Homélie de la fête de la Sainte Famille

3 janvier 2013

« Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »
Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Bien chers frères et sœurs,

La crèche en papier rocher, les bergers des santons de Provence et leurs petits moutons, le bœuf et l’âne gris soufflant sur le petit Jésus pour le réchauffer… Tout cela risque bien de nous laisser une image doucereuse de la Sainte Famille et de nous faire considérer le mystère de l’Incarnation comme un beau conte de fées pour enfants ! Mais, si nous méditons en profondeur les récits de l’enfance du Christ, on comprendra que cette famille attendrissante était une famille bien réelle dont l’existence commençait sur les chemins de l’Exil pour échapper à un horrible massacre de nouveau-nés…

Vous, qui peut-être, vous battez contre des conditions de vie difficiles - problèmes de santé, budget, recherche d’orientations, dialogues difficiles, conflits de génération… - regardons la famille de Joseph et de Marie ! Comme toutes les familles, un jour où l’autre, elle aussi a connu les déchirements, les angoisses et les tourbillons de l’histoire. Alors aujourd’hui, Saint Luc nous rapporte un événement tout à fait particulier de cette famille, modèle de toutes les autres.

Une Recherche éprouvante

Comme elle le faisait chaque année selon les prescriptions de la loi divine, la Sainte Famille se rendait en pèlerinage à Jérusalem pour y fêter la Pâque. Jésus, alors âgé de douze ans, entre dans le monde des adultes et devient, selon la tradition hébraïque « Bar mitzvah », c’est à dire « Fils de la Loi ». Ce jour-là, comme tous les jeunes de son âge, Jésus est invité à l’ambon de la synagogue pour lire la Torah. La fête achevée, on repart en foule, comme on le voit encore lors de grands pèlerinages. Mais voilà qu’au milieu de cette foule, Marie et Joseph ne retrouvent plus leur fils. Inquiets, ils font une journée de chemin, cherchent parmi leurs parents et connaissances, puis reviennent à Jérusalem.
Il leur faudra trois jours de recherche pour finalement retrouver Jésus dans le Temple, sagement assis au milieu des docteurs de la Loi, discutant avec ses vénérables aînés. Imaginons, frères et sœurs, l’angoisse au bout de trois jours que vécurent alors Marie et Joseph.

Le moment des retrouvailles

Et que furent les retrouvailles ? Un dialogue, non. Plutôt un échange de questions entre Jésus et sa mère. Exprimant son trouble, son bouleversement même et celui de Joseph, Marie interroge : « Pourquoi ?… Pourquoi nous as-tu fait cela ? Pourquoi nous as-tu fait souffrir ainsi ? ». Une interrogation qui nous dit la profonde souffrance de ces parents guère habitués à une telle escapade de leur enfant…

Cependant, frères et sœurs, Marie ne savait-elle pas qui était Jésus ? Aurait-elle oublié dans l’émotion, les paroles de l’Ange à l’Annonciation ? Pouvait-elle oublier la mystérieuse naissance de son fils, douze ans plus tôt, et les paroles de Siméon au jour de la Présentation ! Non, bien sûr que non, et c’est justement ce qui nous laisse deviner, combien grand fut le trouble de Marie !

Quant à la réponse de Jésus, celle-ci ne se fait point attendre. Deux questions, seulement :

  • « Pourquoi me cherchiez-vous ? »
  • « Ne saviez-vous pas que je dois être aux choses de mon Père » ?

Que signifie donc cette réponse ? Bien sûr que ce n’est pas une déclaration d’hostilité envers ses parents, ni une revendication sur leur autorité, mais c’est bien la première révélation de la suprême conscience que Jésus a de son identité profonde et de sa vocation, de son origine et de sa mission divine, de sa vraie parenté, celle de son éternel face à face avec le Père dans l’Esprit. Ainsi, en peu de temps et peu de mots, Marie et Joseph se trouvaient face au mystère Trinitaire.

Sans aucun doutes, pour Marie, c’est le « glaive » annoncé par Siméon, glaive du détachement nécessaire qui se poursuivra à Cana et jusqu’au Calvaire. C’est que, toute Immaculée qu’elle soit, Marie n’a cependant « jamais vu Dieu » ; même l’apparition de l’Ange Gabriel ne l’a exemptée d’actes de foi. Et si, son « Oui » du premier jour doit se compléter d’un autre « Oui », ce sera encore tout au long de cette route, dans la nuit de la foi, sans comprendre.
Pour l’heure, on sait seulement qu’elle gardait tous ces événements dans son cœur, et on devine qu’il suffisait d’un regard vers elle pour que Joseph, son époux, fît de même.

Quant à Jésus, Saint Luc nous dit : "Il grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes ", la Sainte Famille n’en était que plus unie en ses membres et chacun, à sa place, croissait dans l’accomplissement de la volonté du Père pour le Salut du monde.

