Homélie de la solennité Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ

23 juin 2025

Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.

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Texte de l’homélie

Frères et sœurs,

Plus j’avance dans ma vie de prêtre, plus je suis frappé par la fragilité des sacrements, leur vulnérabilité et leur pauvreté, d’une certaine manière : un peu d’eau sur le front d’une enfant, quelques paroles entre un homme et une femme, un peu de pain et un peu vin, de l’huile consacrée sur la peau d’un malade, et c’est le Ciel qui s’ouvre !

Frères et sœurs bien-aimés, à travers cette fête du Saint Sacrement, nous rappelons quelque chose qui est très important dans notre Foi : nous sommes la religion de la disproportion ! Cela veut dire qu’il n’y a pas de commune mesure entre ce que nous célébrons lorsque nous nous réunissons pour un baptême, un mariage, l’onction des malades ou l’Eucharistie, il n’y a pas de commune mesure entre les gestes posés et la grâce reçue. Nous sommes la religion du vertige !

Toute la vie chrétienne est vertigineuse. Et l’on voit bien cette disproportion dans ce passage de l’Evangile : qu’est-ce que cinq pains et deux poissons pour autant de personnes - 5000 hommes - on connaît bien le passage !

« Donnez-leur vous-mêmes à manger ! »

Et les disciples ont cette réaction de bon sens de proposer d’aller chercher de la nourriture au village voisin. Pourtant Jésus leur demande de leur donner eux-même à manger, et à la fin de ce passage, on voit qu’il y avait des restes.

« Il en restait douze paniers. »

Il est évidemment fait allusion aux douze tribus d’Israël et aux douze apôtres. Cette surabondance est marquante. Et dans l’Eucharistie, dans la messe – comme dans tous les sacrements – il y a une pédagogie. Comme dans tous les sacrements, mais c’est celle que l’on répète le plus régulièrement lorsque qu’on se rend tous les dimanches à la messe.
Et nous devenons de plus familiers avec le fait que nous sommes la religion de la disproportion. Il n’y a pas de commune mesure et l’Eucharistie en est une pédagogie.

Et je trouve cela heureux que durant cette célébration, Louise, Stéphanie, Baptiste et Amélie vont faire leur première communion, parce que la liturgie enseigne, elle est bonne pédagogue. Elle enseigne au moyen d’étapes : vous qui avez reçu le baptême et qui vous êtes préparés très soigneusement, vous prenez conscience que c’est un moment important. Et la liturgie vous aide à rentrer dans quelque chose qui va vous dépasser complètement, parce que ce corps du Seigneur - sous les apparences du pain - c’est le mystère de la Foi !

Et chaque fois que l’on participe de l’Eucharistie, comme chaque fois que l’on célèbre un sacrement, c’est cette Foi là qui nous est donnée d’aller au-delà du visible, comme s’il voyait l’invisible.

Voyez, c’est très beau de voir comment le Seigneur, dans cette fragilité du pain et du vin - comme dans la fragilité de tous les sacrements – le Seigneur Se rend présent et nous rejoint comme pour nous apprendre que pour être une vraie présence auprès de nos frères, il faut aussi rentrer dans cette vulnérabilité et nous laisser toucher, nous laisser approcher, nous laisser offrir à eux pour être présence du Christ.

Prenons bien conscience de ce qui est en jeu, c’est quelque chose d’extraordinaire : qui d’entre nous acceptait de se livrer en des mains inconnues sous l’espèce du pain, tout en restant lui-même ? Car c’est vraiment ça : c’est le corps du Christ. Il est autant Christ dans l’Eucharistie – dans l’hostie – que dans la gloire ! Il reste le même mais ce n’est plus la même manière d’expression ni d’entrer en relation…
Accepterions-nous de devenir un bout de pain consacré ? Avant de prendre une telle décision, nous aimerions vérifier qui nous demande cela, quelles sont les garanties… Et nous voyons bien que nous sommes sur la défensive.

Il n’y a que la toute puissance de l’amour qui accepte de rentrer dans cette offrande, dans cet accueil pour nous rejoindre là où nous en sommes. Bien entendu, il faut avoir un cœur préparé et avoir été instruit – pour la première communion notamment – comme Pierre l’a fait tout au long de ces années avec tout ce sérieux. C’est aussi à travers cette pédagogie où il a grandi dans cette connaissance du Christ, mais en fin de compte, c’est cette gratuité de l’offrande du Seigneur qui ne s’explique pas humainement.

C’est ce que nous allons dire dans un instant. Et quand on parle du mystère de la Foi, on parle de ce que nous sommes en train de célébrer.

C’est beau de voir comment le Seigneur, à travers de son Eucharistie, nous invite à découvrir comment changer notre regard. Vous le savez, la Foi c’est le chemin du regard ; la Foi, c’est une certaine manière de regarder évènements et personnes. Pas à la manière de tout le monde, pas tout ce qui est clinquant « bling bling », tout ce qui est de la gloire des hommes, de la manière du monde, des richesses, du pouvoir… Non ! La Foi, celle dans Jésus qui Se donne au Saint Sacrement, nous aide à découvrir dans le plus petit, dans ce qui, peut-être, n’a pas de prix aux yeux du monde, déjà, le Royaume de Dieu.

C’est comme cela que commence l’Évangile :

« Jésus parlait aux foules du Royaume de Dieu. »

Il est vrai que c’est contre-intuitif parce que l’on disait : « Non ! Si on veut faire connaître le règne de Dieu, il faut que ça envoie, il faut que ça brille, il faut que les gens soit attirés ! »
Pourtant, quand je contemple le Seigneur dans l’Eucharistie ce n’est pas ce que je vois : au contraire, je vois au contraire une humilité comme le dit le chant : « Regardez l’humilité de Dieu… »
Il y a cette transformation du regard, progressivement et c’est pour cela que c’est important de venir et de participer à la messe dominicale, car justement, en nous, il y a un regard faussé, parce que notre regard est aussi celui du monde, et nous sommes attirés vers cette manière clinquante du monde.
Et c’est pour cela que, de dimanche en dimanche, nous venons et nous disons au Seigneur : « comment est-ce que j’ai regardé l’autre ? comment je suis rentré en relation avec lui ? comment j’ai pu être une présence à ses côtés, si ce n’est en Te contemplant, Seigneur, qui entres en relation avec moi, qui es une présence à mes côtés, par le Saint Sacrement, le Corps et le Sang du Seigneur offerts… »

Je trouve que c’est très beau, Louise, Stéphanie, Baptiste et Amélie, que vous fassiez votre première Communion en cette fête particulière ! Cela va vous donner un goût particulier d’envisager événements et personnes là où vous en êtes dans votre jeunesse.

C’est beaucoup dans la jeunesse que se travaillent les choses. C’est aussi beaucoup dans la jeunesse que se forme ou se déforme le regard. D’où l’importance d’éduquer ! D’où l’importance de cette pédagogie de la messe, cette progressivité : le baptême, aujourd’hui pour vous la première Communion, et par la suite la Confirmation. Progressivement, vous prenez conscience que cette manière là de vivre, comme des disciples de Jésus, c’est comme ça que vous vous voulez vivre ! C’est comme cela que nous voulons tous vivre…

Et on voit bien qu’il y a un combat intérieur précisément parce que la logique du monde est autre Mais cette manière de regarder, cette manière d’être présent, cette grâce de savoir que le croyant n’est jamais seul, c’est énorme ! Le croyant n’est jamais seul car comme le Christ l’a dit :

« Moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »

Jésus est au Saint Sacrement ! On aurait voulu réfléchir à cette nouveauté, on n’y serait pas arrivé : c’est vraiment une révélation ! C’est vraiment une source de vie !
Et vous savez que cette fête du Saint Sacrement c’est de cette manière un ricochet de la fête de Pâques. Vous le savez peut-être, c’est fixé justement en fonction de Pâques. C’est intéressant dans le calendrier liturgique - c’est un peu technique, certes - mais le dernier ricochet sera la fête du Sacré Cœur de Jésus, le vendredi prochain.
C’est à dire qu’au fond, dans le Saint Sacrement, il y a cette grâce particulière d’une source particulière. Parce que la Pâque, c’est ce qui rend à la vie ce qui était mort.

Comment puis-je advenir à la vie si ce n’est à travers cette grâce particulière de communier avec Celui qui est le Ressuscité ? Et chaque fois que je m’approche de l’autel pour recevoir le corps et le sang du Seigneur, je communie à cette force de vie, je réveille en moi ce qui est vivant.

En chacun de nous il y a des forces de mort, évidemment ! Des découragements, des « à quoi bon », mais ce n’est pas ça que nous voulons regarder d’abord. D’ailleurs, on voit bien des disproportions : cinq pains deux poissons et on se dit « mais Seigneur, Tu n’y est pas ! ».
Et on fait focus là dessus et non pas sur la présence du Seigneur qui parle du règne de Dieu, parce qu’Il EST le règne de Dieu !

Alors oui, quelle grâce d’être disciple de Jésus, qu’elle est belle notre Foi. Quelle grâce d’être avec Lui, et de voir quel soin Il prend de nous à travers cette pédagogie de la messe, cet enseignement, cette progressivité… Il nous fait advenir et nous fait tenir debout, Il nous fait devenir des adultes, progressivement, vous qui êtes à une étape de jeunesse, à travers la Première Communion, ce codon d’ordre reçu pour le service de l’autel.
Mais vous ferez mémoire de cette étape dans cinq ans, dix ans, cinquante ans, parce que ça vous aura construit. La liturgie construit la jeunesse évidemment. Mais c’est à la fois un choix que vous avez fait et je félicite aussi vos familles à ce choix particulier de prendre soin, non seulement de l’éducation de votre intelligence à l’école, prendre soin de votre santé, de prendre soin de votre âme, de rendre soin de votre relation à Dieu, de votre vie intérieure.

Comme le disait le grand Saint Augustin :

« Dieu qui est plus intime à nous même que nous même ! »

Il se fait intime dans la communion. Prendre soin de sa vie intérieure est si important… être des hommes et des femmes vivants, debout, ressuscités, c’est cela que l’on apprend dans l’Eucharistie, progressivement. On en prend conscience bien tard car on n’a pas assez d’une vie pour renter dans ce mystère. C’est vrai que l’on pourrait se décourager. Et quelque part, à travers cette parole du Seigneur, cette disproportion pourrait nous pousser à nous décourager, nous disant que cinq pain et deux poissons, c’est absurde, ça n’a pas de sens ! »
Soit notre vie est absurde soit notre vie est mystère.

Frères et sœurs bien-aimés, si nous sommes ici dans cette chapelles, c’est que nous avons fait le choix du mystère. Il y a quelque chose de plus grand qui nous habite vers lequel nous allons, vers un horizon, un au-delà, un ailleurs dont l’Eucharistie est le signe, le viatique, le pain de vie, le pain d’effort, celui qui nous soutient au quotidien.

Alors demandons cette grâce aujourd’hui, frères et sœurs bien-aimés, de remettre le cap sur cette vie intérieure, de remettre le cap sur la présence du Seigneur qui Se fait présent. La présence réelle dont vous avez entendu parler, celle du Seigneur au Saint Sacrement.
Tout cela sont des choses que l’on sait. Mais la mémoire c’est aussi cette capacité d’oublier. On oublie parce que ce sont les choses du monde, on est tous pareils, nous aussi, les religieux. Et c’est pour cela qu’avec les frères, nous prions quatre heures par jour pour ne pas oublier. Parce qu’on pourrait oublier. C’est pour faire mémoire !
Célébrer l’Eucharistie, c’est justement faire mémoire de la mort, de la passion et de la résurrection du Seigneur ?

Alors, soyons dans l’action de grâce, frères et sœurs bien-aimés. Demandons des grâces particulières en ce jour, parce que le Ciel s’ouvre, j’en ai la conviction absolue ! Le Ciel s’ouvre !

Demandons la grâce d’être les témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Genèse 14,18-20.
  • Psaume 110(109),1.2.3.4.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 11,23-26.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 9,11b-17 :

En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu et guérissait ceux qui en avaient besoin.
Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent :
— « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. »
Mais il leur dit :
— « Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
Ils répondirent :
— « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. »
Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples :
— « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. »
Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule.
Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.