Homélie du 12e dimanche du Temps Ordinaire

22 juin 2015

"Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent :
« Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »

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Texte de l’homélie :

Frères et Sœurs bien aimés,

Vous vous rappelez peut-être de la parabole de la maison qui est construite sur le sable ou de la maison qui est construite sur le roc, évangile souvent choisi pour la célébration de mariages. Et ce qui est marquant dans ces paraboles, c’est que dans les deux cas, il y a la tempête, l’eau dévale, les vents furieux sont là.

Jésus, lorsqu’Il nous invite à Le suivre, ne nous prive pas de tempêtes. Il ne dit pas que ce sera une assurance vie, un long fleuve tranquille ! Il nous invite à Le suivre et Lui faire confiance. Et on voit, dans ce récit de la tempête apaisée, un signe de sa divinité puisqu’Il commande aux éléments, comme le fit Dieu dans le Livre de Job où Il apaisa le vent et calma la mer. Mais c’est surtout une pédagogie que Jésus donne à ses disciples. Alors qu’ils avaient écouté la prédication du Christ toute la journée, ils partent, vont sur l’autre rive, ce qui est au fond une autre manière de voir la réalité. Et survient cette tempête.

Il y a plusieurs manières de vivre la tempête. Et là, on en a une assez intéressante, qui présente une forme de colère : « Cela ne te fait rien, Maître, nous sommes perdus, cela ne te fait rien ? »
Vous vous rappelez peut-être que cette même expression existe dans un autre passage de l’Évangile : celui de Marthe et Marie :

« Cela ne Te fait rien que ma sœur me laisse faire seule le service ? »

Cette expression est très forte : Tu es indifférent ? Tu dors alors que nous sommes dans la tempête, que nous sommes dans l’angoisse, agités ! Tu ne te préoccupes pas de nous !
Et ce cri-là, nous l’entendons bien souvent chez nos contemporains, chez les personnes qui vivent une épreuve, comme si d’une manière ou d’une autre ils étaient abandonnés par le Seigneur…

Et là, Jésus donne aux apôtres une manière de se conduire qui est différente : n’ayez pas simplement un regard humain. « Désormais, nous ne regardons plus personne d’une manière humaine » dit Saint Paul aux Corinthiens. Ayez un autre regard, moi je suis dans la barque, et c’est cela qui est important. Moi, je suis avec vous, je suis dans la tempête avec vous. Alors, cela demande un acte de foi, parce que spontanément, nous n’avons pas cette vision de découvrir le Seigneur dans les moments agités de nos existences, que ce soit dans des difficultés de santé, professionnelles, relationnelles, voire spirituelles. Parfois, nous n’avons pas cette attitude de foi, de dire :
« Mais où est-ce que Tu te caches Seigneur, dans cette tempête ? Qu’est-ce que Tu m’invites à vivre ? »

L’épreuve nous amène à révéler à l’extérieur ce que nous portons à l’intérieur. C’est un peu comme dans le développement de photos argentiques : vous deviez prendre le négatif, l’imprimer sur un papier et plonger ce papier dans un révélateur, puis dans un fixateur pour fixer la photo. Eh bien, l’épreuve, c’est ce révélateur. Cela révèle ce que nous avons dans notre cœur.
Cette tempête, cette agitation, cette angoisse au fond. Peut-être avez-vous déjà été pris dans une tempête ? On se sent tout à fait comme un fétu de paille, dans une très grande fragilité, dans une vulnérabilité, impuissance.
Et là, le Seigneur nous dit :

« Je suis là avec vous, donc n’ayez pas peur. »

Il menace le vent et calme la mer :

« Silence ! Tais-toi ! »

Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ?

Écouter la Parole de Dieu, c’est bien, et les disciples l’avaient écoutée toute la journée. Mais ensuite, cette Parole de Dieu, d’une manière ou d’une autre, doit se faire chair en nous, elle doit nous inviter à poser des actes, à entrer justement dans cette confiance, dans cette foi…
Alors c’est pour cela que nous demandons la grâce au Seigneur, c’est pour cela qu’on vient à la messe le dimanche : pour demander que, au cœur de la tempête, nous puissions le découvrir, Lui qui est présent, Lui demander d’avoir un autre regard. Le chrétien a un regard d’espérance, il ne voit pas la réalité comme tout le monde. Même si la réalité s’impose à lui comme à tout le monde, et entre autre dans les difficultés, les épreuves, eh bien il ne voit pas cette réalité, ces difficultés, ces épreuves comme tout le monde.
Il a un autre regard. La foi, c’est le chemin du regard, c’est une certaine manière de regarder la vie, une certaine manière de regarder l’agitation, le trouble, l’épreuve : les regarder dans l’espérance, comme un lieu de communion, comme un lieu où je me découvre à la fois d’une grande fragilité, et en même temps d’une grande force, parce que le Seigneur est là, présent avec moi, dans la barque.

