Bernadette et le Rosaire

Par frère Christophe-Marie

Dans sa lettre apostolique sur le rosaire, Jean-Paul II nous exhorte à redécouvrir avec force la pratique du rosaire comme moyen pour contempler les mystère de la vie du Christ avec Marie, pour se conformer à lui avec elle, pour intercéder avec elle pour tous nos besoin et ceux du monde, particulièrement pour la paix et la famille et pour annoncer le Christ avec Marie.
Jean-Paul II s’appuie sur la tradition de l’Église et l’exemple des saints et notamment ici de Sainte Bernadette.


Le rosaire est ma prière préférée"

Jean Paul II

« Le chapelet est ma prière de prédilection » (Ste Bernadette)

« J’échangerai volontiers tous mes ouvrages contre le mérite d’un seul Ave Maria » (Suarez, Théologien franciscain)

Nous allons essayer de voir, à travers la vie de Sainte Bernadette, dans tout ce qu’elle a pu connaître de joyeux, douloureux, glorieux et lumineux, comment le rosaire peut être un authentique chemin de sainteté.

Je dédie cet article à notre frère Marie-Michel qui nous a quittés le 1er avril pendant la messe du lundi de Pâques pour rejoindre celle qu’il aimait tant et dont il disait qu’elle était « formidable » (la Vierge Marie bien sûr !) après 58 ans de fidélité à sa communauté à travers tous les aléas de sa vie personnelle et communautaire.

Enfance et famille marquées par la Croix…

Tout d’abord, Bernadette naquit le 7 janvier 1844 de François Soubirous et de Louise Castérot qui se marièrent le 9 janvier 1843. Elle est l’aînée de 9 enfants dont 5 moururent en bas âge et elle fut baptisée deux jours après, jour anniversaire du mariage de ses parents. Si vous avez bien suivi, vous remarquerez que dans ces quelques lignes se seront succédés, comme dans tant de vies humaines des événements joyeux, douloureux et lumineux comme le mariage de ses parents et son baptême. En fait, il faut constater que les mystères douloureux n’ont guère quitté Bernadette. La Sainte Vierge ne lui avait-elle pas dit : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse dans ce monde, mais dans l’autre. »

En effet, un soir de novembre 1844, sa mère qui attend un deuxième enfant et qui, assise au coin de la cheminée, finit par somnoler, reçoit sur elle la chandelle de résine suspendue à la cheminée et qui enflamme son corsage ; plus question d’allaiter un enfant ! Bernadette est donc mise en nourrice chez sa tante qui vient de perdre son aîné. À Lourdes, les malheurs se succèdent chez les Soubirous :

  • les mauvaises récoltes qui réduiront la famille à la misère. Monsieur Soubirous, de meunier qu’il était, perd son moulin et la famille doit aller vivre dans un ancien cachot insalubre. Il devient manœuvre pour un maigre salaire. Cela ira jusqu’à son arrestation en mars 1857 pour un vol de farine. Cette affaire se terminera par un non-lieu en avril, mais il sera considéré comme voleur, ivrogne, fainéant et incapable !
  • le choléra, qui en 1855 fit 30 morts à Lourdes dont sa grand-mère maternelle. Bernadette elle-même est atteinte. Elle ne s’en sortira qu’après avoir subi un traitement de cheval mais sa santé en est à jamais altérée.

Comment Bernadette et sa famille ont-il pu vivre tout cela ? Grâce à leur affection commune et à la prière. En effet, chaque soir, la famille se regroupait autour de la cheminée du cachot où étaient suspendus un Christ et un chapelet, et récitait la prière. Cette prière des humbles, de ceux qui n’ont pas de pain mais vivent de la gloire de Dieu : le Credo, le Pater, l’Ave. Le chapelet était leur livre de piété, de messe.

À Bartres… et à Lourdes : première rencontre

Tout en gardant ses agneaux, Bernadette construit un modeste autel sous un châtaigner avec des pierres, y place une image de la Sainte Vierge devant laquelle elle récite son chapelet (un chapelet à deux sous, en corde, avec des grains noirs enfilés, que lui a donné sa mère). Par cette prière, elle offre ses joies, ses peines, ses souffrances et surtout son désir de faire sa première communion qui va s’intensifiant.

Alors un jour, n’y tenant plus, elle redescend à Lourdes, y retrouve son infect cachot, pour pouvoir aller à l’école, apprendre son catéchisme et se préparer à recevoir celui qui par amour pour nous a institué le sacrement de l’Eucharistie. Elle ne se doute pas que cet épisode va être en fait le début de la plus belle aventure de sa vie, la visite de la Vierge !

En effet, le 11 février 1858, constatant qu’il n’y avait plus de bois pour la cheminée à 11 h du matin, Bernadette décide d’aller en chercher. Deux amies veulent l’accompagner. Sa mère commence d’abord par refuser car dehors c’est le brouillard et la bruine et Bernadette est asthmatique. Mais devant l’insistance de sa fille, la mère cède après moult recommandations.

Les voici arrivées à la pointe de sable où le Gave rejoint le chenal du moulin, arrêté ce jour là. Elles se retrouvent devant une falaise rocheuse, trouée, à la base d’une grotte ; l’eau du canal en a baigné le côté gauche. Elles y voient du bois et des os, ce qu’elles n’avaient guère vu jusque là. Les deux compagnes de Bernadette jetant leurs sabots de l’autre côté, passent. Bernadette, elle, reste sur la rive à cause de son asthme et des recommanda­tions maternelles et demande à ses compagnes de l’aider à jeter des pierres afin qu’elle puisse passer à pied sec. Mais Jeanne s’écrit : « Pet, de Péricle ! (Coup de tonnerre) passe comme nous ! »

Bernadette après avoir cherché vainement un passage, commence donc à se déchausser lorsqu’elle entend un bruit comme un coup de vent. Ceci par deux fois, puis voit une lumière douce et une merveilleuse jeune fille tout de blanc vêtue qui lui ouvre les mains en geste d’accueil. Bernadette croit rêver et se frotte les yeux à plusieurs reprises mais l’apparition est toujours là !

« Alors, dit-elle : Je mis la main à la poche, j’y trouvai le chapelet. » L’appari­tion terminée, elle se retrouve devant le rocher sombre, la bruine, un pied nu, l’autre chaussé. Elle enlève donc le second bas et traverse l’eau sans aucune gêne.

Voici ses compagnes de retour, elle leur demande si elles ont vu quelque chose. À leurs réponses négatives, elle comprend qu’il ne faut pas parler mais finit par céder devant l’insistance de Toinette qui vend la mèche en arrivant. Incompréhension et peur chez les parents qui lui interdisent de retourner à la grotte. Bernadette obtempère. Le 13 février pourtant, elle lâche en se confessant :

J’ai vu quelque chose de blanc ayant la forme d’une dame."

L’abbé Pomian écoute - une expression l’a frappé - (« comme un coup de vent »). Il pense au coup de vent de la Pentecôte. Mais n’en dit rien et demande simple­ment s’il peut en parler à monsieur le Curé. Celui-ci averti lui répondra : « il faut attendre », et passera à un autre sujet.

Les autres visitations

Le 14, accompagnée de ses camarades de classe, Bernadette retourne à Massabielle et descend d’un trait la pente abrupte et glissante. Les autres la retrouveront à genoux, non essoufflée, priant son chapelet à genoux et ne prenant pas garde à leurs remarques. À la deuxième dizaine, son visage change et elle s’exclame :

  • « Guèrat-la ! (La voila)… Le chapelet au bras… Elle vous regarde… ».

Ses compagnes ne voient rien. Elle asperge l’apparition d’eau bénite pour vérifier si cela vient de la part de Dieu. Mais … « plus je l’arrosais, plus elle souriait et je le fis jusqu’à ce que la bouteille fut épuisée. »

Ces trois premières apparitions seront le prélude de celles qui auront lieu jusqu’au 4 mars. Bernadette remarque que la jeune fille blanche qui lui appa­raît, porte à son bras droit un chapelet qu’elle décrit : « la chaîne du chapelet était jaune, les grains blancs gros et très éloignés les uns des autres. » Les appa­ritions commenceront toutes par la récitation du chapelet.