La Sainte Famille : modèle pour nos familles, de la famille

Oui, frères et sœurs, voilà bien l’exemple que nous donne la Sainte Famille, non pas celui d’un foyer sans épreuves, mais celui d’une communauté qui veut servir Dieu avant toute chose. Et cette famille nous est d’abord un modèle en ce que chacun de ses membres a servi Dieu dans le dépassant de lui-même : le fils par sa volonté de soumission et les parents par leur vie de foi et leur patience accueillante aux événements.

Aucun privilège n’a été revendiqué, ni celui pour Joseph d’être le père adoptif de l’enfant, ni celui pour Marie d’avoir donné la nature humaine à celui qui est devenu son fils dans la chair, ni Jésus d’être l’égal de Dieu.
Personne n’a cherché à dominer sur l’autre, personne n’a voulu exercer un droit de propriété ou de supériorité sur l’autre, personne n’a voulu faire triompher contre l’autre le bien-fondé de ce qui lui semblait être la vérité.
Chacun a voulu d’abord aimer, en se mettant au service de l’autre jusqu’au dépouillement de lui-même.

Et ceci, frères et sœurs, est concrètement lourd de conséquences et proprement révolutionnaire, plus peut-être encore en nos temps actuels où la famille est si attaquée, menacée, détruite même dans son fondement et de l’intérieur.

Alors, si devant un problème ou une contradiction, notre premier mouvement n’est pas d’abord de nous remettre en question et de ne répondre qu’après nous être laissés purifier par l’intervention de l’autre, nous sommes très certainement infidèles à la révélation que nous venons d’entendre, et à l’invitation à être unis dans l’amour et dans le don.
Le jour où chacun nous accepterons de dépouiller nos personnages, d’être réellement au service des autres dans l’accomplissement généreux de nos responsabilités, nous aurons commencé à vivre l’Évangile et à rendre vivables nos communautés humaines, et à manifester au monde la réalité de ce que doit être une famille.

En conclusion, quant l’Évangile n’est plus la plate-forme commune à laquelle tous se réfèrent et vers laquelle tous finissent par revenir, que reste-t-il pour garder ou restaurer l’unité entre des êtres que la vie écartèle inévitablement ?
À l’heure où une famille sur trois se déchire et divorce, à l’heure où l’on présente un nouveau modèle - étrange, on peut le dire - de famille, à l’heure où de graves menaces détruisent notre société à partir même de la famille, il convient de faire quelque chose.

Et la première chose à faire, ne serait-ce pas déjà, de mettre toutes nos énergies vers un amour plus vrai et plus authentique. Aussi convient-il d’agir dans le quotidien, en tout lieu et toute circonstance, en donnant la priorité aux commandements de Dieu qui sont les commandement de l’amour se résumant en quelques mots que Saint Paul et Saint Jean nous rappellent dans leurs lettres : tendresse, bonté, humilité, douceur, patience…

C’est que la Bonne Nouvelle n’est pas cette révolution des structures que nous promettent les politiques, mais fondamentalement une transformation des mentalités et une purification des relations humaines. Cela signifie, quoiqu’on en dise, que notre société ne pourra être sauvée sans conversion : conversion personnelle de chacun, conversion de nos propres familles chrétiennes d’abord, impliquant la nécessaire conversion de chacun de ses membres, à l’exemple de Marie et de Joseph. Et cela ne pourra se faire sans que la prière soit au cœur de nos familles, et donc au cœur de nos vies d’hommes et de femmes, jeunes et moins jeunes.

À quoi sert-il, enfin, de courir après toutes les fausses solutions aux conséquences irrémédiables, alors que l’Évangile est venu nous aider à découvrir et à prendre les bonnes solutions et résolutions.

Lors, puisque nous sommes ici, c’est que nous sommes baptisés. Et pourquoi ne pas nous décider alors à nous mettre à l’école de la Sainte Famille.
Frères et sœurs, que l’amour manifesté par l’abandon de Marie et de Joseph pour mieux servir le dessein du Père, que l’amour manifesté par l’abandon que Christ fait de lui-même en cette Eucharistie, nous nourrisse et nous rende capables de plus de foi, mais aussi d’espérance dans ce monde, et de charité pour le renouvellement de nos familles, de la famille, de nos communautés, et donc de la société toute entière,

Amen !


Référence des lectures du jour :

  • Premier livre de Samuel 1,20-22.24-28.
  • Psaume 84(83),2-3.5-6.9-10.
  • Première lettre de saint Jean 3,1-2.21-24.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 2,41-52 :

Chaque année, les parents de Jésus se rendaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
Quand il eut douze ans, ils montèrent en pèlerinage suivant la coutume.
À la fin de la fête, comme ils s’en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents.
Pensant qu’il était dans le convoi des pèlerins, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.
Ne le trouvant pas, ils retournèrent à Jérusalem, en continuant à le chercher.

C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions, et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses.
En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement, et sa mère lui dit :
— « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »
Il leur dit :
— « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.

Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements.
Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.