Quitter le nid pour se découvrir

Conférence donnée aux jeunes pros (18-35 ans)

« Va, quitte ton pays, ta parenté et va vers la terre que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai.. »
Les mots du Judaïsme rapportent l’appel d’Abraham avec ces mots très forts qui peuvent aussi être traduits par : « Laisse derrière-toi la maison de ton père.. »

Pour rentrer dans une promesse, il y a un moment où il faut quitter une forme de relation que l’on a eu avec ses parents. Pour pouvoir dire « je », il faut laisser ce qui est connu pour aller vers l’inconnu.

Père Pierre-Marie

Résumé de l’enseignement

L’Évangile l’affirme aussi clairement, il y a un moment où il faut quitter son père et sa mère, c’est un pas décisif vers l’autonomie. Cependant, un des premiers commandements est aussi d’honorer ses parents. Il ne s’agit donc pas de renier ses origines, mais de les envisager sous un autre angle.

L’expression « couper le cordon » ne me semble pour autant pas si juste : il vaut mieux à mon sens un cordon de plusieurs kilomètres qui permette d’aller et de venir. On est jamais ex-fils ou ex-fille de ses parents, il y a toujours un lien. Et si vous êtes dans une forme de colère envers vos parents, ou que vos relations sont complexes, c’est une autre forme de dépendance à prendre en considération. Vous ne pouvez pas vous considérer comme adulte quand vous êtes encore dans cette tension ou dans des conflits avec vos parents.

Votre lien avec vos parents doit vous permettre d’aller et venir librement. centre

Ainsi, il n’y a pas de possessivité de la part de vos parents, ou de vous-même envers eux, pas plus que de rivalité entre frères et sœurs pour qui aura le lien le plus étroit… Il est important de prendre conscience de cela.

« Va vers toi-même »

De même, si tu restes dans la maison de ton père – en sécurité – tu ne pourras pas porter du fruit et devenir pleinement adulte, capable de porter les autres. C’est pour cela que le Seigneur invite Abraham à quitter son père : c’est pour devenir adulte. L’objectif est de devenir l’alter-ego de ses parents. Autour de la trentaine, c’est ce qui doit se passer.

Dans certaines circonstance, on a plutôt à porter ses parents, avec des décisions à prendre, des accès aux comptes bancaires et des clefs de maison en votre possession. Être adulte est ce qui permet d’avoir une vie féconde.
Dire « Je », c’est aussi dire "non".

Je pense en particulier à tous les rituels familiaux, avec en tête Noël et Pâques, mais aussi la semaine annuelle de vacances. J’ai remarqué que le rythme des célibataires est rarement pris en compte, passant avant celui des couples mariés avec enfants. En dehors du côté pratique, la conséquence est une forme d’infantilisation. Il est pourtant nécessaire que les célibataires puissent se positionner entre ce qui leur convient et ce qui ne leur convient pas.

Cela suppose de revisiter sa propre culpabilité, car, si dire « je » c’est dire « non », dire « non » c’est accepter l’éventuelle incompréhension de l’entourage.

S’il vous arrive de faire un choix qui ne convient pas à vos parents – que vous n’êtes pas disponibles pour un rendez-vous qu’ils ont sollicité - il est bon de leur envoyer d’autres signaux positifs à vos parents qui signifient :

Quitter son père et sa mère est différent de perdre la relation avec eux, cela ne signifie pas perdre l’affection avec ses parents, c’est devenir adulte dans cette affection.

Ainsi, vous êtes invités à quitter une forme de sécurité – pour certains d’entre-vous, c’est déjà fait, car rares sont ceux qui habitent chez leurs parents à votre âge.

Devenir l’égal de ses parents

Devenir l’égal de ses parents fait partie de la croissance humaine. C’est ainsi qu’en parle la Genèse :

« Voici la chair de ma chair ! »
« A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’une seule chair. »

Notons qu’en Hébreux, le mot abandon est très fort : cela signifie vraiment « laisser derrière », littéralement « lâchez vos parents ». Même si vous êtes issus de l’union de la chair de vos parents, vous êtes amenés à laisser cela, laisser cette relation pour ouvrir à une autre forme de relation qui elle-même sera féconde - votre future relation de couple - pour aller vers votre vie matrimoniale.

Pour illustrer ce propos, voici l’exemple d’un jeune couple dont l’un des deux ne pouvait imaginer donner un prénom à l’enfant à venir, s’il n’était validé par la grand-mère… Le conjoint choisirait ainsi parmi la liste pré-établie ? N’est-ce pas un cas d’infantilisation ? Peut-on évoluer dans la vie adulte en attendant l’approbation de ses parents ? Une chose est de demander un conseil, une autre est de vivre comme par procuration…

Il est ainsi nécessaire d’être prêt à prendre ses propres décisions, notamment en ce qui concerne la vie de couple. Cela suppose que l’on entre dans un processus de différenciation : vous n’êtes pas vos parents et vos parents ne sont pas vous. Si vous êtes en couple, vous allez former une nouvelle famille, ce n’est pas une prolongation du passé. Il faut accepter de quitter cette fausse sécurité et ce côté infantile.

Quelles peurs nous empêcher de quitter le nid ?

Sans doutes, il y aurait d’abord la peur d’affirmer que l’on n’a pas plus besoin de l’assistance de ses parents. Certes, il y avait un côté confiant et sécurisant, mais ce n’est plus une nécessité pour nous, mes parents n’ont plus besoin d’intervenir dans mes choix de vie comme c’était le cas pendant mon jeune âge, mon adolescence et mes premiers pas dans la vie.

Il y a aussi la peur de perdre de l’image que l’on avait de la famille, avec la découverte d’une tendance possessive des parents.

La peur de décevoir ses parents, de leur faire de la peine avec les choix que nous posons.

Il y a un peu de chemin à parcourir en ne les informant pas systématiquement du quotidien, d’avoir son jardin secret. Il y a une vigilance particulière à avoir avec les groupes familiaux sur les réseaux sociaux : les couples avec enfants ont peut-être plus de choses à raconter que les célibataires, et cela peut-être difficile à assumer. Il faut prendre de la distance avec des relations qui empêchent d’être libres, sans pour autant couper le lien.

Parmi les peurs, il peut y avoir celle de sentir les parents trop fragiles. On peut être tenté d’entrer dans la parentification, c’est à dire de devenir « parent de ses parents », se sentir responsable de ses propres parents, notamment dans le cas du veuvage ou des problèmes de santé, plus vrai pour les derniers de la fratrie. Et on ne veut pas les quitter de peur qu’il leur arrive quelque chose… C’est un rôle à partager entre frères et sœurs.

On peut également avoir peur de la solitude, car la vie de couple tarde à démarrer. C’est alors bien confortable de rester habiter chez eux.

A l’inverse, du côté des parents, il peut y avoir une difficulté à lâcher les enfants, peur que le jeune adulte ne soit plus l’enfant d’avant, peur de réaliser qu’ils ne sont plus si jeunes non plus…

Par exemple, si on a consulté ses parents sur ses choix d’études, si on a été accompagné par eux, c’est différent quand à la vie professionnelle : on demande moins de conseils et on fait ses propres choix.

Il faut voir qu’il peut y avoir la peur de la mort derrière tout cela. Pour certains parents, laisser partir l’enfant signifie assumer que le monde pourra continuer sans eux, avec cette idée que la mort se rapproche. Si l’on a intégré cela intellectuellement, ce n’est pas toujours simple de le vivre dans la réalité.
En ce sens, méfions-nous de la culpabilisation que pratiquent certains parents – « tu me laisses seule » - et des tentatives de comparaison qui peuvent apparaître – « ta sœur prend souvent des nouvelles… ». Ne rentrez pas là-dedans car tout ce qui est de l’ordre de la culpabilité de la part des parents n’est pas de Dieu. Au contraire, Dieu appelle à quitter cette dépendance infantile :

« Quitte ta parenté et va vers le pays que je t’indiquerai… »

Il peut aussi y avoir une peur de la part des parents de perdre leur identité. On le voit chez les couples qui ont passé trente années de leur vie entre le travail et l’éducation des enfants et qui se définissaient par leurs enfants – être « les parents de… » – et qui, une fois les enfants partis du nid familial, réalisent qu’ils ont mené une vie parallèle et ne parviennent plus se définir comme couple et se séparent finalement la soixantaine arrivée.

Sur la question des loyautés

La loyauté se définit par rendre à ceux qui nous ont fait du bien, se mettre dans une attitude de gratitude envers ceux qui nous ont tant donné, désirer leur rendre à travers l’amour, la tendresse et le service.
Quand l’enfant naît, il contracte une sorte de dette avec l’amour et la vie qui lui ont été donnés et cet élan de rendre à ceux qui nous ont fait du bien est naturel. On va ainsi se mettre dans une attitude de correspondre aux attentes de nos parents, parce qu’ils nous ont aimés.
Cela s’applique aussi aux amis et aux frères et sœurs.

Il peut y avoir des loyautés en rapport avec une parole reçue, un don de patrimoine, une transmission de rituel. Cela peut aussi concerner un parent défunt, et l’on se retrouve dans l’obligation de prendre soin de celui plus fragile, ou encore choisir un époux ou une épouse qui corresponde à ce que le parent défunt aurait voulu.

Cela peut aussi être en lien avec la pratique religieuse, que l’on suivrait plus par devoir que par amour, avec le cas particulier du mariage à l’Église qui serait choisir par convention et non par démarche spirituelle.

Si toutes ces loyautés sont vécues paisiblement des deux côtés, cela ne pose pas de problème. Mais s’il y a des pressions par les parents pour aller dans un sens et dans un autre, on est dans le cas d’une loyauté toxiques. C’est parfois le cas dans des séparations, lorsque l’enfant est mis devant un choix.

Si une relation est clivante, vous ferme des possibilités de contact et vous culpabilisent, sachez que qu’il y a une forme de toxicité qui est en jeu.
Dans les loyautés, il y a aussi le double lien avec des injonctions paradoxales. C’est aussi le cas où l’on est en face d’un choix, sans avoir d’indice de comment contenter l’autre.

Dans le cas de la parentification, c’est aussi vrai lorsque les jeunes ont été mis en responsabilité trop tôt, prenant en charge fréquemment les frères et sœurs à la place des parents.

Il y a aussi dans certaines familles une habitude de comparaison entre les enfants.

Ce sont des cas où l’on doit se mettre en alerte car la loyauté est toxique.

Notons qu’il n’y a pas de loyauté sans conflit, car il s’agit de donner quelque chose de façon préférentielle à quelqu’un par rapport à quelqu’un d’autre. Si l’on se met dans une dynamique de se correspondre à l’amour qui vous a été donné, un choix va devoir s’opérer. Cela se manifeste en premier lieu avec le temps passé avec les uns ou avec les autres. On le voit dans les tragédies antiques : Antigone, Le roi Lyre… et on le voit aussi dans le cinéma indien et le cinéma japonais.

Les conflits de loyauté peuvent aussi se rencontrer en amitié.

Un appui important pour sortir de ce mécanisme est de le renverser : plus on fait des choix éloigné au souhait des parents, plus il faut leur envoyer des signaux d’affection et d’attachement.
Cela permet d’affirmer que le choix que l’on fait ne se fait pas contre eux, ni par crise, ni par rébellion. Cela peut aussi s’appliquer par les choix professionnels, rassurer les parents sur l’affection lorsque l’on emprunte un chemin différent de leurs attentes.

Rappelons-nous ce commandement qui est dans les premiers :

« Honore ton père et ta mère »

Mais alors, comment conjuguer le fait de quitter et le fait d’honorer ?

Dans cette parole, honorer signifie « donner du poids », « rendre lourd ». Il faut ainsi donner de la valeur à cette relation, et on peut être injuste si on en donne pas assez.

Il y a cependant une autre parole dans la Bible qui contrebalance celle-ci :

« Qui allège son père et sa mère sera voué à la mort. »

Cela signifie qu’il ne faut pas porter sur ses propres épaules les décisions que les parents ont prises par le passé, c’est le rouage du transgénérationnel. Celui qui veut soulager les décisions des générations passées risque d’être enfermé et ne pas porter de fruit.