récurrente : le tombeau vide, les témoignages et le « selon les Écritures ». De fait, ils sont au courant des deux premiers éléments, mais cela n’a pas de prise sur eux. :

« Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. »

Cet évangile met l’accent sur le troisième élément : « selon les Écritures ».

Le cheminement (pas seulement physique mais intérieur) est très caractéristique de cet évangile des disciples d’Emmaüs. Je vais m’arrêter sur trois étapes de ce cheminement : d’abord, en relisant l’Écriture, Jésus leur montre qu’il y a une cohérence, celle de la fidélité de l’amour de Dieu ; ce n’est pas une suite d’événements déconnectés les uns des autres. Ensuite il intègre la dimension de la souffrance que nous avons tellement de mal à accueillir. Enfin par l’acte très concret de la fraction du pain, Jésus reconnecte les disciples d’Emmaüs à Sa présence vivante.

Dieu est fidèle à Son amour pour Ses fidèles

Comment faut-il entendre le « selon les Écritures » ? Lors de la vigile pascale, nous entendons une série de lectures. Mais il faut bien avouer que la résurrection n’est pas annoncée forcément de manière très explicite. Le magnifique Psaume 15 qui est au cœur de la première lecture et que l’on retrouve comme psaume responsorial peut nous mettre sur la voie :

« Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite : je suis inébranlable. Mon cœur exulte, mon âme est en fête, ma chair elle-même repose en confiance : tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! »

Comme le dit saint Pierre le jour de la Pentecôte :

« Il n’était pas possible que la mort retienne Jésus en son pouvoir. »

Ce n’était pas possible ! La fidélité de Dieu à son amour ne pouvait permettre cela.

Ce psaume nous aide justement à voir la cohérence dans la manière d’agir de Dieu qui nous aime. Benoît XVI parlait d’un « logos ». Dans la résurrection est exprimée la fidélité de Dieu dans amour pour nous. C’est ce qui apparaît bien dans la prière eucharistique 4 qui décrit le dessein d’amour de Dieu. Dieu a de la suite dans les idées : il nous aime et veut nous sauver.

Cela apparaît entre autres dans la controverse avec les Sadducéens qui veulent démontrer l’absurdité de la résurrection en prenant l’exemple de la femme aux 7 maris. Dans sa réponse, Jésus a un argument un peu subtil :

« Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. » (Lc 20)

Quand Dieu se lie à des personnes, il leur communique sa vie.

Nous sommes invités à contempler cette fidélité de Dieu pour nous en nourrir. Cela n’a pas évité aux hommes dans la Bible et au peuple de Dieu de passer par des difficultés ou des épreuves. Mais ces épreuves n’auront pas le dernier mot.

Le dessein de Dieu intègre la souffrance

Les disciples d’Emmaüs sont bloqués par la souffrance et la mort de Jésus. Dans leur conception des choses, cela n’aurait pas dû arriver :

« Les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. »

La Passion et la mort de Jésus sont venus casser tous leurs espoirs. C’était déjà la réaction de Pierre juste après sa belle profession de foi, quand Jésus a commencé à leur annoncer sa passion et sa mort :

« À partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : ‘Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas.’ » (Mt 16)

Jésus répète la même chose aux disciples d’Emmaüs :

« Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »

Un des textes de l’Écriture absolument déterminant pour comprendre ce « il faut » de la souffrance est le 4e chant du serviteur d’Isaïe 53 que nous lisons le vendredi saint :

« En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous. »

La souffrance, de purement négative, devient rédemptrice. droite

La souffrance n’est pas une parenthèse désagréable que la résurrection fait oublier. C’est le cas par exemple dans l’histoire de Job. Après sa résurrection, Jésus apparaît avec la marque des clous. Avec le serviteur souffrant que présente le prophète Isaïe, Dieu se sert de cette souffrance pour nous sauver. La souffrance, de purement négative, devient rédemptrice. C’est pourquoi les apôtres, après la Pentecôte, se référeront souvent au quatrième chant du Serviteur dans Isaïe. Dans sa première lettre (dont nous avons un extrait dans la deuxième lecture), Saint Pierre fait une paraphrase du 4e chant du Serviteur (le cantique du dimanche pendant le carême). Cela apparaît aussi dans la lecture de ce jour :

« Vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères (…) c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ. » (1 P 1, 18-19)

C’est encore le texte que Philippe commente à l’eunuque de la reine Candace dans les Actes des Apôtres. Ce n’est pas pour rien que le titre de « Serviteur » est appliqué plusieurs fois à Jésus dans les chapitres 3 et 4 des Actes des Apôtres. C’est aussi pourquoi le cantique du Serviteur affleure à de multiples reprises dans l’évangile. Ce passage a beaucoup aidé les apôtres à relire les événements après la résurrection de Jésus.

Nous aussi, un peu comme les disciples d’Emmaüs, il y a des grâces que nous ne pouvons pas recevoir tant que nous sommes bloqués. Dans notre vie, nous sommes appelés à intégrer aussi les passages difficiles. La foi peut nous y aider :

« Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (Rm 8, 28)

Par la fraction du pain, Jésus reconnecte les disciples d’Emmaüs à Sa présence vivante

Il est très beau de voir que Jésus ne s’impose pas. Dans la discussion avec les disciples d’Emmaüs, il a levé les obstacles qui les empêchaient de voir la cohérence du dessein d’amour de Dieu. Il leur a montré que, mystérieusement :

« Il fallait que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire. »

Mais à un certain moment, c’est à eux de prendre l’initiative. Jésus ne s’impose jamais. C’est pourquoi « Jésus fit semblant d’aller plus loin ». Ils n’étaient pas obligés de le retenir.

Au départ, c’est un simple acte de charité car ils n’ont pas encore reconnu Jésus. Mais cet acte de charité prouve qu’ils ne sont plus enfermés en eux-mêmes et dans leurs pensées mortifères. Ils redeviennent acteurs et sortent de leur statut de victime.

Cette ouverture du cœur des disciples permet à Jésus de se révéler en rompant le pain. Ce geste aurait été insignifiant pour eux sans les étapes précédentes. Là ils sont prêts à l’accueillir.

Le sacrement de l’Eucharistie nous met en contact avec la personne de Jésus. droite

En quelque sorte, le logos se fait chair. Ils ne sont plus dans les discours mais rencontrent la personne. Ils s’ouvrent à la présence vivante de Jésus. Le sacrement de l’Eucharistie nous met en contact avec la personne de Jésus. C’est l’auteur même de la grâce qui se rend présent. Ils pourraient alors s’écrier un peu comme Jacob en se réveillant : « Dieu était là et je ne le savais pas ».

Comme cela est souvent relevé, cela correspond au mouvement même de la messe. Par la liturgie de la Parole, notre cœur et notre intelligence sont nourris. Cela réchauffe nos cœurs. Bien sûr le Seigneur est déjà présent dans sa Parole mais un pas ultérieur est fait avec la fraction du pain. Cela ne se passe pas dans notre tête et nos raisonnements. Cela nous oriente vers la communion avec la personne. Notre foi chrétienne n’est pas une simple sagesse ou une religion de la tête : c’est une religion du cœur qui met en contact avec la personne elle-même de Jésus.

À partir de ce moment, tout est changé pour les disciples. Ils traînaient les pieds en quittant Jérusalem. Alors que le jour est déjà tombé, « à l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem » et y retrouvent la communauté réunie.

Conclusion

Pour nous aussi, un peu comme pour les disciples d’Emmaüs, nous avons aussi des espoirs déçus : les choses ne se passent pas toujours comme « nous espérions ». Nous sommes confrontés à la souffrance et à l’épreuve. Comme le dit l’évangile, nos yeux sont quelquefois « empêchés de le reconnaître ».

Apprenons à nous nourrir davantage de la Parole de Dieu pour relire les événements à la lumière de l’Esprit Saint pour voir comment cela peut s’intégrer au dessein d’amour de Dieu, comment Dieu peut se servir de ces épreuves pour nous et pour les autres.

Demandons aussi la grâce de sortir de nous-mêmes par des actes de charité. C’est souvent là que Dieu se révèle dans le visage de ceux que nous servons.

Que Marie notre Mère et Reine nous accompagne sur notre chemin,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 2,14.22b-33.
  • Psaume 16(15),1-2a.5.7-8.9-10.11.
  • Première lettre de saint Pierre Apôtre 1,17-21.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 24,13-35 :

Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
Jésus leur dit :
— « De quoi discutez-vous en marchant ? »
Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit :
— « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. »
Il leur dit :
— « Quels événements ? »
Ils lui répondirent :
— « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié.
Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant.
Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
Il leur dit alors :
— « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.

Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. »
Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards.
Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »
À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. »
À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.