Perfectionnisme et comparaison : les deux pièges de l’amour

30 juin 2016

« La parabole du fils prodigue souligne deux écueils pour la vie conjugale : voir les défauts de l’autre et se laisser guider par le perfectionnisme, qui s’oppose à l’amour. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie de mariage :

Chers frères et sœurs,

Quand nous avons préparé cette célébration avec Quentin et Ève, qui ont mis beaucoup de temps et beaucoup d’énergie et d’amour dans cette préparation au mariage en général - et de façon particulière dans cette cérémonie - je leur ai donné un critère pour choisir les lectures.
Ce critère, c’est que la lecture que vous choisissez, de la Parole de Dieu évidemment, soit une lumière pour votre chemin, soit un guide, parce qu’on le sait, la Parole de Dieu est une Parole vivante. Ce n’est pas simplement une parole de sagesse, de sagesse humaine, fut-elle très belle cette parole, ou un beau poème, c’est la Parole de Dieu.

Dieu se donne dans sa Parole qu’est le Christ, Dieu se donne dans sa Parole aussi qu’Il nous a donné dans les Évangiles et ensuite préparée par les prophètes, accomplie par son Église.
Oui, c’est bien dans cette perspective que Quentin et Ève on choisi, de façon assez étonnante - vous le reconnaîtrez avec moi - la parabole dite "du fils prodigue" pour leur Évangile de messe de mariage.

En général, les fiancés choisissent des textes comme :

  • « La maison fondée sur le roc »,
  • « Les Noces de Cana »,
  • « Aimez-vous les uns les autres »,
  • « Soyez la lumière du monde »…
    plusieurs Évangiles possibles, magnifique !

Mais avec un Évangile comme cela, on se dit : "Quel rapport avec la vie matrimoniale ?" Et pourtant cela l’éclaire de façon suréminente…

Parce qu’au fond, à travers le fils prodigue et le fils aîné, il y a comme les deux grands dangers de la vie matrimoniale, de la vie en communauté, comme moi en tant que religieux je vis avec des frères, je me sens tout à fait rejoint par cette Évangile dans ma vie communautaire.

Le premier danger : le fils prodigue.

L’herbe est plus verte ailleurs…
Et donc, on ne fait pas mémoire du don qu’est l’autre. On n’est plus dans cette admiration, dans cette reconnaissance, dans cette gratitude que l’autre, le conjoint avec lequel je me suis engagé, est une grâce pour ma vie, est une miséricorde pour ma vie.
On n’est plus là-dedans, on est au contraire à voir vite les défauts.

Je me rappelle, comme jeune novice, quand je suis rentré dans la communauté, pour moi tous les frères étaient des saints ! Au bout d’un mois et demi cela avait beaucoup changé. C’était des saints… en devenir !

C’est là que le Seigneur nous attend. C’est là que dans la vie matrimoniale, il en est de même : la rencontre, l’éblouissement, l’émerveillement, fait place ensuite dans la vie commune aux défauts, de ranger, de ronfler, et tous ces défauts du quotidien…
Alors, comment garder cet émerveillement ?

Le fils prodigue a dit : « Le bonheur est ailleurs, loin de Dieu - puisque là aussi le père prend la figure de Dieu - loin de Dieu j’aurai le bonheur ».
Et puis ensuite on se perd, et on essaye différentes choses, et puis finalement ça ne marche pas, et puis finalement notre cœur revient avec confiance vers Dieu, parce que c’est Lui qui nous donne le bonheur, parce que c’est vraiment Lui qui nous donne la paix intérieure.

Faire mémoire du don de l’autre

Alors ce premier danger, pour lutter contre, je pense que c’est important dans la vie matrimoniale, comme dans tout appel, de faire un mémoire.
Faire mémoire de l’appel que vous avez reçu, avec la certitude intérieure, que vous avez expérimentée, Quentin et Ève, et chacun d’entre nous qui avons pris cet engagement dans la vie matrimoniale, ou un engagement pour moi dans la vie consacrée, faire mémoire de la beauté de l’appel.
Parce qu’au fond, vous avez répondu à un appel en vous engageant.

En faire mémoire, c’est en reprendre conscience. On se remet devant les yeux la beauté de la grâce que l’on a reçue, que l’autre est une miséricorde pour notre vie, au-delà de ses défauts. On est fait de creux et de bosses, c’est la nature humaine qui est fragile, mais ce n’est pas cela d’abord que je veux voir.

Je ne vais pas me laisser entraîner par cela, parce que sinon je serai dans la critique, dans la comparaison, dans le doute. Non, je veux demander au Seigneur, et c’est pour cela que vous êtes ici aujourd’hui Quentin et Eve devant l’autel du Seigneur, vous voulez demander au Seigneur la grâce d’un émerveillement renouvelé.

Un émerveillement renouvelé

Oui, il y a eu le premier émerveillement, le premier amour, l’éblouissement de la rencontre, mais cet émerveillement peut aussi durer de façon différente, l’amour se transforme. Ceux d’entre vous qui ont plusieurs années de vie matrimoniale, vous pouvez aussi témoigner de cet amour qui se transforme, mais peut-être aujourd’hui redemander la grâce :

  • " Qu’est-ce qui m’a touché dans l’autre ? ",
  • " Pourquoi je me suis engagé avec cette personne ?",
  • " Qu’est-ce qui m’a touché dans sa manière d’être, dans sa personne ? "

C’est le premier écueil de la vie matrimoniale, le fils prodigue, celui qui part, qui pense qu’ailleurs c’est mieux, loin de son père.
On peut faire le parallèle avec "Quitte ton père et ta mère", mais ici cela n’est pas du tout pareil, le père ici pour lui est une menace.

"Quitte ton père et ta mère", c’est autre chose, lorsque tu sais que tu as reçu un don, un don qui t’a précédé.
Et vous Quentin et Eve, vous me l’avez dit bien des fois, dans votre famille, dans vos grands-parents, vous avez reçu un don, ce don-là vous permet de les quitter, mais non pas de les quitter fâchés, de les quitter parce que vous avez reçu beaucoup, et parce que vous avez reçu beaucoup, à votre retour vous voulez donner beaucoup. C’est cela quitter, pour s’attacher l’un à l’autre.

Le deuxième écueil, c’est le fils aîné.

Se laisser aider, se laisser aimer par l’autre

Le fils aîné là, c’est le premier de la classe. C’est bien simple il a tout fait bien, dès la maternelle, il se mettait la pression (ce n’est pas dans la Bible, c’est une libre interprétation).
Le fils aîné, c’est celui au fond qui n’a "jamais désobéi à aucun commandement, à aucun ordres", ce qui n’est pas rien. Vous savez que le juif pieux doit pratiquer les 613 commandements de la Torah tous les jours. Et le problème du fils aîné, c’est qu’il n’est pas vraiment fils. Il n’a jamais rien demandé, le père lui dit :

« Tout ce qui est à moi est à toi. »

Il suffisait de demander, il suffisait de te laisser aider.
Et se laisser aider, c’est se laisser aimer, évidemment, c’est accueillir qu’on a besoin de l’autre.
Il était tout à fait autonome, « autonomos » en grec, c’est celui qui a lui-même ses propres lois.
Il n’était pas fils, et parce qu’il n’était pas fils, il n’était pas frère non plus : "Ton fils que voilà", le "tu" qui tue ! "Tu as fait ceci, tu as fait cela", c’est en nous…

Accueillir la vulnérabilité de l’autre

On voit que le combat du fils aîné, c’est d’accueillir aussi une certaine vulnérabilité, d’accueillir peut-être la fragilité de son fils cadet - le fils qui a envoyé tout balader, qui a mené une vie de désordre - et de se laisser toucher par cette vulnérabilité.

C’est vrai qu’au fond, derrière le fils aîné il y a une forme de perfectionnisme de faire tout bien. Il ne comprend pas la faiblesse. Il ne comprend même pas son père : pour lui c’est de la faiblesse que tuer le veau gras, « il a pris ton héritage », c’est le considérer comme mort.
Le fils aîné a tout un chemin à faire, de conversion intérieure, pour accueillir aussi la vulnérabilité et de ne pas voir la vulnérabilité comme une menace.

Dans la vie matrimoniale, il en va de même.
Ne pas voir la vulnérabilité de l’autre, parce que dans le couple évidemment, ainsi que nous-même, nous passons par des hauts et des bas. Il peut y avoir des aléas dans nos vies, aléas de santé, aléas professionnels, aléas parfois de deuils de personnes qui me sont proches, etc … tout cela on ne le maîtrise pas. Derrière cela le fils aîné voulait tout maîtriser.

Le pape Jean-Paul II l’affirme :

Parce que cela ne laisse pas l’autre être fragile - ni soi-même, d’ailleurs.

Et si nous étions les deux fils en même temps ?

Il peut peut-être y avoir une autre lecture de cette magnifique parabole : et s’il s’agissait de la même personne ? Et le fils aîné, et le fils prodigue ?

Si en nous, il y avait en même temps celui qui était fort, celui qui fait tout bien, et en même temps celui qui veut partir parce qu’il ne veut pas dépendre, d’une certaine manière, il ne veut pas rendre des comptes. Il voit Dieu comme une menace il, il voit le conjoint comme une menace.

Se redécouvrir fils

Les deux peut-être habitent en nous et se font la guerre en nous-même. La solution, autant pour le cadet que pour l’aîné, c’est vraiment de se redécouvrir fils. C’est-à-dire de voir dans l’amour du père - et dans l’amour du Père céleste - de voir dans cet amour quelque chose qui va aider dans l’accomplissement de leur vie, de la fécondité de leur vie.
Cela ne va pas s’opposer. le Seigneur ne nous enlève rien lorsqu’on se donne à lui, au contraire il se donne lui-même, parce qu’il ne sait que se donner lui-même. Il ne nous enlève rien. Mais aussi faut-il l’expérimenter, faut-il en demander la grâce.

Et vous venez aujourd’hui auprès de l’autel du Seigneur, Ève et Quentin, pour cela, pour demander cette grâce d’avoir un amour fort.
Vous l’avez dit dans le choix de la première lecture, « supportez-vous ». Cela a deux sens. Encouragez-vous, c’est pour cela que vous êtes à deux, pour vous encourager, pour voir l’autre comme un don, pour voir l’amour de Dieu comme une grâce.
Encouragez-vous pour accueillir certaines heures des moments difficiles de la vie de couple.

Vous voulez confier au Seigneur cet amour et faire mémoire tout au long de vos vies. C’est extraordinaire.

La confiance

C’est le primat de la confiance.
Parce que vous faites confiance, Quentin et Ève, et vous tous qui vous êtes un jour donnés devant l’autel du Seigneur dans le sacrement du mariage, vous faites le primat de la confiance. On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, mais vous savez avec qui vous le vivrez. Ce n’est pas rien !
Et comme notre monde a besoin de voir des témoins de la confiance en Dieu ! Un besoin urgent ! Nos sociétés sont bousculées, bouleversées, malades, violentes. On voit bien les durcissements, les raidissements identitaires sont aussi au rendez-vous. Nous chrétiens, disciples de Jésus, nous apprenons à faire confiance.
Non pas parce qu’on est meilleurs que les autres, mais parce qu’on est conscient qu’on a reçu un don, une grâce, le baptême, la vie chrétienne.

Alors, puissions-nous, chers amis, renouveler en ce jour notre adhésion au Seigneur, de tout cœur.
Je ne sais pas où vous en êtes au niveau spirituel les uns et les autres. Je pense que la plupart vous êtes baptisés, mais certains sont en cheminement.
Peut-être certains ont délaissé la vie de foi, mais la question spirituelle, qu’elle reste ouverte dans le cœur de chacun pour pouvoir renouveler la confiance en celui, en celle qui vit à vos côtés.

C’est cette grâce que nous demandons pour vous, chère Ève, cher Quentin, pour que vous puissiez être aussi des témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à son admirable lumière.

Amen !