Et c’est important que nous fassions mémoire de cette présence, et c’est pour cela que nous venons à la messe dominicale : pour communier à cette présence réelle du Seigneur afin qu’Il nous soutienne justement dans les moments difficiles, dans les moments d’agitation. Si nous comptons simplement sur nos propres forces, alors « nous sommes perdus, cela ne te fait rien ? », c’est la colère qui arrive.
Mais le chrétien a cette conviction que la Miséricorde aura le dernier mot, le dernier mot sur le mal. (Dans le monde biblique, la mer c’est le monde du mal, c’est un monde inconnu parce que le peuple hébreux n’est pas un peuple marin, et donc tout ce qui est dans les eaux, le Léviathan, etc., c’était des choses tout à fait inconnues et donc menaçantes.)

Bien sûr, il y a des menaces sur notre monde, et il y en aura jusqu’à ce que Dieu soit tout en tous, des menaces même de guerre. Mais nous n’avons pas, face à ces menaces-là, un regard désespéré. Nous pouvons avoir la tentation du « à-quoi-bonnisme » : à quoi bon faire confiance à Dieu puisque le monde ne change pas ? C’est vrai que le mal parfois est bien plus visible que le bien, que l’œuvre du démon est parfois plus visible que l’œuvre de Dieu.
C’est vrai. Mais justement, ce n’est pas par un regard humain qu’il nous faut regarder. C’est à la manière spirituelle, à la manière de la foi.

Et dans cette manière spirituelle, la Vierge Marie nous est vraiment d’un grand secours. Elle a elle aussi franchi des épreuves. Jésus ne l’a pas invitée à avoir une vie telle un long fleuve tranquille. Elle a elle aussi eu à faire un acte de foi, non seulement au moment de l’Annonciation, événement joyeux, mais au moment de la Croix.
Il est donc important aussi d’avoir cette communion avec Marie à ces heures d’épreuves, parce qu’Elle nous invite à ne pas désespérer, à faire confiance à la présence de Dieu dans notre vie. Et savoir que cette présence de Dieu, elle est de toujours à toujours : « Moi, je suis tous les jours avec vous jusqu’à la fin du Monde. »

Mais comme cela nous coûte de le croire ! Et d’ailleurs, y croyons-nous vraiment ?

« Moi, je suis tous les jours avec vous jusqu’à la fin du Monde. »

Comment le Christ est-Il avec nous ? Il est avec nous sous les Espèces du Pain et du Vin consacrés. Le Pain et le Vin consacrés, l’Eucharistie, c’est cette présence de Dieu qui nous permet de ne pas tomber dans la désespérance, mais, au contraire, d’avoir un autre regard : et alors, même si nous sommes blessés, même si nous sommes dans la tempête, eh bien nous avançons.

Puissions-nous aussi, en cette journée où la vie consacrée est célébrée dans notre diocèse, prier pour les vocations consacrées, vocations de religieux, religieuses, de façon à ce que ce signe soit donné : un consacré, c’est d’abord un signe. Alors que le sacerdoce s’oriente plus vers le fait d’être pasteur d’un peuple, les consacrés sont signes du royaume, signes d’Espérance au milieu du Peuple de Dieu. C’est important d’avoir le signe de la vie consacrée, plus particulièrement au moment de tempêtes, de difficultés, c’est important d’avoir ce signe-là. Pour justement nous soutenir, nous redonner confiance, parce que le consacré est tel un poteau indicateur vers la vie éternelle, vers la victoire de l’amour sur tout ce qui peut s’opposer à l’amour.

Alors demandons au Seigneur, de façon particulière, dans cette Eucharistie, qu’il suscite dans son Peuple des vocations de consacrés, particulièrement parmi les jeunes. Qu’ils n’aient pas peur de se donner au Seigneur, qu’ils écoutent cet appel du Seigneur qui les invite à un don radical. C’est vrai, c’est une radicalité qui interroge nos contemporains, beaucoup ne comprennent pas notre choix…
Mais cette radicalité, au fond, emmène plus loin, même ceux qui ne comprennent pas. Elle est là pour redire que nous somme habités par une présence et, dans la consécration totale à Dieu, nous voulons être signes de cette présence,

Amen.


Référence des lectures du jour :

  • Livre de Job 38,1.8-11.
  • Psaume 107(106),21a.22a.24.25-26a.27b.28-29.30-31.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 5,14-17.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 4,35-41 :

Toute la journée, Jésus avait parlé à la foule. Le soir venu, Jésus dit à ses disciples :
— « Passons sur l’autre rive. »
Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d’autres barques l’accompagnaient.
Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait.
Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent :
— « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »
Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer :
— « Silence, tais-toi ! »
Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus leur dit :
— « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? »
Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux :
— « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »