Homélie de la fête de la Pentecôte

1er juin 2015

« Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux.
Tous furent remplis d’Esprit Saint. » (Ac 2, 2-4)

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

Que diriez-vous de quelqu’un qui appuie en même temps sur le frein et l’accélérateur ? Vous lui diriez sans doute : il ne faut pas utiliser les deux pédales en même temps ; lâche le frein si tu appuies sur l’accélérateur ; ou alors : arrête d’appuyer sur l’accélérateur si tu veux freiner !

De fait, ce qui nous apparaît une évidence élémentaire pour la conduite automobile ne nous saute pas toujours aux yeux lorsque nous invoquons l’Esprit Saint. En effet, dans une multitude de chants, nous disons : « viens, Esprit Saint », notamment en ce jour de Pentecôte. Mais il arrive fréquemment que nous contredisions par nos attitudes ce que nous prononçons avec nos lèvres.

Les lectures de ce jour de Pentecôte attirent notre attention sur certaines attitudes qui vont de pair avec la venue de l’Esprit Saint. Désirer la venue de l’Esprit Saint, c’est aussi désirer entrer dans ces attitudes. Je retiendrai une attitude dans chacune des lectures de ce jour en insistant plus particulièrement sur la première lecture. Il y aura donc 3 parties.

Proclamer les merveilles de Dieu

La première attitude qui apparaît dans la première lecture ressort avec évidence dans le contraste entre Babel et la Pentecôte. Saint Luc, lorsqu’il rédige ce récit de la Pentecôte, se réfère bien sûr au don de la Loi au peuple d’Israël puisque la Pentecôte fêtait notamment ce don de la Loi. Mais il évoque aussi l’épisode de Babel que nous trouvons dans la Genèse (Gn 11,1-9).

Que se passe-t-il à Babel ? A Babel, les constructeurs disent :

« Allons ! bâtissons une ville, avec une tour dont le sommet soit dans les cieux. Nous travaillerons à notre renommée. » (Gn 11, 4)

Au début, tous parlent la même langue et, à un moment donné, plus personne ne comprend l’autre et c’est la confusion des langues.

En voulant construire une tour dont le sommet soit dans les cieux, les constructeurs de Babel pensent être assez forts pour construire tout seuls un chemin qui aille jusqu’au ciel, pour en ouvrir les portes et prendre la place de Dieu. Les hommes de Babel sont animés par une volonté de puissance. Ils veulent se faire « une réputation », ils recherchent leur propre gloire. Mais en voulant prendre la place de Dieu, voici qu’ils n’arrivent plus à se comprendre et à œuvrer ensemble.

Ce récit biblique nous parle d’une façon particulière de notre époque. Avec les progrès de la science et de la technique, l’homme a acquis un grand pouvoir pour dominer les forces de la nature, manipuler les éléments, fabriquer des êtres vivants, touchant presque à l’essence même de l’homme. Enivré par ce sentiment de toute puissance, l’homme contemporain est tenté de considérer Dieu comme quelque chose de dépassé, inutile, parce que nous pouvons construire et réaliser nous-mêmes tout ce que nous voulons (cf. Benoît XVI homélie de Pentecôte 2012).

Une autre façon d’être les héritiers des hommes de Babel est le fait de travailler de façon compulsive au développement personnel. Bien sûr, il ne faut pas laisser nos talents inexploités mais pour quelle finalité ? Si c’est pour exalter notre ego, pour se dire à soi-même « que mes œuvres sont belles ! », alors nous sommes de la lignée des hommes de Babel.

Actuellement, nous sommes en train de revivre l’expérience de Babel. Le développement des moyens de communications semble abolir les distances géographiques, et pourtant la compréhension et la communion entre les personnes est souvent superficielle et difficile : le dialogue entre les générations est pénible et parfois l’opposition prévaut ; nous assistons à des évènements quotidiens où il semble que les hommes deviennent plus agressifs et plus méfiants. Paradoxalement on a l’impression que l’on se comprend toujours moins.

A la Pentecôte, c’est tout le contraire de Babel : tous parlent des langues différentes et tous se comprennent. Il faut remarquer cependant que les apôtres ne pensent pas à travailler à leur renommée mais à celle de Dieu ; ils ne cherchent pas à s’affirmer personnellement, mais à affirmer Dieu. Ils proclament les merveilles de Dieu. C’est pour cette raison que tout le monde les comprend. Dieu est revenu au centre ; la volonté de puissance a fait place à la volonté de servir, la loi de l’égoïsme à celle de l’amour. Il nous faut choisir, selon l’expression de saint Augustin, entre l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi (jusqu’au renoncement à soi-même).

L’Esprit de Dieu donne un cœur nouveau et un langage nouveau, une capacité nouvelle de communiquer. Le jour de la Pentecôte, la peur disparut, le cœur des apôtres sentit une force nouvelle, leurs langues se délièrent et ils commencèrent à parler en toute franchise, si bien que tous purent comprendre l’annonce de Jésus-Christ mort et ressuscité. A la Pentecôte, là où étaient la division et l’étrangeté, sont nées l’unité et la compréhension.

On peut dire que la Pentecôte est le lancement de l’évangélisation par les apôtres. Comment ont-ils fait ? Ont-ils élaboré un plan savant pour rejoindre tous les hommes ? Non, ils ont simplement proclamé les merveilles de Dieu (Évangéliser, n’est-ce pas justement annoncer une bonne nouvelle ?).
Pour nous, il en va de même : ce qui est premier dans l’évangélisation, c’est de proclamer les merveilles de Dieu, que ce soient les merveilles de la création, de la rédemption, des interventions de la Providence dans notre propre vie. C’est l’Esprit-Saint qui nous donner de voir et de proclamer les merveilles de Dieu. Mais la condition pour cela, c’est de ne pas avoir le regard centré sur nous-mêmes et nos intérêts mais tourné vers Dieu.

Agir non selon la chair mais selon l’Esprit

Une autre manière d’appuyer en même temps sur le frein et l’accélérateur est d’invoquer l’Esprit Saint et d’accepter volontairement de continuer à vivre selon la chair.

Dans la deuxième lecture, saint Paul établit un contraste entre la conduite selon la chair et la conduite selon l’Esprit. Lorsque saint Paul parle ici de « chair », il ne faut pas identifier « chair » avec corps ou sexe. La chair ici, c’est plutôt l’humanité laissée à ses seules forces, privée de l’Esprit Saint. Saint Paul énumère les œuvres de la chair : « Inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre »

Ce sont les péchés d’égoïsme et de violence ; ce sont des pensées et des actions qui ne font pas vivre de façon véritablement humaine et chrétienne, dans l’amour. C’est une direction qui porte à perdre sa vie.

Nous voyons bien que, laissés à nous-mêmes, nous sommes aux prises avec des passions et des tendances égoïstes. Notre vie personnelle est marquée par un conflit intérieur, par une division, entre les tendances de la chair et celles de l’Esprit. Or nous ne pouvons pas être en même temps égoïstes et généreux, suivre la tendance à dominer les autres et éprouver la joie du service désintéressé. Il nous faut choisir quelle tendance suivre et nous ne pouvons le faire de façon authentique qu’avec l’aide de l’Esprit du Christ.

Ces fruits de l’Esprit sont savoureux : la charité qui nous fait communier le plus intimement avec Dieu ; la joie qui naît de ce que, pour ainsi dire, on possède Dieu ; la paix parce qu’on est en harmonie avec Dieu ; la patience qui nous fait traverser les moments difficiles sans sombrer dans la tristesse ; la douceur qui vient casser toutes nos duretés et surtout celle de l’orgueil ; la bonté et la bienveillance qui font de nous des rayons de soleil pour les autres ; l’humilité qui nous ouvre le cœur de Dieu et celui des autres ; la maîtrise de soi qui nous donne de ne plus être esclaves de nos passions et désirs.

Accepter de ne pas tout maîtriser

Une troisième manière d’appuyer à la fois sur l’accélérateur et le frein est d’invoquer l’Esprit-Saint et de prétendre en même temps tout contrôler, tout maîtriser.

Une image employée par Jésus pour parler de l’Esprit est le vent :

« Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit. » (Jn 3, 8)

L’Esprit-Saint nous ouvre à la vérité tout entière qui me dépasse et que je ne peux atteindre si je reste enfermé dans mon ego. L’Esprit nous introduit dans la vérité toute entière, qui est Jésus, il nous guide pour l’approfondir, la comprendre : nous ne grandissons pas dans la connaissance en nous enfermant dans notre « moi », mais seulement en devenant capable d’écouter et de partager, seulement dans le « nous » de l’Église, avec une attitude de profonde humilité intérieure.

Quand nous acceptons de nous livrer à l’action de l’Esprit, nous ne savons pas à l’avance où il nous conduira.

« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.
Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. »

Invoquer l’Esprit-Saint implique donc d’accepter d’entrer dans une attitude d’abandon filial.

Conclusion

Le récit de la Pentecôte nous dit que Jésus, avant de monter au ciel, demanda aux Apôtres de rester ensemble pour se préparer à recevoir le don de l’Esprit-Saint. Et ils se réunirent en prière avec Marie, au Cénacle, dans l’attente de l’évènement promis (cf. Ac 1,14).

Une manière de se disposer à recevoir l’Esprit-Saint est de se tenir proche de la Vierge Marie. Un peu comme un para-tonnerre a le « talent » d’attirer la foudre, la Vierge Marie attire l’Esprit Saint. Approchons-nous d’elle et de sa manière d’être pour nous ouvrir à la venue de l’Esprit-Saint.

Amen.


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 2,1-11.
  • Psaume 104(103),1-2a.24.35c.27-28.29bc.30.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Galates 5,16-25.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 15,26-27.16,12-15 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur.
Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement.
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.
Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître.
Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.
Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »