L’écologie, une priorité pour Benoit XVI

Quelle analyse de la crise environnementale ?

Les observateurs attentifs de Benoît XVI auront remarqué que le pape, en de nombreuses interventions, a fait de l’écologie une des priorités de son pontificat.
Mais quelle écologie ?
Quelle analyse fait-il de la crise de l’environnement ?
Que signifie la conversion écologique à laquelle il appelle ?
Le père Pierre-Marie Castaignos, sjm, nous introduit dans la réflexion originale du pape en analysant les enjeux philosophiques, théologiques et spirituels de la défense de la nature.


« Habemus papam ecologistum ! »

C’est ainsi que le cardinal protodiacre aurait pu annoncer l’élection de Benoît XVI.
Sans succomber à la mode écologique, à plusieurs reprises le pape rappelle avec insistance le message de l’Église sur la protection de la nature.

Il donne des pistes de réflexion à partir de la parole de Dieu sur un thème peu évoqué dans les prédications dominicales et qui pourtant implique une vraie vision de l’homme. Réduire l’écologie à la quantité de CO2 émise ou au traitement des déchets, c’est voir les conséquences et non les causes.

Quand le pape aborde cette question, en bon théologien, il le fait sous un angle spirituel, moral et théologique. Au-delà des credo, sa pensée et sa vision sur l’environnement commencent à percer et aident à une réflexion de fond qui fait cruellement défaut au débat écologique.

La nature : une victime de la pollution des Lumières ?

La question de l‘environnement est au fond une question philosophique plus que technique. En effet on ne peut parler d’écologie sans définir clairement ce que sont la nature, la personne humaine et son rapport à son environnement, la place de l’économie, les liens entre Nature et Culture, les rapports Nord-Sud, la paix dans le monde.
Des questions philosophiques de fond mais qui ont des conséquences très concrètes sur notre écosystème ! La cassure de l’homme avec son environnement a commencé avec l’ère moderne et un René Descartes qui voyait l’homme comme maître et possesseur de la nature alors qu’il est, dans le plan de Dieu, maître et protecteur de la nature.

La nature devient alors un simple matériau corvéable à merci au service du progrès et de la science. Rousseau et l’héritage des Lumières ont terminé de rompre « le lien fort entre l’homme et la Terre » (Benoît XVI).

Au fondement de nos sociétés modernes, la conception des Lumières est à l’œuvre. Elle oppose à la nature, l’homme comme un être d’anti-nature et de liberté. La liberté individuelle est un absolu et demande, comme dit Rousseau, que « l’homme s’arrache à la nature pour rentrer dans l’histoire ». La nature n’a pas d’histoire alors que la culture c’est l’historicité même.

Pour devenir libre, l’homme doit s’arracher à la nature et à ses lois. Pour les Lumières, l’homme n’est humain que s’il se détache de tous les codes, de la tradition et de l’ordre. L’idée même que l’homme doive respecter un ordre, occuper une place, devient une insupportable atteinte à sa liberté. L’idéal de l’humain est de devenir auto-nome c’est-à-dire être à soi-même sa propre loi.

« L’homme s’arrache à la nature pour rentrer dans l’histoire. » (Jean-Jacques Rousseau)

Vous avez là les prémisses de la crise de l’autorité qui a éclaté en mai 68 et dont nous ne sommes toujours pas sortis. Quoi d’étonnant qu’une telle philosophie aboutisse à des excès dans l’exploitation des ressources naturelles ! L’humanisme des Lumières, uni à une science triomphante, est dans une toute-puissance face à la nature.

Mais du manque de respect de la nature on arrive vite au manque de respect de l’homme. Alors que les Lumières sont inspirateurs de la Déclaration des Droits de l’Homme, des efforts pour l’abolition de l’esclavage, de la démocratie et d’une plus grande reconnaissance de la dignité humaine, les conséquences de leur pensée à deux siècles de distance semblent au contraire se retourner contre la personne humaine.

