Homélie du 14e dimanche du Temps Ordinaire

30 octobre 2012

Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

si vous étiez à la recherche d’une vie facile, les lectures de ce jour risquent de plomber votre moral. D’un côté, on a l’impression que les gens sont hermétiques à la parole de Jérémie ou à celle de Jésus ; d’un autre côté, on a devant les yeux nos incapacités pour l’évangélisation un peu comme Paul qui fait l’expérience de sa faiblesse.

Mais c’est peut-être comme la coque de la noix qu’il nous faut casser pour trouver le fruit qu’elle contient. L’évangélisation n’est pas une œuvre humaine, sinon elle n’ira pas très loin. C’est vraiment l’œuvre de l’Esprit de Dieu. A travers même ces résistances, Dieu veut nous offrir une profonde expérience spirituelle où l’on peut s’émerveiller de ce que la puissance de Dieu se déploie dans notre faiblesse.

Les résistances du côté des personnes évangélisées

La Parole de Dieu se heurte à de nombreuses résistances.

Ézéchiel : Dans la première lecture, ce n’est pas très drôle pour Ézéchiel. Dieu lui demande d’être détaché du résultat apparent de sa parole :

« Je t’envoie vers (…) ce peuple de rebelles qui s’est révolté contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi, et les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné. C’est à eux que je t’envoie. » « Qu’ils écoutent ou qu’ils s’y refusent, ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »

Le reproche est particulièrement cinglant : le peuple est comparé à Pharaon, le modèle de l’endurcissement du cœur ! Quand le prophète parle de « cœur obstiné », il emploie exactement le même mot hébreu que celui qui avait caractérisé le roi d’Égypte dans le livre de l’Exode : "le cœur du Pharaon resta endurci" (Ex 7, 13).

S’ouvrir à la volonté de Dieu ne nous est pas facile, surtout si elle remet en cause notre manière d’agir.

Jésus : Dans l’évangile aussi, nous voyons les gens passer de l’étonnement au fait d’être choqués. Il est vrai que la personne de Jésus a de quoi dérouter. D’un côté il fait des choses extraordinaires, d’un autre il est très humain : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? ». Il est vrai Dieu et vrai homme.

L’intelligence humaine n’aime pas être dépassée, déconcertée. Ce sont ceux qui acceptent de devenir des enfants qui ont accès au Royaume. Il ne faut pas donc nous étonner si les gens ont du mal à accueillir ceux qui évangélisent : Jésus lui-même est passé par là. Il faut accepter de ne pas être compris par le monde. On n’évangélise pas en réduisant l’Évangile à une mesure humaine.

Il est beau de voir que Jésus s’étonne de leur manque de foi : cela veut dire que, pour lui, tout n’était pas écrit d’avance. Cet étonnement est mêlé de tristesse : un peu plus haut, devant une opposition semblable venant des Pharisiens, Marc a noté que Jésus était « navré de l’endurcissement de leurs cœurs » (Mc 3, 5).

Les résistances du côté des personnes envoyées pour évangéliser

Du côté de l’évangélisateur, la résistance consisterait plutôt à prétexter de notre faiblesse pour ne pas partir en mission. C’est assez classique dans l’Écriture. Et, d’une certaine façon, c’est bon signe. Il suffit de penser à Moïse qui veut se défiler car il bégaie. Jérémie a ce même réflexe :

« Et je dis : "Ah ! Seigneur Yahvé, vraiment, je ne sais pas parler, car je suis un enfant !"
Mais le Seigneur répondit : Ne dis pas : "Je suis un enfant !" car vers tous ceux à qui je t’enverrai, tu iras, et tout ce que je t’ordonnerai, tu le diras. N’aie aucune crainte en leur présence car je suis avec toi pour te délivrer, oracle du Seigneur. » (Jr 1, 6-8)

L’obstacle au Royaume de Dieu n’est pas notre faiblesse mais notre péché. S’il y a un antagonisme, ce n’est pas entre la grâce et la faiblesse mais entre la grâce et le péché. La faiblesse ne peut donc pas constituer un prétexte pour ne pas annoncer l’Évangile. Saint Paul nous a fait la belle et décapante expérience du déploiement de la grâce de Dieu à travers ses faiblesses mêmes :

« Ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. Je n’hésiterai donc pas à mettre mon orgueil dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ habite en moi.
C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. »

Nous avons nos propres combats où nous expérimentons notre fragilité. Ce n’est pas parce nous sommes visités par l’Esprit de Dieu que nous sommes invulnérables. Nous restons comme des poteries sans valeur. Nos échardes nous empêchent de nous surestimer comme le dit à deux reprises la deuxième lecture. La venue de l’Esprit ne fait pas de nous des surhommes.

Le mot “gifler” indique moins la souffrance que l’humiliation intérieure. Cette écharde rabaisse saint Paul au regard des autres ou à son propre regard. Cette prise de conscience creuse en lui l’humilité. C’est précisément cette humilité qui permet à la grâce de Dieu de se déployer. Car alors il ne s’appuie plus sur ses propres forces mais sur celles de Dieu :

« Le péril que nous avons couru en Asie (à Éphèse) nous a accablés à l’extrême, au-delà de nos forces, au point que nous désespérions même de la vie. Oui, nous avions reçu en nous-mêmes notre arrêt de mort, ainsi notre confiance ne pouvait plus se fonder sur nous-mêmes, mais sur Dieu qui ressuscite les morts. » (1, 8 - 9).

L’humilité appelle la grâce. Cela revient fréquemment dans l’écriture :

« Pareillement, les jeunes, soyez soumis aux anciens : revêtez-vous tous d’humilité dans vos rapports mutuels, car Dieu résiste aux orgueilleux, mais c’est aux humbles qu’il donne sa grâce. (5.6) Humiliez-vous donc sous la puissante main de Dieu, pour qu’il vous élève au bon moment. » 1 P 5, 5

La foi nous invite donc à considérer autrement notre faiblesse et celle des autres. « Ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». Au lieu de gémir et de nous plaindre de nos faiblesses (personnelles, familiales, communautaires), ne faut-il pas louer Dieu de ce qu’il nous ait choisis et qu’il peut en tirer du bien ?

Conclusion : s’en remettre avec foi à la grâce de Dieu

« Être remis à la grâce de Dieu » est une expression que l’on retrouve dans les Actes des apôtres. Cela suppose de faire un plongeon dans la foi et la confiance. Nous ne pouvons pas nous contenter de regarder avec admiration et peut-être un peu d’envie ceux qui sautent du plongeoir. Nous sommes appelés à faire aussi cette expérience.

Pour prendre une autre image dans le même ordre d’idée : nous pouvons rester dans le petit bassin où l’on a pied. Effectivement, dans ce cas, il n’y a pas trop de risques. Mais il est quand même dommage de ne jamais passer au « grand bassin » pour suivre l’invitation de Jésus à Pierre que Jean-Paul II a reprise pour l’encyclique du nouveau millénaire : « Duc in altum » (cf. Lc 5, 4), « avance au large ».

Aller à la rencontre de ceux qui ne croient pas serait aller au casse-pipe si l’on n’était envoyé. Dieu dit à deux reprises à Ézéchiel dans la première lecture : "Je t’envoie". Dieu ne nous envoie jamais seuls. Il nous donne son Esprit : « L’esprit vint en moi, il me fit mettre debout. » A l’Ascension, Jésus a bien dit d’attendre la « force d’en-haut » qu’est l’Esprit Saint.

A la suite d’Abraham puis de la Vierge Marie, nous sommes appelés à croire que « rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1,37). En même temps, comme nous y invite le psaume de ce jour, nous sommes appelés à garder les yeux levés (cf. Ps 120, 1 ; c’est l’une des expressions habituelles de l’adoration et de la confiance ; elle revient quatre fois dans le psaume d’aujourd’hui) et à nous rappeler que nous sommes dans la main de Dieu. C’est elle qui a depuis toujours protégé, guidé, comblé Israël. C’est ainsi qu’on évoque le passage de la Mer :

« Israël vit avec quelle main puissante le Seigneur a agi contre l’Égypte. » (Ex 14, 31).

« Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, comme l’argile dans la main du potier. » (Jr 18, 6).

« Non, la main du Seigneur n’est pas trop courte pour sauver. » (Is 59, 1).

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Ézéchiel 2,2-5.
  • Psaume 123(122),1-2a.2bcd.3-4.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 12,7-10.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 6,1-6 :

Jésus est parti pour son pays, et ses disciples le suivent.

Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Les nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? »
Et ils étaient profondément choqués à cause de lui.

Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison. »

Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Il s’étonna de leur manque de foi. Alors il parcourait les villages d’alentour en enseignant.