Homélie de la fête du Baptême du Seigneur

15 janvier 2013

L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel :
« Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

J’ai eu cette conscience plus aiguë de ce que pouvait représenter le Baptême lorsque j’étais aumônier de prison en Amérique Latine. A cette occasion, j’ai eu à baptiser des enfants de prisonniers. Les demandes de la part des prisonniers étaient nombreuses. Vous le savez, il y a un rite à l’intérieur de ce sacrement du Baptême, lorsque l’on revêt le vêtement blanc. La parole qui est prononcée par le ministre à ce moment-là est : « Avec l’aide de tes parents, parrain et marraine, que ce vêtement reste immaculé jusqu’en la Vie Éternelle ».

Quand vous regardiez le parrain, la marraine et les parents eux-mêmes très pauvres, dans tous les sens du terme – beaucoup de ceux qui étaient là venaient des quartiers très marginaux, à Parana, en Argentine – on touchait d’autant plus combien la liturgie était donnée pour nous rappeler la beauté et la grandeur de la personne humaine.

C’est toujours avec une très grande émotion que j’ai baptisé en prison, parce que j’ai précisément pris conscience que le Chrétien est invité à vivre dans une disproportion permanente. Et c’est le cas pour chaque sacrement : il n’y a pas de commune mesure entre ce que nous sommes et ce à quoi nous sommes appelés. Il n’y a pas de commune mesure entre ces personnes venant des bidonvilles – et dont un des membres de la famille était en prison : le frère, le père, la mère – cette fragilité humaine, cette foi balbutiante et la Grâce de Dieu qui se donne.

« Tu es mon fils bien-aimé. En Toi, j’ai mis toute ma complaisance. »

Ces baptêmes étaient à chaque fois l’occasion d’approfondir cette dimension de la vie chrétienne qui est valable aussi pour nous mêmes, même si nous avons moins cette conscience de pauvreté de par notre éducation et de notre formation intellectuelle. Certes, on se sent un peu mieux que celles et ceux qui sont dans les bidonvilles…

Vivre selon une dimension qui nous dépasse

Il n’en demeure pas moins qu’il y a cette grâce particulière qui est donnée. Et que chacun est appelé – et c’est le cas aussi dans l’Eucharistie, dans les sacrements du mariage, de l’ordre – à vivre quelque chose de plus grand que ce qu’il est humainement capable de vivre. Oui, la disproportion comme le lieu du miracle.

Demandons alors au Seigneur qu’en ce jour où nous célébrons le Baptême de Jésus, nous ne puissions pas nous décourager. Soit l’on vit de manière chrétienne, et donc dans la confiance – malgré nos fragilités, nos pauvretés, on sait que la Grâce de Dieu agit. Nous croyons à ce que l’on appelle le primat de la Grâce. C’est d’abord gratuit : nous sommes sauvés gratuitement, non pas à la force du poignet.

Soit on vit comme cela, soit l’on désespère de soi-même, essayant avec nos propres forces d’être dignes d’accueillir cette Grâce de Dieu, et l’on voit bien que l’on échoue ! Car c’est bien difficile d’arriver à la hauteur des ambitions que le Seigneur veut pour nous, si ce n’est quand Lui-même agit pour nous, et répand sur nous son Esprit-Saint.

Aujourd’hui, à travers ce baptême, je crois qu’il est important de nous rappeler ce mode de fonctionnement de notre vie chrétienne habituelle. Nous sommes invités à un décentrement permanent, une déstabilisation permanente. Parce que nous n’avons pas prise sur la Grâce de Dieu, parce que l’Esprit-Saint prend toujours l’initiative. Pas facile de fonctionner comme cela. On aimerait tellement une vie où tout soit bien cadré, où il y aurait une proportion entre ce que nous faisons, les actes que nous posons, et la Vie Éternelle, la Grâce de Dieu, que tout soit « bien dans des cases »… mais non ! avec le Baptême comme avec chaque sacrement, le Seigneur nous appelle à une très grande confiance et à un très grand abandon.