En effet, la mentalité contraceptive, l’avortement, les manipulations génétiques, le libéralisme économique effréné trouvent leur fondement philosophique dans la pensée des Lumières qui paraît séduisante tant elle flatte notre égo.
Mais les conséquences d’une telle pensée ne sont pas qu’écologiques, bioéthiques ou économiques : elles sont aussi spirituelles.

Alors que la plupart des hommes Lumières étaient croyants, leurs héritiers ont tôt fait de remplacer le mot nature par Dieu. Être humain c’est se libérer de Dieu et de ses lois qui menacent ma liberté. Les Lumières ont fait le lit d’un humanisme athée. À voir la nature comme une menace, on en arrive vite à voir Dieu comme une menace.
La question écologique est donc bien plus vaste qu’il n’y paraît.

« Et Dieu vit que cela était bon »

Alors que la pensée moderne jette un soupçon sur la nature et voit les liens de l’homme à son environnement dans une perspective dialectique, Benoît XVI rappelle que c’est dans une alliance que l’homme rencontre son environnement. Comme il l’a dit à Lorette devant les jeunes : « Avant qu’il ne soit trop tard, nous devons faire des choix courageux qui recréeront une alliance forte entre l’homme et la Terre ».

Dans la pensée judéo-chrétienne, il y a l’affirmation de la bonté de la Création venant de Dieu et remise entre les mains de l’homme. Par le péché originel, l’homme s’est librement opposé à Dieu engendrant ainsi un cataclysme cosmologique. Par la faute de l’homme, toute la création est assujettie à la caducité et attend elle aussi une rédemption. C’est ce que dit l’apôtre Paul aux Romains dans une phrase bien énigmatique :

« La Création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu… elle garde l’espérance car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. »

Certes l’homme est le sommet de la Création et a vocation, par don de Dieu, de soumettre et de dominer la nature.

« Le destin de l’homme et celui de la nature sont unis par un lien indissoluble. »

Toutefois, ajoute Jean-Paul II [1] :

« La seigneurie de l’homme n’est pas absolue mais c’est un ministère ; elle est le reflet véritable de la seigneurie unique et infinie de Dieu. »

Il continue avec cette très belle expression :

« L’homme est le berger de l’être, c’est-à-dire celui qui conduit tous les êtres à Dieu. »

Bien loin de l’opposition des Lumières qui voient dans la nature une entrave dont il faut s’affranchir, l’Église affirme que l’environnement est le compagnon de route de l’homme, plus encore il en est le responsable devant Dieu et devant ses frères car il peut devenir le chemin pour rencontrer Dieu. Dans le cœur de Dieu, le destin de l’homme et celui de la nature sont unis par un lien indissoluble C’est en revenant vers Dieu de tout son cœur que l’homme retrouvera une relation paisible avec son milieu. C’est ce que Jean-Paul II appelait « la conversion écologique » en disant :

« L’homme n’est plus le ministre du Créateur. En despote autonome, il est en train de comprendre qu’il doit s’arrêter devant le gouffre. »

L’écologie est donc d’abord un problème moral et spirituel qui implique le retour de la créature à son Créateur dans la confiance et l’abandon. C’est pour cela que Benoît XVI, dans son homélie à la cathédrale de Vienne dit avec vigueur :

« À une époque où, à cause de nos interventions humaines, la Création semble exposée à de multiples dangers, il faut retrouver le sens du dimanche qui commémore la création du monde par Dieu. »

La pensée de Benoît XVI est unifiée et unifiante. Son écologie va de la défense de l’enfant à naître jusqu’au soutien de la famille, en passant par la pratique dominicale, le soutien des initiatives de défense de la nature [2] et l’invitation à convertir le système économique mondial :

« Le scandale de la faim le réclame, mais aussi les urgences environnementales et énergétiques. »

Un reproche que l’on peut faire aux Verts : une incohérence dans leur pensée. Ils protègent les œufs des oiseaux en voie d’extinction mais sont souvent favorables à l’avortement. Ils luttent contre les nitrates et laissent le corps des femmes se polluer par les pilules abortives ou contraceptives. Ils réclament un moratoire sur les OGM et ne dénoncent pas les manipulations génétiques sur les embryons humains, l’usage abusif de la fécondation in vitro et le diagnostique préimplantatoire qui trie les êtres humains comme on trie des graines. Ils demandent le respect de la nature et de ses lois et certains sont favorables au mariage contre nature des homosexuels. Ils ne sont pas crédibles.
Ils s’arrêtent à l’aspect extérieur sans toucher le cœur et l’intérieur de l’esprit humain. Ils ne voient pas, ou ne veulent pas voir, que le problème est d’abord au niveau d’un manque d’éthique personnelle dont les conséquences sur l’environnement sont parfois irrémédiables.

Crise écologique ou crise morale ?

Lorsqu’il était préfet de la congrégation de la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger aimait à parler de pollution intérieure comme explication de la pollution extérieure. Comme le dit le prophète Jérémie :

« C’est le cœur de l’homme qui est compliqué et malade. »

Avec saint Paul nous constatons que « nous ne faisons pas le bien que nous voulons et que nous faisons le mal que nous ne voulons pas ».
Mais aujourd’hui la crise est plus profonde.

« À chacun sa vérité »…
Ce relativisme issu de la philosophie des Lumières installe l’homme dans une image narcissique qui peut le conduire à l’auto-destruction.
C’est ce que Benoît XVI appelle la dictature du relativisme dont la crise écologique n’est qu’un épiphénomène. Pour le pape, l’écologie invite à une conversion intérieure. Comme aux Pharisiens, Jésus peut nous adresser ce reproche :

« C’est l’extérieur du plat que vous purifiez mais votre intérieur est plein de rapacité et de méchanceté. Insensés ! Est-ce que celui qui a fait l’extérieur n’a pas aussi fait l’intérieur ? »

La pollution intérieure qui rejaillit sur l’environnement est faite d’amour de l’argent, d’appétit de jouissance et de bien-être et d’orgueil de l’esprit qui n’accueille pas avec humilité et confiance les limites de la nature comme une pédagogie pour devenir plus humain.
Comment réduire les gaz à effet de serre sans réformer le système économique qui voue un culte à l’argent au mépris de l’homme et de l’environnement ?
Comment demander une meilleure utilisation de l’eau sans prôner une maîtrise de soi ?
Comment réclamer le respect des fragiles équilibres naturels sans entrer dans une démarche d’humilité envers le prochain ?

Pour le pape, la sauvegarde de l’environnement passe par une transformation intérieure et une sortie du relativisme.
Tant que l’homme ne s’accueillera pas comme créature face au Créateur, notre milieu naturel sera en danger.
Tant qu’il ne redécouvrira pas à l’intérieur de lui-même cette loi objective qui lui fait faire le bien et éviter le mal, la nature court un vrai péril.

Vers une écologie de communion

La crise de l’environnement est une grande chance pour l’humanité ! Elle lui fait prendre conscience que l’individualisme issu des Lumières touche à sa fin et que la société de consommation laisse l’homme et la nature exsangues. Les défis pour la survie de la planète nous font toucher du doigt que l’humanité est une famille plus qu’une juxtaposition d’individus autonomes.

Le pape ne prône pas une austérité comme réponse à la pollution et un retour à la bougie et au cheval de trait pour rétablir l’harmonie avec la Terre. Il y aura certainement des habitudes de consommation à changer, mais la protection de la nature ne passe pas par une réduction de notre niveau de vie, auquel la planète entière aspire. C’est d’un autre côté qu’il faut se tourner pour trouver un début de solution.
Alors que Jean-Paul II plaçait le troisième millénaire sous la spiritualité de communion, Benoît XVI met son pontificat dans la lumière de l’amour de Dieu.
C’est dans cette perspective qu’il faut trouver des réponses. C’est en mettant l’accent sur une écologie de communion que la créativité et l’audace vont jaillir du cœur humain pour se réconcilier avec la nature [3]. Mais communion avec qui ? Avec quoi ?

Tout d’abord une communion entre les hommes avec une promotion de la paix dans le monde. Benoît XVI le soulignait dans son message pour la paix en début d’année : "Un lien indissoluble apparaît toujours plus clairement entre la paix avec la création et la paix entre les hommes. L’une et l’autre présupposent la paix avec Dieu."

N’importe quelle guerre au niveau régional ou local ne détruit pas seulement des vies humaines mais dégrade la terre, ravage les récoltes et la végétation, empoisonne les sols et les eaux. Alors que les armes chimiques ou bactériologiques sont interdites, en réalité la recherche continue dans les laboratoires pour fabriquer des armes capables de détruire de façon irréversible le fragile équilibre de la nature.

Si la guerre détruit l’environnement, la destruction de la nature peut, elle aussi, déclencher la guerre. C’est ce qu’a déclaré Benoît XVI lors de son voyage en Autriche :

« Cette année, l’attention porte surtout sur l’eau, un bien extrêmement précieux qui deviendra malheureusement un motif de dures tensions et de conflits terribles, s’il n’est pas partagé de manière équitable et pacifique. »

Mais aussi communion avec les scientifiques et ceux qui œuvrent pour la protection du milieu naturel. En novembre 2006, le pape Benoît XVI a apporté le soutien de l’Église catholique à la recherche sur des sources d’énergie respectueuses de l’environnement, lors d’une audience accordée aux membres de l’Académie Pontificale des Sciences. Il a souligné les "menaces" qui pèsent sur l’environnement et "le besoin urgent de découvrir des sources d’énergie alternatives accessibles à tous.

« Les scientifiques auront le soutien de l’Église dans leurs efforts pour y parvenir. »

À cette occasion le pape a souligné qu’aucun conflit de principe n’oppose le christianisme et la science. L’Académie Pontificale des Sciences compte 80 membres dont une trentaine de prix Nobel.

La communion dans les familles est aussi une des composantes de la défense de l’environnement. La famille a vocation à révéler et transmettre l’amour. C’est là que l’enfant apprend à aimer la nature. C’est là que peut se faire l’éducation à la responsabilité écologique.
La défense de la famille fondée sur le mariage indissoluble d’un homme et d’une femme fait partie de la contribution de l’Église pour défendre le fragile équilibre de notre écosystème naturel et familial.

Mais surtout la communion avec Dieu, parce qu’il se découvre créature aimée du Seigneur, l’homme peut garder vivant le sens de sa fraternité avec toutes choses créées belles et bonnes par Dieu. Plus encore, l’engagement du croyant en faveur de l’écologie découle directement de sa foi en un Dieu créateur et rédempteur de l’homme et de tout ce qui existe au ciel et sur la terre.
Pour nombre de nos contemporains, la beauté de la nature peut devenir un chemin spirituel afin de découvrir Celui qui est à l’origine de tout. Qui s’éloigne de Dieu s’éloigne aussi de la nature mais qui se rapproche de la nature avec un cœur d’enfant et dans l’émerveillement se rapproche aussi de Dieu parfois sans le savoir.

« Tu as aimé Seigneur cette terre. » (Psaume 84)

C’est la mission de l’Église et de chaque baptisé de rappeler que l’écologie est basée sur la communion. Sans la communion entre les hommes et des hommes avec Dieu, les plans les plus splendides pour sauver la planète sont un métal qui résonne et une cymbale retentissante. La crise écologique appelle à une nouvelle solidarité entre les peuples. C’est une grande chance pour notre temps : saisissons-la !