On constate qu’après les apparitions, le chapelet qu’elle récitait depuis sa plus tendre enfance deviendra pour elle une dévotion essentielle. Sœur Victorine, qui à l’hospice de Lourdes s’occupait de Bernadette témoigne : « Plusieurs fois, chaque jour, on la trouvait récitant dévotement le chapelet. Elle ne s’en séparait pas, même la nuit, et employait à le réciter ses heures d’insomnies. »

Bernadette elle-même, a affirmé : « le chapelet est ma prière de prédilection. »
Cette dévotion l’aidera durant toute sa vie, notamment à corriger ses dé­fauts et à s’unir d’avantage à Marie et à Jésus particulièrement dans l’Eucharis­tie. Elle lui donnera aussi le désir d’être religieuse.

Dans le silence du cloître

Elle voulut d’abord entrer au Carmel mais on lui fit comprendre que sa santé ne le lui permettait pas. Elle pense alors aux Bernardines du père Cestac à Anglet mais celui-ci refusa car il ne voulait pas que le monde vienne à elle. Elle ne tenait pas à entrer chez les sœurs de la charité de Nevers, ce qu’elle fit pourtant le 4 avril 1864. Son directeur spirituel, l’abbé Pomian té­moigne :« le goût lui vint à l’occasion de soins très dévoués qu’elle donne à une vieille fort dégoûtante. »

Ainsi, elle arrive à Nevers le 7 juillet 1866, à 22 h 30, après trois jours de voyage. Le lendemain, devant trois cents religieuse, Bernadette va devoir faire une fois pour toutes, du moins le pense-t-elle, le récit des apparitions. Après ce témoignage, Bernadette revêt la coiffe et la pèlerine de postulante.

Le 29 juillet, avec 42 postulantes, elle prendra l’habit et le nom de sœur Marie-Bernard.

Le 15 août 1866, elle entre à l’infirmerie, ce n’est que de la fatigue ; mais en septembre l’asthme s’aggrave, elle s’alite de nouveau. C’est le début de plusieurs séjours qu’elle y fera jusqu’à sa mort. Elle prononcera même ses vœux in articulo mortis, le 25 octobre 1866 et elle dut recevoir trois fois l’extrême onction durant les 13 ans qui lui restent à vivre.

Le 30 octobre 1867, sœur Marie Bernard prononcera enfin ses vœux perpétuels. Comme elle n’est bonne à rien, l’évêque lui donne l’emploi de la prière. En fait, c’est un subterfuge, car à cause de sa renommée et de sa santé, elle ne peut que rester à la maison mère où les emplois sont réservés aux professes plus anciennes. Elle sera aussi aide infirmière et finira par remplacer sans en avoir le titre, l’infirmière malade et de plus en plus défaillante dans son emploi. Elle s’en acquittera avec sérieux, amour et humour jusqu’en 1875 où son état empirant la fera occuper un emploi de malade ; elle devra alors faire particulièrement preuve de force et de patience. Elle s’associe ainsi à la passion de celui qu’elle a voulu tant aimer et servir jusqu’à sa mort le 16 avril 1879, qui était un mercredi de Pâques.

Le ciel s’ouvre pour Sœur Marie Bernard

II est trois heures, sœur Marie-Bernard est étendue dans son grand fauteuil : sur son cœur repose le crucifix ; elle est en proie aux tortures d’une souffrance intérieure inexprimable. Elle baise les plaies du Christ, lentement et une à une et en disant :

Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme, de toutes mes forces…"

À l’exemple de Jésus sur la croix, elle pousse vers le Père le cri de l’abandon : « mon Dieu, mon Dieu ! », étend ses bras : « j’ai soif ». Une sœur lui donne à boire. Elle trace sur elle une dernière fois le beau signe de croix appris par Marie à Massabielle, le signe de croix du chapelet. Une sœur récite le « Je vous salue Marie », arrivée au « Sainte Marie mère de Dieu » Bernadette répond seule : « Priez pour moi, pauvre pécheresse, pauvre pécheresse », puis inclinant la tête, elle expira. C’est au ciel que s’achève son dernier Ave. Sur son corps, une sœur déposera le crucifix et entrelacera son chapelet entre ses doigts. Sœur Marie Bernard se sera ainsi conformée jusqu’au bout à son Seigneur et à son Dieu. Gloire au Père, au fils, au Saint Esprit.