Alors, à travers Sa Parole, le Seigneur nous redonne aujourd’hui l’importance de l’abandon, nous redonne cette capacité :

« Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui j’ai mis toute ma joie. »

Ce Dieu immense qui habite notre petitesse

C’est le livre d’Isaïe. Bien sur, c’est déjà la prophétie qui peut s’appliquer à Jésus, mais aussi à chacun d’entre nous. A travers le Baptême, nous avons cette certitude intérieure, dans la Foi, que nous sommes habités. On appelle cela en théologie l’inhabitation de la Présence de Dieu, de la Trinité en nous. Nous portons en nous-mêmes plus grand que nous-mêmes.

C’est pour cela qu’il est important de faire baptiser les petits enfants. Parce que nous avons précisément la certitude que la Grâce de Dieu commence à agir en eux, dans leur cœur, alors qu’ils ne sont nourrissons, petits enfants. Ils ne savent même pas parler, mais cette grâce de Dieu, c’est le plus beau cadeau que l’on puisse leur faire.

On voit parfois des parents, mal éclairés certainement, qui disent : « Laissons-le choisir plus tard ; ne le forçons pas dans une éducation chrétienne. Pourquoi ne serait-il pas bouddhiste, sans religion ? »… pourquoi pas ? Comme ce couple de Belges qui dirait : « Nous n’allons pas lui enseigner une langue, il choisira plus tard s’il veut parler Flamand ou Wallon » !! on voit bien la difficulté de la chose : l’objet de l’éducation est justement d’entrer dans un chemin. L’éducation, c’est faire rentrer dans une finalité. Parce qu’ils prennent conscience que la vie spirituelle est un grand don, les parents veulent donner cette grâce à leur enfant dès son plus jeune âge.

Voyez comme c’est important, frères et sœurs, que nous soyons soutenus et convaincus de ce soutien : « Voici mon serviteur que je soutiens ». Oui, grâce au Baptême, nous pouvons avoir accès à ce soutien en permanence.

« Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du Monde. »

Agrandir nos capacités avec l’aide du Seigneur

C’est par ce Baptême, par cette présence que chacun va pouvoir puiser au fond de lui-même, parce que Dieu est plus intime à nous que nous ne le sommes nous-mêmes. Chacun va pouvoir puiser le courage, l’Espérance, la capacité de marcher, la capacité de continuer, alors que les vents sont contraires, et que les circonstances sont difficiles.

C’est le Baptême qui nous donne cette capacité d’aimer plus forte que notre simple psychologie ne le permet. C’est différent d’une simple générosité, c’est une charité à la manière du Christ qui nous est donnée. A nous ensuite de l’exercer. Parce que, si la Grâce est gratuite – comme son nom l’indique – à nous d’en prendre possession et de la cultiver. Cette semence qui tombe en terre vient de Dieu, mais à nous aussi de lui faire porter du fruit.

Frères et sœurs bien-aimés, comme nous terminons ce temps de Noël où nous avons vu un Dieu qui s’est fait proche, un Dieu qui a pris notre propre humanité, un Dieu qui est proche de ceux qui n’ont pas de soutien en dehors de Lui, parce qu’il veut être le soutien de chacun, demandons au Seigneur cette grâce aujourd’hui et toujours.

Demandons à la Vierge Marie, cette grande figure du temps de Noël, cette grande figure chrétienne, Elle qui a été comme baptisée au moment de cette conception de l’Enfant-Dieu en son sein, de recevoir comme Elle cette présence et de pouvoir en vivre. Le Chrétien, c’est celui qui a un certain regard sur les choses et les personnes. Pas un regard simplement psychologique et naturel, mais un regard surnaturel, parce qu’il est habité par quelqu’un, par une présence. Demandons-Lui qu’Elle nous aide dans ce chemin,

Amen !


Références des lectures :

  • Livre d’Isaïe 40,1-5.9-11.
  • Psaume 104(103),1c-3a.3bc-4.24-25.27-28.29-30.
  • Lettre de saint Paul Apôtre à Tite 2,11-14.3,4-7.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 3,15-16.21-22 :

Or le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean s’adressa alors à tous :
« Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »

Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit.
L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel :
« Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »