Homélie de la solennité du Saint Sacrement - Fête Dieu

4 juin 2013

Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.

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Texte de l’homélie :

« Seigneur Jésus Christ, dans cet admirable sacrement, tu nous as laissé le mémorial de ta passion. »

Chers frères et sœurs,

Telle est la prière qui commence la célébration de notre Fête Dieu, où nous célébrons le Corps et le Sang du Christ offerts pour nous sauver. Pour méditer avec vous préparer nos cœurs à l’Eucharistie, permettez moi de vous partager une image avec vous :

Qui bâtirait un pont sur le sable ?

Dans le projet de raccordement de la quatre-voies qui relie Compiègne à Noyon, nous sommes témoins depuis plusieurs mois de chantiers colossaux qui nous amènent à nous poser un tas de questions. Et notamment, à l’entrée de Noyon, les entreprises de BTP préparent le terrain pour construire un ouvrage d’art, en l’occurrence, un pont assez important pour la connexion de cette fameuse quatre-voies avec la route de contournement de Noyon.

Sans aller plus loin dans les explications, ce qui est intéressant de constater, c’est que pour fabriquer ce pont, pour élever cet ouvrage d’art, ils doivent faire des fondations imposantes à l’image de cet ouvrage d’art imposant. En effet, il serait imprudent de poser la structure de ce pont à même la terre, sur le sol, voire sur le sable. Pour cela, il faut forer le sol, creuser des puits allant de 20 à 30 mètres de profondeur, pour aller retrouver la roche, la pierre profonde, pour élever les structures du pont.

Une fois, retrouvée cette pierre, ce sol rocheux, on peut y enfiler des tiges en acier coulées dans du béton pour offrir un point de fondation, des points d’appui fermes et solides sur lesquels s’élèveront les colonnes de cet ouvrage d’art, par lequel beaucoup de personnes pourront passer et faire leur chemin.

Cette recherche de la roche fondamentale, si l’on peut dire, me fait penser qu’il serait insensé de bâtir sur le sable. Il est évident de bâtir son édifice sur le roc. Pour cela, il nous faut nous appuyer sur ce qui sûr, sur ce qui est ancien, et, si l’on fait le parallèle avec notre vie, sur les évènements qui ont changé le cours de l’humanité, sur ce qui est à l’origine de notre histoire.

Le passé est la roche sur laquelle on peut bâtir l’avenir

Il est nécessaire – et c’est là le sens du mémorial – de faire mémoire du passé pour bâtir le présent. C’est le sens de toute la tradition qui est de relire le passé pour bien vivre le présent, et notamment de ne pas reproduire les erreurs du passé, et ainsi se préparer à l’avenir dans une certaine paix et une certaine espérance.

Permettez-moi de citer un auteur qui n’a pas écrit dans la Bible – Monsieur Ford – qui disait que, dans sa vie, il avait fait beaucoup d’erreurs, mais jamais deux fois la même… Pour cela, il nous est absolument nécessaire, dans notre vie humaine et spirituelle, de faire mémoire des événements passés pour assumer le présent, pour bâtir le futur.

Il nécessaire de penser à notre vie passée, de supporter - dans la joie et la peine - ce que nous avons déjà vécu pour poser nos actes de foi pour aujourd’hui et pour demain. C’est là où nous trouverons parfois l’audace de faire de grandes choses.

Finalement, c’est là tout le mystère de la célébration du dernier repas de notre Seigneur, le Jeudi Saint. Lui même est devenu le roc le jour où Il s’est offert en sacrifice pour nous. Il nous l’a commandé :

« Faites cela en mémoire de moi. »

Servez-vous de moi comme pierre fondamentale pour élever l’édifice de votre vie. Ainsi, vous aurez le roc, et vous aurez aussi le pain de vie, la nourriture du quotidien pour supporter le poids de chaque jour. Vous aurez en plus pour demain, et Il nous l’assure, la Vie Éternelle, la vie même de Dieu.

L’Eucharistie comme roc de notre vie

Faire mémoire du Christ n’est pas juste que le rappel d’un évènement ancien – aussi héroïque soit-il. C’est clairement faire mémoire d’un événement ancien pour le rendre présent aujourd’hui. Jésus a promis d’être réellement présent à travers les espèces du Pain et du Vin si nous répétons ses paroles en mémoire de Lui. Là se joue tout le mystère de la croissance de notre édifice spirituel, un édifice largement plus noble, plus valeureux que le plus bel ouvrage d’art.

Pour cela, permettez moi d’éclaircir trois points avec vous :

  1. Tout d’abord, le sens de l’action de grâce, de rendre-compte de ce que nous avons reçu au paravent.
  2. L’importance de faire mémoire
  3. La présence du Christ qui en résulte aujourd’hui, maintenant et dans chacune des Eucharisties.

L’Eucharistie que nous célébrons est une action de grâce

Tout d’abord, ce L’Eucharistie que nous célébrons veut être une action de grâce. L’Eucharistie est un remerciement, une action de grâce à Dieu pour Sa Création. Nous lui offrons notre pain et notre vin, « fruit de la terre et notre travail ». Nous Lui présentons ce qu’Il nous a Lui-même offert.

Mais plus que la célébration de la beauté de la Création, c’est aussi une action de grâce devant la Rédemption, c’est-à-dire, de tout ce que Dieu notre Père a mis en place pour nous sauver nous, Ses fils.

Par le Christ, l’Église va célébrer l’amour du Créateur pour Sa créature, jusqu’à lui offrir Son fils unique, mort et ressuscité, pour cet unique objectif de nous relever, de nous sanctifier, nous qui avons été façonnés « à Son image et à Sa ressemblance », que nous avons certes un peu perdue, mais que nous sommes appelés à retrouver.

L’eucharistie est un mémorial

Deuxième point : l’Eucharistie est très clairement le mémorial du Christ, de la Pâque du Christ. Elle est l’actualisation et l’offrande sacramentelle. Elle est le signe visible de ce mystère invisible de l’unique sacrifice du Christ. C’est-à-dire que la liturgie va célébrer l’unique et seul sacrifice de Jésus, d’il y a environ 2000 ans. Certes, un sacrifice sanglant, bien réel et bien souffrant, mais pour se rendre présent aujourd’hui et de manière non sanglante.

C’est là toute la tradition d’Israël de la prière d’anamnèse. On fait mémoire des bénédictions de Dieu, c’est à dire de tous les biens reçus de Dieu dans notre histoire, pour porter, pour supporter le présent, pour poser notre foi aujourd’hui et pour avancer avec audace et confiance vers le futur. Car, le passé que nous pouvons contempler d’hier n’était que le futur d’avant-hier.

Alors, ayons confiance que ce futur à venir est comme déjà acquis par avance par la personne du Christ. Pour cela, il faut nous abandonner jour après jour. C’est ce que nous chantons d’ailleurs après la consécration durant l’Eucharistie :

« Nous rappelons Ta mort, nous célébrons Ta résurrection, nous attendons que Tu viennes. »

L’Eucharistie est clairement un mémorial, elle est très clairement un sacrifice qui est manifesté par les paroles de l’institution du Jeudi Saint :

« Ceci est mon Corps qui va être donné, qui va être livré pour vous
Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang qui va être versé pour vous. »

L’Eucharistie est donc bien un sacrifice d’amour qui « re-présente », c’est-à-dire qui rend présent le sacrifice de la Croix. C’en est le mémorial, pas uniquement dans l’évènement sanglant du sacrifice de la Crois, mais dans tous les fruits qui découlent dans la fécondité de la Croix qui sont appliqués aujourd’hui et dans chacune des Eucharisties. Que ce soit une Eucharistie de dimanche, avec la liturgie qui y est associée, que ce soit une liturgie de semaine, plus simple, que ce soit une messe toute pauvre, avec un prêtre tout pauvre.

Cela veut dire que dans chacune des messes, le Christ est là comme l’unique grand prêtre pour s’offrir de manière efficace, pour notre secours, pour notre salut. Et par l’Église s’actualise son secours pour les hommes et les femmes que nous sommes. A chacune des messes auxquelles nous participons se réalise notre croissance, notre relèvement et notre vie éternelle pour le Ciel.

L’Eucharistie est également le sacrifice de toute l’Église, Elle qui est le corps même du Christ. L’Église va participer au sacrifice de son chef. C’est pour cela qu’en participant à l’Eucharistie, nous nous offrons chacun individuellement, personnellement, avec ce que nous sommes, pauvrement. Nous apportons sur l’autel le fruit de notre travail ainsi que l’offrande de notre édifice spirituel, passé, présent et futur, dans chacun de nos désirs, dans chacun de nos projets. C’est l’offrande de l’Église visible et ainsi que de l’Église invisible.
Offrons-nous nous mêmes, mais offrons aussi nos défunts, ceux que nous avons connus et aimés qui sont morts, ceux qui sont « passés de l’autre côté, qui sont amenés à rencontrer Dieu face à face, et qui sont appelés à la grande lumière de Dieu, et particulièrement s’il leur manquait un petit bout de chemin pour aller vers Dieu, pour goûter pleinement à la lumière et à la Paix de Dieu, il serait nécessaire, il serait un devoir de prier pour eux, de les porter dans notre communion sur l’autel eux aussi qui ne peuvent plus participer à la messe, que cette communion soit spirituelle ou concrète.
C’est ce que Sainte Monique disait à son fils Saint Augustin :

« Enterrez ce corps n’importe où ! Ne vous troublez pas pour lui d’aucun souci !
Tout ce que je vous demande, c’est de vous souvenir de moi à l’autel du Seigneur où que vous soyez. »

Le Christ est présent par la puissance de sa parole

Pour terminer, ce mémorial est le signe et signifie très concrètement la présence même du Christ maintenant, aujourd’hui, sur l’autel, et cela, par la puissance de Sa parole.

Si l’on a coutume de dire que le Christ est présent là où deux ou trois d’entre nous sont réunis en Son nom, si l’on a l’habitude de dire que le Christ est présent dans le pauvre, dans le malade, dans celui qui souffre, Il est présent au plus haut point dans la messe, dans les espèces eucharistiques. Le Christ tout entier est vraiment, réellement et substantiellement présent par Son Corps et par Son Sang dans le sacrement de l’Eucharistie.

C’est pour cela que l’on appelle ce sacrement le « Grand Sacrement », le « Saint sacrement ». La conversion du pain et du vin en Son Corps et Son Sang est le signe de l’efficacité de Sa Parole et de l’action du Saint Esprit. C’est un miracle que notre foi constate et qu’elle adore.

C’est pour cela qu’aujourd’hui nous nous réunissons pour célébrer ensemble la fête du Très Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Il nous est donné de célébrer le mémorial du Christ. Nous allons suivre ensemble cet après midi la procession dans le parc. Nous allons marcher avec Lui, nous allons L’adorer à chaque autel, parce que le culte rendu au Très Saint Sacrement doit être le centre de notre vie. Il est le lieu de notre dignité, le roc sur lequel nous voulons, nous désirons bâtir notre édifice spirituel.

L’adorer, c’est se mettre à genoux devant Dieu qui se rend si proche de nous. Mais c’est aussi pour manifester la grandeur et la beauté de Dieu, mais aussi de notre ouvrage d’art. Qui somme-nous ? Avons-nous mérité une telle proximité de Dieu, un tel abaissement de Dieu ? Non ! Nous sommes les heureux bénéficiaires et destinataires de Son sacrifice d’amour sur la Croix.

Alors, adorons pour nous transformer. Adorer, c’est comme se « christo-transformer », c’est à dire, devenir comme le Christ, s’humaniser. S’humaniser, c’est se disposer à partager la divinité même que Dieu veut nous accorder, Lui qui est notre père, nous qui sommes Ses fils. Le Christ est ressuscité, Il est là, c’est pourquoi nous célébrons le mémorial de Sa passion,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Genèse 14,18-20.
  • Psaume 110(109),1.2.3.4.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 11,23-26.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 9,11b-17 :

En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu et guérissait ceux qui en avaient besoin.
Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent :
— « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. »
Mais il leur dit :
— « Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
Ils répondirent :
— « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. »
Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples :
— « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. »
Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde.
Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule.

Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.